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Le Télémaque de M. de Cambrai est, sous le nom du fils d'Ulysse, un roman instructif pour Mgr le duc de Bourgogne. Il partage les esprits: la cabale l'admire; le reste du monde trouve cet ouvrage peu sérieux pour un prêtreR.

7. Le Télémaque commençait à paraître, sans nom d'auteur, sous le titre de Suite du quatrième livre de l'Odyssée d'Homère, ou les avantures de Télémaque, fils d'Ulysse, Paris, 1699, in-12 (Cf. l'abbé Caron, Recherches bibliographiques sur le Télémaque, Paris, 1840, in-8; les OEuvres de Fénelon, t. XX; Bausset, Histoire de Fénelon, livre VI; Saint-Simon, t. VI, p. 156, et t. XXI, p. 292.)

8. Bossuet en portait le même jugement dans l'intimité, déclarant l'ouvrage « indigne non seulement d'un évêque, mais d'un prêtre et d'un chrétien, et plus nuisible que profitable au prince à qui l'auteur l'avait donné » (Ledieu, t. II, p. 12 à 14). Gaston de Noailles, évêque de Châlons, écrivait du Télémaque « J'y trouve de beaux principes de gouvernement et des maximes solides répandues dans le corps du livre; mais le style cause de l'indignation, il est poétique outré : je n'y vois rien d'admirable, les descriptions sont trop détaillées et le livre me paraît très dangereux et peu propre à inspirer à un jeune prince une éducation chrétienne..... » Et l'archevêque de Paris répondait : : « Télémaque n'est pas digne d'un prêtre, et ne convient point à l'éducation d'un jeune prince qu'on voulait élever chrétiennement >> (Bibliothèque Nationale, fr. 23206, fo 35, 9 octobre 1699). Mais le reste du monde lisait avidement et admirait l'ouvrage, dont les éditions se succédèrent rapidement, malgré les rigueurs de la police. « Dieu veuille que les instructions que contient ce livre fassent impression sur le duc de Bourgogne! écrivait la princesse Palatine. S'il s'y conforme, il deviendra un grand roi avec le temps » (14 juin 1699, édition Jæglé, t. I, p. 229; cf. p. 217). « Il y a de l'agrément dans ce livre et une imitation de l'Odyssée, que j'approuve fort... Je souhaiterais que M. de Cambrai eût rendu son Mentor un peu moins prédicateur, et que la morale fût répandue dans son ouvrage un peu plus imperceptiblement et avec plus d'art... La vérité est pourtant que le Mentor du Télémaque y dit des choses fort bonnes, quoique un peu hardies, et qu'enfin M. de Cambrai me paraît beaucoup meilleur poète que théologien... » (Boileau à Brossette, 10 nov. 1699, édit. Laverdet, Paris, 1858, in-8, p. 30). De son côté, Quesnel dit : « C'est un joli roman. Ayant été imprimé à Paris, on l'a fait arrêter. M. de Harlay m'en a fait donner un. Il est admirablement bien écrit... » (Correspondance, t. II, p. 62). Et Mme de Grignan : « Ce n'est point un archevêque qui a fait l'Ile de Calypso, ni Télémaque: c'est le précep

Bonsoir, bon retour.

N'oubliez pas, à Florence, de faire souvenir Mgr le Grand duc qu'il m'a fait l'honneur de me promettre son portrait et ceux de sa sérénissime famille, pour orner mon cabinet de Germigny avec ceux de mes

maîtres.

1927.

L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.

A Rome, ce 19 mai 1699.

Je vois avec plaisir, par la lettre de S. M. à MM. les archevêques1, le tour qu'on a pris sur la réception de la constitution. Je vous avoue que rien ne pouvait être plus selon mon goût et selon mes idées. Je me suis toujours bien attendu qu'en témoignant pour le Saint Siège le respect qui lui est dû, on ne laisserait pas avilir l'autorité épiscopale, et assurément on ne pouvait rien faire de plus canonique ni de plus authentique. La manière dont le Roi parle de la soumission de M. de Cambrai est telle que je souhaitais que le Pape en par

teur d'un grand prince, qui devait à son disciple l'instruction nécessaire pour éviter tous les écueils de la vie humaine, dont le plus fort est celui des passions. Il voulait lui donner de fortes impressions des désordres que cause ce qui paraît le plus agréable, et lui apprendre que le grand remède est la fuite du péril... Les poètes sont pleins d'une peinture terrible des passions: il n'y en a aucune de cette nature dans Télémaque; tout y est délicat, pur, modeste, et le remède est toujours prêt et toujours prompt, etc. » (A la suite de Mme de Sévigné, Grands écrivains, t. X, p. 508). Voir aussi le sentiment de Mme Dunoyer (Lettres galantes, Londres, 1757, in-12, t. I, p. 80), et de l'abbé de Saint-Pierre (Ouvrages de politique et de morale, Amsterdam, 1737, t. XII, p. 247). Les rigueurs du pouvoir à l'égard du Télémaque sont attestées par l'abbé Viguier, lettre du 20 décembre 1699, dans les Mélanges publiés par la Société des Bibliophiles français, en 1856, p. 271.

Lettre 1927. 1. Voir t. XI, p. 452.

2. Cf. la lettre circulaire du Roi aux métropolitains, t. XI, p. 453.

lât dans son bref à cet archevêque, pour l'engager peut-être plus qu'il ne veut, mais autant qu'il est nécessaire.

à

Aussitôt que j'ai eu reçu ces nouvelles, j'ai cru qu'il était propos de voir d'abord M. le cardinal Spada et puis S. S., pour connaître comment la conduite de la France serait ici prise, et avoir lieu de faire valoir le zèle du Roi et le respect qu'il témoignait en cette occasion pour le Saint Siège et la personne du Pape, ayant trouvé le moyen de suppléer à tous les défauts de formalité qui manquaient à la constitution.

M. le cardinal Spada était déjà informé par le nonce, qui ne lui avait pourtant pas envoyé copie de la lettre du Roi, et qui souhaita que je lui en fisse la lecture. J'arrêtai sur les endroits où il fallait, et qui marquent l'obéissance qu'on veut rendre au Saint Siège. Ce ministre m'en parut content, et me dit qu'il fallait regarder cette affaire comme une affaire finie; ce dont je l'assurai. Il eut la bonté de me dire que S. S. lui avait ordonné d'écrire à M. le nonce sur mon sujet, pour qu'il le témoignât au Roi, et j'en suis confus. Il a exécuté cet ordre dès l'ordinaire dernier, à ce qu'il m'a déclaré.

Après avoir vu M. le cardinal Spada, je vis le Pape, qui me combla de bontés, et qui me dit que je ne devais pas le remercier d'une chose à laquelle il était obligé après quoi, nous passâmes à ce que le Roi venait de faire, que je tâchai de lui expliquer de manière qu'il m'en parût content, aussi bien que de la conduite des évêques. Il me dit que le Roi aurait souhaité qu'on lui eût envoyé la constitution in cartapecora, c'est-à-dire en parchemin, voulant marquer par là qu'il n'y avait d'autre différence entre le bref et une bulle. C'est une plaisanterie du cardinal Albani, qui a cherché à tourner en ridicule la distinction qu'on faisait d'un bref d'avec une bulle. Je fus obligé d'expliquer doucement à S. S. de quelle importance étaient certaines formalités, quand il s'agissait de ne pas innover dans un royaume. Il me parut que le Pape entrait dans les raisons que je lui exposais, et je suis persuadé qu'il ne me parlera plus de cartapecora. La conversation roula un moment sur M. de Cambrai. Je vis bien, par la manière dont le Saint Père s'expliqua sur son

sujet, qu'il n'est pas bien persuadé que ce prélat croie encore avoir tort. Néanmoins, comme il veut finir, il fait semblant de penser favorablement de ses dispositions. Le bref qui devait lui être adressé lui est expédié, et en voici toute l'histoire de mots.

en peu

Dès qu'il eut été résolu dans la première congrégation qu'on écrirait un bref à M. de Cambrai, M. Gozzadini, secrétaire des brefs, fit la minute de celui-ci. Dans ces entrefaites arriva le mandement de M. Cambrai, avec une seconde lettre de ce prélat. Ces deux nouvelles pièces, jointes aux réflexions que je fis faire au Pape et aux cardinaux sur la première lettre de M. de Cambrai, furent cause qu'on changea un peu de plan : M. le cardinal Albani se fit tout remettre entre les mains, et composa un bref à sa mode. On le lut dans la congrégation du jeudi 7 mai, et on voulait que les cardinaux dissent surle-champ leurs avis; mais le cardinal Casanate insista pour qu'on envoyât copie du bref à chaque cardinal, afin de l'examiner avec plus de soin, et de donner leur avis avec plus de maturité, l'affaire étant très délicate et très importante, et dans des circonstances qui demandaient de la réflexion. En conséquence, il fut résolu qu'on enverrait le bref per manus : cela fut exécuté, et on en retrancha plus de la moitié. Le cardinal Casanate voulait qu'on prît une tournure différente, et il proposa même un autre projet du bref; mais, parce qu'il ne parut pas assez favorable à M. de Cambrai, ses partisans s'échauffèrent beaucoup pour empêcher qu'il ne fût adopté. L'amour-propre rendit le cardinal Albani encore plus ardent à soutenir son ouvrage; car il crut que c'était lui faire affront que de ne pas se servir du corps de sa lettre. Ainsi on s'en tint à son bref, avec les différentes corrections qui y avaient été faites. Le cardinal Casanate m'a avoué que, dans cet état même, il ne lui plaisait pas entièrement. Néanmoins il m'a assuré qu'on en avait retranché tout ce qui pouvait donner lieu à de nouvelles disputes, observant que, si on parlait de la piété de M. de Cambrai, cela ne touchait point au fond, vu que ce point était étranger à l'affaire.

Le projet du bref du cardinal Casanate était précis, et ne

contenait rien dont on pût abuser. On aurait dit à M. de Cambrai qu'on n'attendait pas moins de lui que la soumission qu'il témoignait dans son mandement, après avoir tant de fois protesté dans ses défenses qu'il se rendrait au jugement du Saint Siège; qu'on était bien aise de voir l'exécution de ses promesses, qu'on espérait et même qu'on ne doutait pas qu'il n'eût dans le cœur ce qu'il faisait paraître dans ses expressions; enfin qu'on l'exhortait à demeurer ferme dans ses résolutions, et de continuer à détester une doctrine et des principes dont il voyait résulter dans tout le monde chrétien de si pernicieuses conséquences. Voilà à peu près l'idée du bref que le cardinal Casanate avait proposé, et qu'il n'a pas été possible de faire approuver, à cause des amis de M. de Cambrai.

Enfin il avait été comme arrêté par le Pape qu'on enverrait le bref à M. le nonce, pour le communiquer au Roi et aux évêques, avant que de l'adresser à M. de Cambrai. Mais les amis de cet archevêque ont tant tourmenté le cardinal Spada et le Pape, qu'on a donné le bref à M. de Chantérac, et on s'est contenté d'en faire passer une copie à M. le nonce 3. Le cardinal Albani a assuré le P. Roslet du contraire, et l'en a persuadé. Mais ce que je vous dis est vrai; je l'ai voulu savoir du Pape même, qui me l'a confirmé; et M. le nonce a ordre de vous montrer cette copie, ainsi qu'à M. de Paris.

:

Il n'y a pas eu moyen, quoi que j'aie pu faire, d'avoir copie de la seconde lettre de M. de Cambrai, ni du bref qu'on lui écrit cela me confirme dans la pensée que cette seconde lettre n'est pas meilleure que la première. Je crois être bien informé que, dans cette lettre, M. de Cambrai rejette le malheur qu'il a eu sur la sublimité de la matière qu'il avait entrepris d'expliquer, et sur la faiblesse de son génie, qui n'a pu atteindre par des expressions convenables à une si haute doctrine; ce qui a fait qu'il a pu se tromper. Vous voyez l'artifice de cette pensée, et combien il est revenu

3. Cf. la lettre de Chantérac, du 14 mai (Correspondance de Fénelon, t. X, p. 573).

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