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santes, il osa demander l'archevêché de Cambray, auquel était attaché le titre de prince de l'Empire, et, qui plus est, I , le souvenir de Fénelon; et il l'obtint. Le régent lui demanda : Où trouveras-tu l'infâme qui consentira à te consacrer? Et pourtant la France dépensa, dit-on, huit millions pour obtenir à ce misérable le chapeau de cardinal, quand le pape, qui le lui accorda, aurait dû plutôt le chasser du sanctuaire.

Le duc d'Orléans, placé entre une gloire éclatante et de grands revers, a été jugé peut-être avec une sévérité excessive, et déprécié plus qu'il ne le méritait personne ne saurait nier toutefois que son gouvernement n'ait été signalé par des désordres déplorables. Les finances se trouvaient épuisées à tel point, qu'il manquait chaque année 77 millions pour faire face aux dépenses courantes; ce qui accumula une dette de 2,062,000, équivalant à 3,786,000 d'aujourd'hui.

Dubois, trouvant insuffisants les remèdes financiers qui avaient été proposés, présenta au Régent un homme qui promettait d'amortir la dette du royaume, d'augmenter les revenus et de diminuer l'impôt, en créant une valeur fictive équivalant à une valeur réelle. C'était l'Écossais Law, qui se vantait d'être le disciple de Locke et de Newton. Voyant que le crédit avait fait prospérer la Hollande, tandis que les autres nations luttaient contre la misère, il s'exagéra la puissance de cet élément de richesse et l'activité de la circulation. Voici comment il raisonnait : «< Faites abonder l'argent, et vous verrez l'industrie, la prospérité de la nation s'accroître; car avec l'argent vous pouvez commander le travail. On arrive à ce résultat moyennant des banques de circulation, qui permettent de faire autant d'argent qu'on en veut. Or toute matière apte à représenter des valeurs peut devenir argent, et le papier est plus propre à cet usage que les métaux. Le erédit individuel, c'est-à-dire celui des banquiers et des autres marchands d'argent, est funeste à l'industrie, attendu que les prêteurs avides traitent en despotes les travailleurs qui ont besoin de capitaux. Il faut substituer à la commandite du crédit individuel celle du crédit de l'État; le souverain doit donner le crédit, et non le recevoir. » Il

disait aussi qu'un artisan qui gagne vingt sous est plus précieux qu'un terrain qui rapporte 25,000 livres.

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« Un honnête négociant, ajoutait Law, fait des affaires pour le décuple de ce qu'il possède, et en retire un avantage décuple : si l'État attire à lui tout l'argent, quel bénéfice ne fera-t-il pas ? Mais Law se trompait, en ne calculant pas l'action vigilante de l'homme privé et sa bonne foi; il errait, en attribuant au crédit des effets dont il n'est que la conséquence. Il proposa au Régent de créer une banque d'escompte, moyennant laquelle le gouvernement aurait le bénéfice de tous les monopoles, faciliterait toutes les opérations de finance, et se procurerait assez d'argent pour subvenir à ses besoins démesurés. Il aurait fallu, pour remplir son but, une banque générale et nationale appelée à percevoir tous les revenus publics, et à exploiter tous les priviléges que le gouvernement aurait voulu lui accorder. Pour commencer ses opérations, la banque de Law obtint la ferme des monnaies, puis celle de tous les revenus publics, moyennant 52 millions par an, à la condition de prêter au roi 1,200 millions à trois pour cent, pour le remboursement des rentes perpétuelles.

Jusque-là tout allait pour le mieux : la banque ne compliquait point ses opérations de prêts ni d'affaires de commerce; elle correspondait dans les provinces avec les directeurs des monnaies; elle avait dans ses mains les caisses des particuliers, escomptait, recevait des dépôts, émettait des billets payables à vue et en monnaie inaltérable. La banque d'escompte raviva instantanément le commerce, éteignit l'usure, fixa le taux de l'argent, renoua les relations avec l'étranger: les richesses se trouvant multipliées par le crédit, et le commerce par la circulation, la fortune publique et privée se rétablit; les fortunes subites ne s'élevèrent pas sur la misère commune, mais au milieu du bien-être général. Seize cents séquestres furent levés dans la généralité de Paris; les manufactures s'accrurent de trois cinquièmes; une affluence énorme d'étrangers augmenta la consommation; on rechercha les jouissances et le luxe; les impôts sur les subsistances furent abolis; l'enseignement de l'université fut rendu gratuit, et des travaux publics furent entrepris.

Il ne faut donc pas s'étonner de cette ivresse générale qui s'empara de la France : c'était déjà quelque chose de prodigieux que d'avoir organisé si promptement des banques; que d'avoir fait couler l'or à flots là où l'on ne trouvait pas auparavant à emprunter à trente pour cent sur nantissement; que d'avoir procuré une valeur considérable à des billets dont personne ne voulait d'abord, et d'avoir fait succéder un vif enthousiasme au plus profond découragement '.

C'est alors que Law eut l'idée de fonder une vaste colonie (Mississipi); il organisa une compagnie pour exploiter les mines, cultiver les terres. Ce fut à qui participerait à cette spéculation : tout Paris courut dans la rue Quincampoix, le rendez-vous des agioteurs heureux qui pouvait changer son argent contre des actions dont la valeur s'éleva jusqu'à trente fois le capital! Nobles, négociants, dames et bourgeoises assiégeaient de grand matin la grille de cette rue : on y contractait par centaines de millions dans un jour; puis, le soir venu, on avait peine à mettre les gens dehors, et beaucoup passaient la

1 « Avec un fonds qui n'était que de six millions, dit M. Thiers dans sa célèbre notice sur Law, la banque put émettre jusqu'à cinquante et soixante millions de billets sans que la confiance fût le moins du monde ébranlée. La demande des billets s'élevait, au contraire, chaque jour, et les dépôts d'or et d'argent s'augmentaient à vue d'œil. Si Law s'en était tenu à cet établissement, il serait considéré comme un des bienfaiteurs de notre pays, et le créateur du plus beau système de crédit; mais son impatience, jointe à celle de la nation chez laquelle il opérait, amena un établissement gigantesque et désastreux. Law songeait toujours à réunir en un vaste ensemble la banque, l'administration, les revenus publics et les monopoles. Il résolut, pour arriver à ce résultat, de constituer à part une compagnie de commerce à laquelle il rattacherait successivement différentes attributions à mesure qu'elle réussirait, et qu'il finirait par réunir à la banque générale. Composant ainsi séparément chaque pièce de sa vaste machine, il se proposait de les réunir ensuite, et d'en former le grand ensemble, objet de ses méditations. » (AM. R.)

* Sous le titre de compagnie des Indes occidentales, elle devait réunir le commerce de la Louisiane, découverte récemment, et la traite du castor dans le Canada. (AM. R.)

nuit à l'endroit même, pour se trouver les premiers arrivés le lendemain. Law vendait jusqu'à 30,000 francs la lieue carrée de terres que personne n'avait vues; et les acheteurs y envoyaient des colons pour les défricher, en assignant à chaque famille deux cent vingt arpents. Comme il était plus commode d'avoir en poche des billets que de l'or pour négocier les actions, ils se soutinrent de préférence au numéraire. Le gouvernement n'avait autre chose à faire qu'à émettre de nouvelles actions; c'était une faveur que de les obtenir de première main, c'était de plus un moyen de se faire bien venir du pouvoir.

Le Régent et les plus grands seigneurs assistèrent à l'assemblée des actionnaires, qui reçurent, pour un seul semestre, sept et demi pour cent. Le duc d'Orléans, qui se flattait de l'idée de mettre la dette publique à la charge de la compagnie, la favorisa moins peut-être par illusion que par calcul; il ne tint aucun compte des remontrances du parlement, et nomma Law contrôleur général des finances. Il fut décidé que les billets de la banque seraient reçus comme argent comptant dans les caisses publiques; elle fut même déclarée banque royale, et il fallut bientôt la soutenir à coups d'ordonnances et de prohibitions 1. On ne garda plus de proportion entre l'émission des billets et le capital qui les garantissait : ces billets furent portés à 70, puis à 100 millions et jusqu'à un milliard. Le dividende s'éleva en 1720 à quarante pour cent, et les actions haussèrent jusqu'à la valeur de 18 et 20,000 livres.

Ce fut ainsi qu'une institution très-utile se corrompit. Ces rapports de la banque royale avec la compagnie des Indes introduisirent un agiotage effréné ; le Régent voulut en faire une machine financière qui pût servir docilement à ses besoins, au lieu de lui laisser l'indépendance d'une institution commerciale. Law dut marcher d'accord avec le gouvernement dans une voie de concessions réciproques, de priviléges momentanés, d'expédients

'Law avait parcouru l'Allemagne et l'Italie, offrant le plan de sa banque à tous les gouvernements. Victor-Amédée, duc de Savoie, l'éconduisit, en lui disant : « Je ne suis pas assez puissant pour me ruiner. » (AM. R.)

paye

ruineux, sans considérer l'avenir. La défense de faire des ments en argent au delà de 600 livres obligea tout le monde d'avoir des billets; la poste ne transporta plus de numéraire; enfin il fut défendu d'avoir chez soi plus de 600 livres effectives, soit en or, soit en argent, les orfèvres exceptés. Ainsi une banque instituée pour activer la circulation du numéraire finit par interdire l'or et l'argent, et par altérer les monnaies. Elle devait favoriser la liberté, et chaque maison fut remplie d'espions pour dénoncer quiconque gardait de l'argent comptant; au lieu du génie de l'industrie, on n'invoqua plus que le démon de l'agiotage.

Law, qui avait proclamé que le crédit n'existe qu'à la condition d'être libre, ne cessait de solliciter des ordres pour le rendre obligatoire. Il avait trop compté sur la mode, toute-puissante en France, mais qui passe vite; il avait compté sur l'association universelle sous un gouvernement gangrené par l'égoïsme, et qui ne voyait que son propre gain où Law ne considérait que le bien public. Alors commença une série d'édits désastreux, qui ruinèrent de plus en plus le crédit. Déjà les billets avaient perdu quatre-vingt-cinq pour cent. Vingt mille familles se trouvèrent réduites à la misère pour enrichir un petit nombre de fripons; et le peuple ne pouvait se procurer du pain, les mains pleines de ces symboles menteurs d'une richesse anéantie. Ce songe si brillant était suivi d'un déplorable réveil.

Law fut destitué, et on mit des gardes près de lui pour le défendre contre la fureur populaire et protéger sa fuite. Les opinions sur lui sont encore divisées. Il se trompa en croyant que l'accroissement indéfini des espèces, qui représentent les richesses réelles, accroîtrait indéfiniment la richesse publique, et que le papier-monnaie, signe conventionnel, sans valeur hors de l'État, pourrait remplacer les espèces métalliques acceptées de toutes les nations; mais ses intentions étaient grandes et généreuses. Voici les bons côtés de sa tentative: les classes et les partis se mêlèrent sur le terrain de l'agiotage; l'inégalité de castes disparut dans l'égalité de l'imprudence et de l'avidité; la prodigieuse mobilité des fortunes détruisit l'éclat attaché aux noms aristocratiques; on prodigua à Law, plébéien étranger, les

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