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Le système de la défense de la frontière de Flandre a été, en grande partie, conçu par Vauban; mais cet ingénieur a été obligé d'adopter les places déjà existantes: il en a construit de nouvelles pour couvrir des écluses, étendre les inondations, ou fermer les débouchés importans entre de grandes forêts ou des montagnes. Il y a sur cette frontière des places de première, deuxième, troisième et quatrième force elles peuvent être évaluées à quatre ou cinq cent millions; construites en cent ans, cela ferait une dépense de quatre millions par an: 50,000 hommes de gardes nationales de l'intérieur suffisent pour les mettre à l'abri d'un coup de main, et au-dessus de la menace des batteries incendiaires; Lille, Valenciennes, Charlemont, peuvent donner refuge à des armées, ainsi que les camps retranchés de Maubeuge, de Cambray. Vauban a organisé des contrées entières en camps retranchés, couverts par des rivières, des inondations, des places et des forêts; mais il n'a jamais prétendu que ces forteresses seules pussent fermer la frontière: il a voulu que cette frontière, ainsi fortifiée, donnât protection à une armée inférieure contre une armée supérieure ; qu'elle lui donnât un champ d'opérations plus favo

rable pour se maintenir et empêcher l'armée ennemie d'avancer, et des occasions de l'attaquer avec avantage; enfin, les moyens de gagner du temps pour permettre à ses secours d'arriver.

Lors des revers de Louis XIV, ce système de places fortes sauva la capitale.—Le prince Eugène de Savoie perdit une campagne à prendre Lille le siége de Landrecies offrit l'occasion à Villars de faire changer la fortune; cent ans après, en 1793, lors de la trahison de Dumouriez, les places de Flandre sauvèrent, de nouveau, Paris; les coalisés perdirent une campagne à prendre Condé, Valenciennes, le Quesnoy, et Landrecies cette ligne de forteresses fut également utile en 1814: les alliés, qui violèrent le territoire de la Suisse, s'engagèrent dans les défilés du Jura, pour éviter les places; et même, en les tournant ainsi, il leur fallut, pour les bloquer, s'affaiblir d'un nombre d'hommes supérieur au total des garnisons. Lorsque Napoléon passa la Marne et manœuvra sur les derrières de l'armée ennemie, si la trahison n'avait ouvert les portes de Paris, les places de cette frontière allaient jouer un grand rôle; l'armée de Schwartzenberg aurait été obligée de se jeter entre elles, ce qui eût

donné lieu à de grands événemens. En 1815, elles eussent également été d'une grande utilité l'armée anglo-prussienne n'eût pas osé passer la Somme, avant l'arrivée des armées austro-russes, sur la Marne, sans les événemens politiques de la capitale ; et l'on peut assurer que celles des places qui restèrent fidèles, ont influencé sur les conditions des traités et sur la conduite des rois coalisés, en 1814 et 1815.

Le nouveau système que l'on propose est plus coûteux que celui de Vauban; il exige plus de garnisons, il est beaucoup plus faible. Trois lignes, chacune formée par six grandes places, exigent dix-huit grandes places, chacune entourée de quatre forts, lesquels éloignés des places, doivent avoir des abris, un bataillon de garnison, vingt-cinq pièces de canon, et demanderont un travail que l'on peut évaluer à celui de la place même. Ces trois lignes exigeraient donc la valeur de trente-six grandes places; mais ces quatre forts isolés seraient bloqués, assiégés et pris dans les sept premiers jours de l'investissement, avant même que la ligne de circonvallation ne fût terminée. Ils seraient merveilleusement placés pour la flanquer et l'appuyer; et, avant que la tranchée

ne soit ouverte, la garnison de la place verrait tomber au pouvoir de l'ennemi la moitié de son matériel, l'élite de ses bataillons; ce qui, certes, ne pourrait qu'influer beaucoup sur son moral.

La position que l'armée pourrait prendre entre ces quatre forts, ne lui offrirait aucune sécurité l'ennemi se camperait perpendiculairement à un des forts, le raserait en peu de jours, s'emparerait successivement des autres. Son équipage de campagne, en y ajoutant trente pièces de 24, lui suffirait pour cette opération. Vis-à-vis ce système, l'ennemi pourrait percer une trouée entre deux places, à deux marches de chacune d'elles, tandis que dans celui de Vauban, la trouée ne peut avoir lieu qu'à deux ou trois lieues entre deux places. Il serait aussi beaucoup plus facile de surprendre une des places de ce nouveau système.

Mais faut-il défendre une capitale en la couvrant directement, ou en s'enfermant dans un camp retranché sur les derrières ? Le premier parti est le plus sûr; il permet de défendre le passage des rivières, les défilés ; de se créer même des positions de campagne; de se renforcer de toutes ses troupes de l'intérieur, dans le temps que l'ennemi s'affaiblit insensi

blement. Ce serait prendre un mauvais parti, que celui de se laisser enfermer dans un camp retranché; on courrait risque d'y être forcé, d'y être au moins bloqué, et d'être réduit à se faire jour, l'épée à la main, pour se procurer du pain et des fourrages. Il faut quatre ou cinq cents voitures par jour, pour nourrir une armée de 100,000 hommes. L'armée envahissante étant supérieure d'un tiers en înfanterie, cavalerie et artillerie, empêcherait les convois d'y arriver; et sans les bloquer hermétiquement, comme on bloque les places, elle rendrait les arrivages si difficiles, que la famine serait dans le camp.

Il reste un troisième parti, celui de manoeuvrer sans se laisser acculer à la capitale què l'on veut défendre, ni renfermer dans un camp retranché sur les derrières; il faut, pour cela, une bonne armée, de bons généraux et un bon chef. En général, l'idée de couvrir une capitale, ou un point quelconque, par des marches de flanc, comporte avec elle la nécessité d'un détachement, et les inconvéniens attachés à toute dissémination devant une armée supérieure.

Après l'affaire de Smolensk, en 1812, l'armée française, marchan droit sɩ r Moskou, le

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