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ANDRÉ CHÉNIER

LA JEUNE CAPTIVE

"L'ÉPI naissant mûrit de la faux respecté ;

Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été
Boit les doux présents de l'aurore;

Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui,
Je ne veux pas mourir encore.

"Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort, Moi je pleure et j'espère; au noir souffle du nord Je plie et relève ma tête.

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S'il est des jours amers, il en est de si doux!
Hélas! quel miel jamais n'a laissé de dégoûts?

Quelle mer n'a point de tempête ?

L'illusion féconde habite dans mon sein:

D'une prison sur moi les murs pèsent en vain,
J'ai les ailes de l'espérance.

Échappée aux réseaux de l'oiseleur cruel,
Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
Philomèle chante et s'élance.

Est-ce à moi de mourir? Tranquille je m'endors,
Et tranquille je veille, et ma veille aux remords
Ni mon sommeil ne sont en proie.

Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux;
Sur des fronts abattus mon aspect dans ces lieux
Ranime presque de la joie.

“Mon beau voyage encore est si loin de sa fin!
Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
J'ai passé les premiers à peine.

Au banquet de la vie à peine commencé,
Un instant seulement mes lèvres ont pressé
La coupe en mes mains encor pleine.

"Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson; Et, comme le soleil, de saison en saison

Je veux achever mon année.

Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin,
Je n'ai vu luire encor que les feux du matin,
Je veux achever ma journée.

"O mort! tu peux attendre: éloigne, éloigne-toi ;
Va consoler les coeurs que la honte, l'effroi,
Le pâle désespoir dévore.

Pour moi Palès encore a des asiles verts,
Les Amours des baisers, les Muses des concerts;
Je ne veux pas mourir encore."

Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois
S'éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix,
Ces voeux d'une jeune captive ;

Et secouant le joug de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliais les accents
De sa bouche aimable et naïve.

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle :

La grâce décorait son front et ses discours,
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d'elle.

QUAND

IAMBES

UAND au mouton bêlant la sombre boucherie Ouvre ses cavernes de mort;

Pauvres chiens et moutons, toute la bergerie

Ne s'informe plus de son sort!

Les enfants qui suivaient ses ébats dans la plaine,
Les vierges aux belles couleurs

Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine
Entrelaçaient rubans et fleurs,

Sans plus penser à lui, le mangent s'il est tendre.
Dans cet abîme enseveli,

J'ai le même destin. Je m'y devais attendre.
Accoutumons-nous à l'oubli.

Oubliés comme moi dans cet affreux repaire,
Mille autres moutons, comme moi

Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire,
Seront servis au peuple-roi.

Que pouvaient mes amis? Oui, de leur main chérie
Un mot, à travers ces barreaux,

A versé quelque baume en mon âme flétrie ;
De l'or peut-être à mes bourreaux....

Mais tout est précipice. Ils ont eu droit de vivre.
Vivez, amis, vivez contents!

En dépit de Bavus, soyez lents à me suivre;
Peut-être en de plus heureux temps

J'ai moi-même, à l'aspect des pleurs de l'infortune,
Détourné mes regards distraits;

A mon tour, aujourd'hui, mon malheur importune; Vivez, amis, vivez en paix.

L

MARIE-JOSEPH CHENIER

LE CHANT DU DÉPART

UN DÉPUTÉ DU PEUPLE.

A victoire en chantant nous ouvre la barrière;
La liberté guide nos pas,

Et du nord au midi la trompette guerrière
A sonné l'heure des combats.
Tremblez, ennemis de la France,
Rois ivres de sang et d'orgueil!
Le peuple souverain s'avance;
Tyrans, descendez au cercueil.

Chœur des guerriers.

La république nous appelle,
Sachons vaincre ou sachons périr;
Un Français doit vivre pour elle,
Pour elle un Français doit mourir.

UNE MÈRE DE FAMILle.

De nos yeux maternels ne craignez pas les larmes :
Loin de nous de lâches douleurs !

Nous devons triompher quand vous prenez les armes ;
C'est aux rois à verser des pleurs.
Nous vous avons donné la vie,
Guerriers, elle n'est plus à vous;
Tous vos jours sont à la patrie;
Elle est votre mère avant nous.

Chœur des mères de famille-La république, etc.

DEUX VIEILLARDS.

Que le fer paternel arme la main des braves;
Songez à nous au champ de Mars;
Consacrez dans le sang des rois et des esclaves
Le fer béni par vos vieillards;
Et, rapportant sous la chaumière
Des blessures et des vertus,
Venez fermer notre paupière
Quand les tyrans ne seront plus.

Chœurs des vieillards-La république, etc.

UN ENFANT.

De Barra, de Viala le sort nous fait envie ;
Ils sont morts, mais ils ont vaincu !
Le lâche accablé d'ans n'a point connu la vie !
Qui meurt pour le peuple a vécu.
Vous êtes vaillants, nous le sommes:
Guidez-nous contre les tyrans;

Les républicains sont des hommes,
Les esclaves sont des enfants!

Chœur des enfants-La république, etc.

UNE ÉPOUSE.

Partez, vaillants époux, les combats sont vos fêtes; Partez, modèles des guerriers;

Nous cueillerons des fleurs pour en ceindre vos têtes,
Nos mains tresseront vos lauriers!

Et si le temple de Mémoire
S'ouvrait à vos mânes vainqueurs,
Nos voix chanteront votre gloire,
Nos flancs porteront vos vengeurs.

Chœur des épouses-La république, etc.

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