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Le poisson, pour servir au Fils de monogramme,
L'ânon obscur qu'un jour en triomphe il monta,
Et, dans ma chair, les porcs qu'à l'abîme il jeta.

Car l'animal, meilleur que l'homme et que la femme,
En ces temps de révolte et de duplicité,
Fait son humble devoir avec simplicité.

ÉMILE BERGERAT

PAROLES DORÉES

'AI reposé mon cœur avec tranquillité

J'A

Dans l'asile très sûr d'un amour très honnête.
La lutte que je livre au sort est simple et nette,
Et tout peut m'y trahir, non la virilité.

Je ne crois pas à ceux qui pleurent, l'âme éprise
De la sonorité de leurs propres sanglots;

Leur idéal est né de l'écume des mots,

Et comme je les tiens pour nuls, je les méprise.
Cerveaux que la fumée enivre et qu'elle enduit,
Ils auraient inventé la douleur pour se plaindre;
Leur stérile génie est pareil au cylindre

Qui tourne à vide, grince et s'use dans la nuit.

Ils souffrent? Croient-ils donc porter dans leur besace
Le déluge final de tous les maux prédits?
Sous notre ciel chargé d'orages, je le dis,

Il n'est plus de douleur que la douleur d'Alsace.

J'aime les forts, les sains et les gais. Je prétends
Que la vie est docile et souffre qu'on la mène :
J'observe dans la mort un calme phénomène
Accessible à mes sens libres et consentants,

Et qui ne trouble pas ma paix intérieure.
Car la forme renait plus jeune du tombeau,
Et l'ombre passagère où s'engloutit le Beau
Couve une éternité dans l'éclipse d'une heure.

Car la couleur charmante et mère des parfums Rayonne inextinguible au fond des nuits funèbres, Et sa splendeur de feu qu'exaltent les ténèbres Emparadise encor les univers défunts.

Femme, recorde-moi ceci. Ma force vierge
Est éclose aux ardeurs brunes de tes beaux yeux:
Quand mon cœur sera mûr pour le sol des aieux,
Notre amour sera clos. N'allume pas de cierge.

Le ciel restera sourd comme il reste béant.
O femme, écoute-moi, pas de terreur vulgaire !
Si l'âme est immortelle, il ne m'importe guère,
Et je ne me vends pas aux chances du néant.

Aucun joug n'a ployé ma nuque inasservie,
Et dans la liberté que lui fait sa vertu,
Voici l'homme qui s'est lui-même revêtu
Du pouvoir de juger et d'attester sa vie.

Hors de moi, je ne prends ni rêve ni conseil ;
N'arrachant du labeur que l'œuvre et non la tâche,
Je ne me promets point de récompense lâche
Pour le plaisir que j'ai de combattre au soleil.

Le limon, que son œuvre auguste divinise
Par son épouvantable enfantement, répond
Aux désirs surhumains de mon être fécond,
Et ma chair douloureuse avec lui fraternise.

Telle est ma loi. Sans peur et sans espoir, je vais,
Après m'être creusé ma route comme Alcide.

Que la combinaison de mon astre décide

Si je suis l'homme bon ou bien l'homme mauvais.

Mais, quel que soit le mot qu'ajoute ma planète
Aux constellations de la fatalité,

J'ai reposé mon cœur avec tranquillité

Dans l'asile très sûr d'un amour très honnête.

FRANÇOIS FABIÉ.

LES GENETS

LES genêts, doucement balancés par la brise,

Sur les vastes plateaux font une houle d'or;
Et, tandis que le pâtre à leur ombre s'endort,
Son troupeau va broutant cette fleur qui le grise;

Cette fleur qui le fait bêler d'amour, le soir,
Quand il roule des hauts des monts vers les étables,
Et qu'il croise en chemin les grands bœufs vénérables
Dont les doux beuglements appellent l'abreuvoir;

Cette fleur toute d'or, de lumière et de soie,
En papillons posée au bout des brins menus,
Et dont les lourds parfums semblent être venus
De la plage lointaine où le soleil se noie.

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Certes, j'aime les prés où chantent les grillons,
Et la vigne pendue aux flancs de la colline,

Et les champs de bleuets sur qui le blé s'incline,
Comme sur des yeux bleus tombent des cheveux blonds.

Mais je préfère aux prés fleuris, aux grasses plaines,
Aux coteaux où la vigne étend ses pampres verts,
Les sauvages sommets, de genêts recouverts,
Qui font au vent d'été de si fauves haleines.

Vous en souvenez-vous, genêts de mon pays,
Des petits écoliers aux cheveux en broussailles
Qui s'enfonçaient sous vos rameaux comme des cailles,
Troublant dans leur sommeil les lapins ébahis?

Comme l'herbe était fraîche à l'abri de vos tiges!
Comme on s'y trouvait bien, sur le dos allongé,
Dans le thym qui faisait, aux sauges mélangé,
Un parfum enivrant à donner des vertiges!

Et quelle émotion lorsqu'un léger frou-frou
Annonçait la fauvette apportant la pâture,
Et qu'en bien l'épiant on trouvait d'aventure
Son nid plein d'oiseaux nus et qui tendaient le cou!

Quel bonheur, quand le givre avait garni de perles
Vos fins rameaux émus qui sifflaient dans le vent,
- Précoces braconniers, — de revenir souvent,
Tendre en vos corridors des lacets pour les merles!

Mais il fallait quitter les genêts et les monts,
S'en aller au collège étudier des livres,

Et sentir, loin de l'air natal qui vous rend ivres,
S'engourdir ses jarrets et siffler ses poumons;

Passer de longs hivers, dans des salles bien closes,
A regarder la neige à travers les carreaux,
Éternuant dans des auteurs petits et gros,
Et soupirant après les oiseaux et les roses;

Et, l'été, se haussant sur son banc d'écolier,
Comme un forçat qui, tout en ramant, tend sa chaîne,
Pour sentir si le vent de la lande prochaine
Ne vous apporte pas le parfum familier. . .

* *

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Enfin, la grille s'ouvre! On retourne au village;
Ainsi que les genêts, notre âme est tout en fleurs,
Et dans les houx remplis de vieux merles siffleurs
On sent un air plus pur qui vous souffle au visage.

On retrouve l'enfant blonde avec qui cent fois
On a jadis couru la forêt et la lande;

Elle n'a point changé, sinon, qu'elle est plus grande, Que ses yeux sont plus doux et plus douce sa voix.

-“Revenons aux genêts !-Je le veux bien!" dit-elle.
Et l'on va, côte à côte, en causant, tout troublés
Par le souffle inconnu qui passe sur les blés,
Par le chant d'une source, ou par le bruit d'une aile.

Les genêts ont grandi, mais pourtant moins que nous:
Il faut nous bien baisser pour passer sous leurs branches,
Encore accroche-t-elle un peu ses coiffes blanches;
Quant à moi, je me mets simplement à genoux.

Et nous parlons des temps lointains, des courses folles,
Des nids ravis ensemble, et de ces riens charmants

Qui paraissent toujours sublimes aux amants,
Parce que leurs regards soulignent leurs paroles.

Puis, le silence; puis, la rougeur des aveux,
Et le sein qui palpite, et la main qui tressaille,
Et le bras amoureux qui fait ployer la taille...
Comme le serpolet sent bon dans les cheveux!

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