Page images
PDF
EPUB

M. le cardinal, et qui auraient fait mal passer le temps aux gens de l'ambassadeur. Ce qui fut un peu fâcheux, et qui doit avoir déplu à M. le cardinal, c'est que quelques Français s'avisèrent de courir avant les carrosses, l'épée nue, jusque dans Rome même. Le fait a paru un peu violent, et le procédé trop public. On s'attendait aujourd'hui à une bataille réelle, à l'occasion du cortège qui devait accompagner l'ambassadeur de Florence à Monte Cavallo *.

L'ambassadeur de l'Empereur armait publiquement; on ne s'endormait pas chez M. le cardinal, qui avait près de mille hommes sous les armes. Mais, une heure avant le départ, l'ambassadeur de Florence a jugé à propos de prétexter une indisposition, et a contremandé tous ses équipages. Il doit aller demain sans cortège à l'audience de S. S.: cela s'est fait de concert avec le Pape; et on est persuadé que l'ambassadeur de l'Empereur n'est pas fàché d'être sorti de cet embarras. M. le cardinal de Bouillon en doit être bien aise aussi. L'ambassadeur de l'Empereur, qui est haï ici extrêmement, courait grand risque. Vous voyez donc que ces deux ministres sont extrêmement animés l'un contre l'autre, et j'en sais bien la raison depuis trois mois, leurs dispositions sont changées; mais cela serait trop long à expliquer.

4. Montecavallo, palais situé sur la place Navone; les papes y résidaient habituellement.

5. « Le dimanche, 24 mai, le cardinal de Bouillon donna à Rome une nouvelle scène. Le marquis de Vitelli, ambassadeur extraordinaire du Grand duc, fit son entrée publique; le cardinal, dont les carrosses avaient été insultés deux fois par ceux du comte Martinitz, ambassadeur de l'Empereur, dans les entrées des cardinaux Cornaro et Grimani, envoya ce jour-là beaucoup de gens armés pour agir en cas de contestation. Dans les entrées publiques, il n'y a pas de rangs marqués; les cochers les plus hardis et les plus adroits passent les premiers. Le cocher du carrosse de l'ambassadeur, s'étant aperçu du grand nombre de gens armés, jugea à propos de se retirer dès PonteMolo (l'ancien Ponte-Milvio) pour ne rien risquer; ce qui n'empêcha pas les gens du cardinal d'accompagner le carrosse de leur maître l'épée à la main. On blåma fort le cardinal; car l'ambassadeur lui avait fait des excuses des insultes passées, et ils avaient tous deux vécu depuis dans une grande intelligence. Le mardi suivant, jour

Cette affaire est prise ici très diversement. La manière avec laquelle les choses ont été conduites a eu ses contradicteurs et ses critiques en très grand nombre. La seule haine qu'on porte à l'ambassadeur de l'Empereur pourra calmer les esprits sur le procédé du cardinal de Bouillon.

Je compte toujours partir vers le 8 du mois prochain, c'està-dire dans quinze jours, et je vais agir pour mon indult, sans plus attendre M. de Monaco.

On sait ici l'affaire des bénédictins avec les jésuites; mais elle ne fait aucun bruit, et on sera très favorable aux premiers.

Je n'entamerai point l'affaire de Sfondrate. Je sais, il y a longtemps, ce qui retient M. l'archevêque de Paris sur cela. Il croit par ses ménagements devenir cardinal. Le cardinal Albani se sert de ce moyen pour amortir son zèle, et croit par là pouvoir tout faire impunément pour le cardinal de Bouillon et M. de Cambrai.

Je verrai S. S. incessamment. Je dis ce qu'il convient sur la nécessité de défendre les écrits de M. de Cambrai explicatifs de son livre. Il faut toujours agir en France à cet égard de la manière la plus avantageuse, et parler sur la doctrine plus fortement que jamais : tout sera approuvé ici.

Au reste, le curé de Seurre est arrêté. Le Saint Office ne s'est pas fié aux diligences que pouvait faire le cardinal de

destiné à l'audience publique du marquis de Vitelli, le cardinal de Bouillon fit armer cinq à six cents hommes dans son palais. Ce héros s'en était allé dès le lundi à Frescati, pour n'être spectateur de la bataille que de quatre lieues; et il avait confié cette entreprise à Certes, qui était d'humeur à se tenir caché dans le palais pendant qu'on combattrait. Le Pape, averti de cet armement, le regarda comme un attentat à sa souveraineté, qui exposait Rome au pillage; il en fut outré de douleur, et envoya dire au marquis de Vitelli de ne pas venir à l'audience. Le vendredi 30, le cardinal, de retour de Frescati, fit demander audience au Pape, qui la refusa et dit qu'il attendait l'arrivée du prince de Monaco » (Phelipeaux, Relation, t. II, p. 285).

6. Mais elle obtint l'approbation de Louis XIV (Lettre du 15 juin, Affaires étrangères, Rome, t. 395, fo 316).

Bouillon. Il a dépêché sur son chemin, et ce malheureux a été arrêté à Florence; il doit être conduit ici incessamment1; on le dit même déjà arrivé. On prétend qu'il y a aussi des femmes arrêtées, qui lui tenaient bonne compagnie à Rome, et qu'il avait emmenées de France. Je ne sais que dire du cardinal de Bouillon sur tout cela. Il est assez probable qu'il aime mieux que ces malheureux soient arrêtés ici que s'ils l'avaient été en France: car, le secret des informations du Saint Office étant impénétrable, on ne saura rien de toutes les erreurs où le fanatisme de leurs maximes les a précipités. Fabroni et sa cabale ont fait le P. Gabrielli, l'un des examinateurs les plus zélés pour M. de Cambrai, général de son ordre.

On traverse tant qu'on peut notre procureur général des augustins".

Le cardinal Casanate et les autres cardinaux que j'ai vus trouvent très bon ce qu'on fait en France pour l'acceptation de leur décret ils sont fort contents qu'on ait donné le nom de constitution à leur bref.

Je me porte bien, Dieu merci, et ne respire qu'après le moment où je partirai d'ici, et surtout après celui où je vous reverrai.

1933. A ALPHONSE de Valbelle.

A Versailles, 28 mai 1699.

Je reçus ici hier au soir, Monseigneur, vos deux lettres de Cambrai du 25. Je me suis trouvé à portée d'en rendre compte à S. M., qui en a été

7. Voir plus haut, p. 12.

8. Gabrielli appartenait à l'ordre des feuillants; il fut compris dans la première promotion de cardinaux.

9. Serrani fut néanmoins élu général au mois de juin.

Lettre 1933. — L. a. n. s. Collection E. Levesque. Inédite.

1. Deux lettres rendant compte à Bossuet des séances de l'assemblé provinciale de Cambrai tenues le 24 et le 25 mai.

très satisfaite. Je n'ai pas oublié M. de Tournay. L'Église vous est obligée à tous deux. J'attendrai la suite, et en userai de même. Je vous envoie la lettre de M. de C[ambrai] au Pape en lui promettant

son mandement'. Si elle vient avant l'envoi de ce paquet, vous l'aurez; sinon, par le prochain ordinaire, sans manquer.

Vous savez mon très humble respect.

1934.

A ALPHONSE de Valbelle.

A Versailles, 30 mai 1699.

J'ai reçu, Monseigneur, votre lettre du 26 et,

2. On voit par le procès-verbal (OEuvres de Fénelon, t. IX, p. 189 et suiv.) que Valbelle s'est docilement inspiré des conseils et des arguments de Bossuet.

3. Ces deux prélats avaient réservé expressément le droit des évêques à être juges de la doctrine, conformément aux maximes de l'Église gallicane. C'est le 26, que Valbelle proposa de demander la suppression des écrits composés en faveur du livre condamné. Fénelon s'y refusa, disant, entre autres choses, qu'il n'avait aucune raison pour aller au-delà des termes du jugement porté par le Pape. Néanmoins, comme président de l'assemblée et contre son sentiment personnel, il conclut à la pluralité des voix que le Roi serait supplié d'ordonner la suppression des ouvrages faits pour la défense du livre des Maximes (Fénelon, Œuvres, t. IX, p. 203. On voit que, sur ce point, le récit de Saint-Simon est inexact: les évêques de Tournay et d'Arras n'ont pas pris parti pour leur métropolitain, quoiqu'ils se fussent bornés à donner leurs raisons de vive voix, sans vouloir les laisser par écrit). Le gros du monde, dit Saint-Simon, se tourna contre l'évêque de Saint-Omer; « la Cour même le blâma, et quand il y reparut, il n'y trouva que de la froideur parmi ceux même qu'il regardait comme ses amis et qui ne l'étaient ni de M. de Cambrai ni des siens >> (Tome VI, p. 159). Et ailleurs (t. XXVI, p. 73), Saint-Simon dit qu'en cette circonstance, Valbelle se déshonora. Daguesseau traite « d'indignes tracasseries » les procédés de ce prélat (OEuvres, t. XIII, in-4, p. 182).

4. Correspondance de Fénelon, t. X, p. 479.

Lettre 1934. — L. a. s. Communiquée par M. N. Charavay. Inédite.

avec celle du 27, le procès-verbal de votre assemblée'. Vous y avez dignement parlé et avec la plus grande modération et les plus douces insinuations qui soient possibles, sans qu'on se puisse plaindre que vous ayez tiré des explications très utiles, et mené la délibération à la fin que vous vous étiez proposée, à la pluralité des voix. Le parfait concert entre vous et Mgr de Tournay a produit un ouvrage de cette importance, et ce qu'a dit ce dernier prélat sur l'acceptation était nécessaire pour soutenir les droits de l'Église de France. Je m'en allai ce matin au levé dans le dessein de raconter au Roi ce qui s'était passé, si je n'avais trouvé M. l'archevêque de Paris dans la même volonté, outre que j'ai su aussi que S. M. avait reçu le procèsverbal. Il vous fera assurément beaucoup d'honneur, et bien assurément vous n'avez rien dit qui ne soit à propos, utile et digne de grande louange. Vous savez mes respects anciens et sincères.

J. BENIGNE, é. de Meaux.

1935. A L'ABBÉ BOSSUET.

--

A Paris, 1er juin 1699.

Selon l'ordre de votre lettre du 6, j'adresse ce

1. Procès-verbal de l'assemblée provinciale des évêques de la province de Cambray, tenue par les ordres du Roy à Cambray, au palais archiepiscopal en l'année 1699. Du vingt-quatrième May 1699, 24 p. in-4. Il a été reproduit dans les OEuvres de Fénelon, t. IX, p. 182 à 204.

2. Cf. Saint-Simon, t. VI, p. 159, et la lettre précédente, note 3. Lettre 1935. Copie des Bénédictins, au Grand séminaire de

Meaux.

« PreviousContinue »