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œuvre, au travailleur son salaire. C'est couper l'épi que le laboureur a semé, chasser l'architecte de la maison qu'il a construite; c'est arracher à l'orphelin les fruits de la sollicitude et de la tendresse paternelle. C'est outrager la liberté dans sa source, car c'est en arrêter le développement et en voler le produit. C'est mettre l'humanité au hasard entre l'état sauvage et le despotisme; en tous cas, c'est la livrer pieds et poings liés à la force, car c'est faire du pouvoir central le maître de notre travail, de notre vie privée; c'est lui mettre dans la main le cerveau et le cœur de chaque homme. Le droit de propriété est trois fois sacré, trois fois inviolable, car il représente le travail, la liberté et la famille.

Vous ne nous opposez que l'égalité et la faim. La faim! c'est un argument cruel; nous verrons si vous avez seul le droit de vous en servir. L'égalité! c'est un grand mot, aussi grand que la liberté. L'égalité, cela ressemble à la justice! Mais voyons quelle est votre égalité. C'est l'égalité de Procuste. Une égalité mathématique, par conséquent oppressive, car elle est contre nature; l'égalité entre Newton et un idiot, entre un travailleur et un débauché, entre saint Vincent de Paul et un assassin 1! Une égalité chimérique, car le courant de la vie la brisera en une heure. Vous aurez beau entasser les règlements, cadastrer la terre votre dieu Terme ne tiendra ni devant l'inégalité du travail, ni devant l'inégalité de la population, ni devant l'inégalité des ressources du sol, ni devant l'inégalité des aptitudes, ni devant l'injustice ou l'incapacité de vos fonctionnaires.

La faim, dites-vous! mais est-ce que la faim va disparaître parce que vous aurez couvert la terre de fonctionnaires, et remplacé toutes les influences sociales par des contre-maîtres? Est-ce que le lendemain de votre avé

1.

Ἐν δὲ ἰῇ τιμῇ ἡμὲν κακὸς ἠδὲ καὶ ἐσθλός.

(Iliade, chant IX, v. 319.

nement nous n'aurons pas aussi nos dévorants et nos prolétaires à vous reprocher? Est-ce que la grande fabrique va mieux marcher, donner de meilleurs produits et plus nombreux, mieux en rapport avec le nombre et la distribution géographique des citoyens, quand le savant calculera, quand le forgeron forgera sous la direction d'un fonctionnaire; quand les produits s'entasseront dans les magasins dont un fonctionnaire aura la clef, quand le travailleur et l'enfant impuissant dépendront également des fonctionnaires, et viendront chaque jour leur demander, un règlement à la main, la pâture, le vêtement et l'abri? Est-ce que ce monopole (car il n'y a rien de nouveau sous le soleil, et les marais de l'Égypte et les déserts de la Turquie connaissent les résultats du communisme), est-ce que ce monopole a rendu les gouvernements de l'Asie enviables aux Européens? Croyezvous de bonne foi remédier à l'impuissance du pouvoir central pour la direction du travail et pour la distribution des produits, en remplaçant le despotisme héréditaire par le despotisme élu? Et croyez-vous que la satisfaction intime d'avoir élu son maître empêche l'esclave d'avoir un maître, et le console de sa liberté et de sa dignité perdues?

Élection, que me veux-tu? Où est Babeuf, avec sa république des égaux? Que faites-vous, s'il y a élection et non tirage au sort, que faites-vous de l'égalité numérique? Vous combattez contre vos propres principes. Vous voulez l'égalité mathématique, et vous parlez d'élections. Vous voulez le bonheur et la dignité du travailleur, et vous lui ôtez la liberté. Vous voulez sa moralité, et vous supprimez la famille. Vous réclamez contre la violation. des droits du travail, et vous n'êtes pas autre chose que la spoliation des fruits du travail érigée en principe. Vous écrivez sur votre drapeau : « Du travail et du pain ! » Et si votre armée triomphait, il n'y aurait plus ni pain ni travail. Elle planterait ce drapeau sur un cimetière.

Pour nous, ce que nous demandons en défendant les droits de l'individu, la liberté individuelle, le travail individuel, ce que nous demandons, c'est la famille, c'est la sécurité du foyer, c'est le crédit, c'est la propriété solidement garantie, équitablement organisée; c'est une société qui aide l'homme, qui le secoure sans l'asservir. Le citoyen, pour nous, est l'homme qui ne relève que de Dieu pour l'avenir, de sa tête et de son bras pour le présent, et qui ne demande rien à l'État, qu'une impartiale justice.

Nous venons de montrer que la propriété doit être sacrée; nous allons montrer qu'elle doit être accessible. Comme on mettait autrefois sur un drapeau : « Liberté, ordre public; » nous voudrions écrire sur le nôtre ces deux mots, qui résument à notre avis la science économique « Sécurité de la propriété, liberté du travail! »

FIN DU PREMIER VOLUME.

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PARIS.

IMPRIMERIE DE CH. LAHURE ET Cie

Rues de Fleurus, 9, et de l'Ouest, 21

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