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tion de la noblesse, à la politique astucieuse du cabinet de Versailles, et à la force naturelle du talent et de l'esprit d'entreprise 1.

1. Le clergé était également exempt de la taille et de divers autres impôts. Il est vrai qu'on tirait de lui, sous forme de don gratuit, des sommes très-inférieures à ce qu'aurait produit un impôt régulier. Dupont de Nemours déclara à l'Assemblée constituante, dans la séance du 23 octobre 1789, que si le clergé au lieu du don gratuit, avait payé à l'Etat des contributions régulières, non sur le pied du tiers, mais seulement sur le pied de la noblesse, le trésor public aurait bénéficié, depuis 1600, d'une somme de deux milliards sept cent cinquante millions. Aux états de 1614, l'orateur du clergé, qui n'était autre que Richelieu, s'exprime en ces termes sur les exemptions dues à son ordre : « Quant aux vexations que quelquesuns des nôtres ont reçues par les recherches du sel et les impôts de la taille, auxquels on a voulu les assujettir indirectement à raison des biens roturiers qu'ils possèdent, n'est-ce pas une honte d'exiger des personnes consacrées au vrai Dieu ce que les païens n'ont jamais désiré de ceux qui étaient dédiés au service de leurs idoles? Les constitutions des empereurs et des conciles sont expresses pour nos exemptions. On a toujours reconnu par le passé que le vrai tribut qu'on doit tirer des ecclésiastiques est la prière.» (Coll. Michaud, 2e série, t. VII, p. 86 sq.) Personne n'ignore que le clergé possédait, en biens de mainmorte, une grande partie de la France, et qu'il tirait encore, de la dîme et de ses autres revenus, des sommes immenses. Treilhard (dans la séance du 18 décembre 1789) évalua les biens de mainmorte à la somme de quatre milliards; et, de son côté, le comité estimait à cent trente-trois millions le revenu de la dîme, Mettons que de ces cent trente-trois millions, quarante à peu près fussent absorbés par les collecteurs; que Treilhard se soit trompé d'un milliard dans l'appréciation des biens de mainmorte; défalquons un certain nombre d'édifices improductifs, et ne comptons le rendement des terres qu'à deux et demi les revenus du clergé, dans ce temps où l'argent avait plus de valeur qu'aujourd'hui, ne pouvaient pas être inférieurs à une somme annuelle de cent quatre-vingts millions. Cette fortune était très-inégalement répartie. Tandis que les curés à portions congrues ne touchaient que cinq cents francs, beaucoup d'évêchés valaient trois ou quatre cent mille livres de rente, Pour ne citer qu'un exemple, à la mort de M. de Beaumont, en 1781, il fut constaté que l'archevêché de Paris rapportait un revenu de sept cent mille livres. Sous Louis XIV, le clergé s'étant plaint des agents du domaine, le roi, par une déclaration du 29 décembre 1674, ordonna à tous les bénéficiers de fournir un état détaillé de leurs bénéfices. Il ne fut pas obéi. Le clergé obtint des délais jus

Exempts d'impôts, les nobles conservèrent le droit de percevoir des redevances et d'exiger des corvées, non pas, il est vrai, avec la même exagération et la même dûreté qu'autrefois; le roi se fit sa part et sa large part dans la substance du contribuable; mais il laissa au noble les droits utiles dont la légalité était constatée, et qui continuèrent à être considérés comme faisant partie de sa propriété. Parmi ces droits utiles, outre les redevances et les corvées, il faut compter surtout le droit de chasse, exclusivement réservé au noble, et qui s'exerçait même sur les terres du vassal, le droit de garenne, les droits de banalités, de lods et ventes, de péage et d'aubaine, le droit de banvin. Il y avait aussi des droits ridicules, comme cette neige qu'une abbesse devait recevoir de ses vassaux au mois d'avril, et des droits particuliers, comme le ban d'août, attaché à l'archevêché de Lyon, et qui causa une émeute en 1786. Tous ces droits subsistèrent jusqu'à la Révolution. S'il y eut un moment, sous l'administration de Turgot, où les droits féodaux les plus oppressifs parurent sérieusement menacés, l'opposition immédiate du parlement, qui affecta de les défendre au nom du principe de la propriété1, leur donna une consécration nouvelle, et Louis XVI,

qu'au 20 novembre 1725, où une nouvelle ordonnance fut rendue sous le ministère du duc de Bourbon. Le clergé résista encore, obtint une surséance de cinq années, la fit renouveler, et de surséance en surséance, gagna l'année 1785. Sous le ministère de Calonne, lę 2 septembre 1786, parut un arrêt du conseil qui donnait raison aux prétentions du clergé, tout en annonçant que la matière était mise à l'étude, et que le roi aviserait. Le contrôleur général renonça à exiger les vingtièmes pour les biens du clergé, mais il donna ordre de les porter sur les rôles, pour mémoire, » afin de savoir à quel chiffre ils se seraient élevés. Le clergé se plaignit hautement de cette prétention dans ses remontrances du 15 juin 1788. « On affecte, dit-il, de confondre les biens ecclésiastiques avec les biens laïques.»> On arriva ainsi à la Révolution, et au mois de novembre 1789, où tous les biens de l'Eglise furent mis par une loi à la disposition de la nation.

1. Séance du parlement du 23 février 1776. Le 12 mars, dans un lit de justice tenu à Versailles pour l'enregistrement de l'édit qui

qui, en 1779, avait donné le premier exemple de l'abolition des droits féodaux en y renonçant dans ses propres domaines, était si loin de contester la légitimité des droits qu'il abandonnait, qu'il répéta dans le préambule de l'édit, et plusieurs fois plus tard, que, si ces droits étaient onéreux, ils étaient justes; qu'on pouvait demander une renonciation aux seigneurs, mais non l'exiger; que, gardien de la propriété de ses sujets, si les réclamations des vassaux prenaient le caractère d'une spoliation légale, il ne souffrirait pas « qu'on portât la moindre atteinte aux droits féodaux de sa noblesse1. » L'avocat général Séguier disait en plein parlement, le 22 février 1766, que les droits féodaux font « partie intégrante de la propriété ; » et le 8 mai 1788, le roi lui-même mettait les justices seigneuriales au nombre des propriétés auxquelles il ne lui était pas permis de porter atteinte 2. Cette assimilation des droits féodaux et du droit de propriété était devenue, vers 1789, le mot d'ordre du parti de la cour. Le seul ministre qui comprît et appelât la Révolution, subissait sur ce point capital les préjugés de ceux qui l'entouraient 3. La même année qui avait vu abolir la corvée et les ju

abolissait la corvée et la remplaçait par un impôt sur toutes les classes, le premier président prononça ces étranges paroles: «Cet édit donne une nouvelle atteinte à la franchise naturelle de la noblesse et du clergé. » Le prince de Conti disait qu'il ne fallait pas supprimer la corvée, de peur d'introduire la confusion dans les Etats. C'est le même prince qui, à la veille de la Révolution, dans l'assemblée des notables de 1788, fit cette demande : « Que tous les nouveaux systèmes soient proscrits à jamais, et que les formes anciennes soient maintenues dans leur intégrité. »

1. Déclaration du roi, du 23 juin 1789.

2. « Nous n'avons pas oublié que les justices seigneuriales font partie du droit des fiefs; et la protection que nous devons à toutes les propriétés de nos sujets écartera toujours de nos conseils l'intention d'y porter atteinte. »

3. Il n'entrera jamais dans l'esprit du tiers état de chercher à diminuer les prérogatives seigneuriales ou honorifiques qui distinguent les deux premiers ordres dans leurs propriétés ou dans leurs

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randes en vit aussi le rétablissement. Les jurandes ne furent abolies que par la constituante; la corvée fut remplacée en 1786 par une prestation en argent, imposée aux seuls roturiers'. Un grand nombre de seigneurs conservérent, jusqu'au dernier jour, les droits de haute, basse et moyenne justice. Il est vrai que la haute justice ne s'exerçait plus sans appel, et que les juges seigneuriaux furent soumis de plus en plus à la surveillance et à l'autorité des magistrats royaux. Enfin, la plupart des dignités ecclésiastiques, toutes les charges de la cour, les grades dans les corps privilégiés, le gouvernement des provinces, places de grande représentation et de grand profit sans autorité, furent réservés à la noblesse. Même devant la justice, le noble et le roturier étaient inégaux; ils n'avaient ni les mêmes juges, ni les mêmes supplices. On décapitait le noble; on pendait le vilain, supplice infamant. Quand, au dernier jour de l'ancienne monarchie, Louis XVI convoqua les états généraux qui furent l'Assemblée nationale, tous les nobles furent électeurs; les roturiers n'élurent que par députés. On songea même un instant dans quelques coteries à demander pour tous les

personnes. (Necker, Rapport au roi sur le doublement du tiers, 27 décembre 1788.) - « Sont nommément exceptées des affaires qui pourront être traitées en commun, celles qui regardent les droits antiques et constitutionnels des trois ordres.... les propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles et les prérogatives honorifiques des deux premiers ordres. » (Art. 8 des déclarations du roi, 23 juin 1789.) — «Toutes les propriétés sans exception seront constamment respectées, et Sa Majesté comprend expressément sous le nom de propriétés, les dîmes, cens, rentes, droits et devoirs féodaux et seigneuriaux, et généralement tous les droits et prérogatives utiles ou honorifiques attachés aux terres ou aux fiefs, ou appartenant aux personnes. » (Ibid., art. 12.) Louis XVI disait, dans une lettre confidentielle adressée à l'archevêque d'Arles, en parlant de la nuit du 4 août : « Le sacrifice est beau; mais je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse. Je ne donnerai point ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient. >>

1. D'après le plan de Turgot, la prestation devait être assignée sur les vingtièmes, et par conséquent payée par tout le monde.

nobles possédant fief le droit d'entrer et de siéger aux états. Dans les corporations d'artisans, il y eut un électeur pour cent membres présents; dans les corporations de professions libérales, deux électeurs pour cent membres; les roturiers qui n'appartenaient à aucune corporation, furent assimilés aux corporations libérales, par la grâce de leur oisiveté, de leur inutilité. A tous ces signes, il est impossible de ne pas reconnaître le privilége dans sa force. En dehors de la noblesse, tous les corps organisés conservèrent également de leurs règlements et de leurs usages ce qui les séparait entre eux, et ne perdirent que ce qui les fortifiait contre l'action du pouvoir central. On a pu dire justement que le pouvoir royal avait laissé subsister la société féodale, en se contentant de régner sur elle 1.

Quand une organisation sociale survit à la politique dont elle est le produit, une révolution est inévitable. Comment y aurait-il association solide entre deux éléments dont l'un est la négation de l'autre? La féodalité en elle-même et quand elle réunissait le pouvoir politique aux priviléges sociaux, était déjà un contre-sens",

1. << Elle était demeurée la plus grande de toutes nos institutions civiles, dit M. de Tocqueville, en cessant d'être une institution politique.» (L'Ancien régime et la Révolution, liv. II, chap. 1.)

2. On connaît trop l'absurdité de certains priviléges féodaux pour qu'il soit nécessaire d'en citer des exemples. Nous n'apporterons que celui-ci, qui est doublement caractéristique. On lit dans le Journal de Barbier, février 1722 : « Le marquis de Chastellux a un beau droit dans l'église d'Auxerre; il a une préberde, et il a droit de venir à l'office en surplis et en épée, avec un chapeau de plumes sur sa tête, botté et éperonné, deux chiens qu'il tient en laisse d'une main, et un oiseau de proie sur l'autre. Et à la stalle où est sa place, il y a un anneau pour attacher la laisse des chiens, et quelque chose pour poser l'oiseau. » Il est curieux de voir exercer un pareil droit au XVIIIe siècle, et d'entendre des publicistes sérieux soutenir que si ce beau droit est attaqué, le principe de la propriété est en péril. A l'assemblée des notables de 1787, le comte de Chastellux, « premier chanoine héréditaire de l'église d'Auxerre, » figura comme élu général des états de Bourgogne.

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