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tional, elle vit son commerce et son industrie s'accroître sans mesure. Possédant la première le levier puissant du crédit, inaccessible à ses ennemis par sa position, forte d'un esprit public développé par les lois, elle n'aspire pas à conquérir sur le continent, mais elle s'oppose à quiconque prétend y dominer. Est-elle menacée dans ses possessions lointaines? elle bouleverse l'Europe pour détourner l'attention; elle poursuit, sans s'arrêter un instant, sa marche conquérante dans l'Inde, qui l'indemnisera le jour où ses colonies d'Amérique, après avoir secoué son joug, deviendront une nouvelle Angleterre.

L'Empereur, comme souverain des Pays-Bas, eut à subir l'alliance forcée de la Grande-Bretagne. Le Portugal, pour s'assurer un appui pendant la guerre, ruina son commerce au profit de l'Anglais par le traité de Méthuen (1703). Quant à la Savoie et aux princes d'Allemagne, l'Angleterre pouvait toujours les acheter par des subsides que lui procurait le système des emprunts, instrument encore nouveau, mais déjà puissant dans ses mains.

La Hollande, créée par le patriotisme et la constance, et qui; dans sa lutte héroïque contre l'Espagne et contre Louis XIV, avait grandi au point de rivaliser avec l'Angleterre, reconnaissait ce qu'il en coûte de se mêler aux querelles des grandes puissances. Elle signa, à la paix, sa propre décadence: renonçant à tenir sur pied des forces suffisantes, elle descendit dans l'opinion, et se réduisit à n'être ni assez forte pour commander, ni assez obscure pour désarmer l'envie.

L'Allemagne possédait deux grandes puissances militaires; elle voyait, en outre, ses princes occuper plusieurs trônes de l'Europe; et son rôle toutefois ne grandissait point, parce qu'il lui manquait des intérêts communs et une constitution bien

assise.

La politique avait élevé la Savoie pour tenir tête à la France; de même, elle fortifia contre l'Autriche la Prusse, qui parvint à se faire, sous des princes habiles, une grandeur artificielle, et qui suppléa, par l'emploi des forces morales et intellectuelles, à ce qui lui manquait en force numérique et compacte.

L'empire russe, transformé par la main d'un grand homme, dans le siècle précédent contracte des liens plus étroits avec

l'Europe; il appelle la civilisation du dehors au détriment de son développement original, et sa puissance s'accroît ainsi que son influence.

La France, qui jusque-là avait dirigé avec hauteur la politique européenne, se trouve descendue au second rang, quoiqu'elle eût réussi à dominer de l'autre côté des Pyrénées 1. Mais le progrès intellectuel vient constituer pour elle une nouvelle influence; et si, dans le siècle précédent, elle avait enfanté des chefs-d'œuvre dont la perfection rappelait les temps de Périclès et d'Auguste, elle va répandre dans celui-ci ses idées par toute l'Europe. Mais à cette propagande des doctrines s'associe la dépravation morale: les classes moyennes sont saines, les hautes classes sont corrompues; la raison populaire devance de beaucoup celle du gouvernement: de là entre les pouvoirs des limites mal définies, une administration vacillante au dedans, une politique sans énergie au dehors.

La Pologne s'obstine à ne pas se transformer, à ne pas avancer; et le moment viendra où elle se verra conquise sans avoir combattu.

La Suisse conserve l'esprit militaire, mais pour le service d'autrui; elle gagne de l'argent, et perd de sa considération.

En Italie l'étranger règne sur la Lombardie, où il s'applique toutefois à régénérer ce beau pays. Un demi-siècle de paix va permettre aux habitants d'acquérir des richesses et de la science; mais, n'étant excités ni par de grandes craintes ni par de grandes espérances, ils s'amollissent, et l'on verra dans ce pays

'C'est en raison même de ce résultat, que Louis XIV avait poursuivi douze ans au milieu d'une guerre désastreuse, qu'il est permis de contester cette assertion de l'historien que la France était tombée alors au second rang des puissances. Il est vrai qu'elle était sortie des grandes guerres de Louis XIV épuisée d'hommes et d'argent; mais les autres États n'avaient pas été épargnés davantage; et si plusieurs d'entre eux y avaient obtenu des accroissements de territoire, la France s'était assuré dans l'Espagne une alliée. On vit d'ailleurs, dès la première guerre qui vint à éclater, la France acquérir la Lorraine, et placer une partie de P'Italie sous le sceptre de la maison de Bourbon. (Am. R.)

plus de bon vouloir chez les princes que de bonnes et stables institutions.

Les grandes puissances, qui avaient imposé à l'Europe la paix d'Utrecht, avaient eu peu de souci des intérêts et des sentiments du plus grand nombre; aussi tous ceux qu'elles avaient sacrifiés se plaignaient-ils. La succession protestante, assurée en Angleterre, blessait la foi de tous les catholiques et la loyauté des légitimistes. La barrière de fortifications élevée entre la France et les Pays-Bas, entretenue aux frais de l'Autriche, était tout à la fois une charge pour cette puissance et un embarras pour toutes trois. La séparation perpétuelle des deux couronnes de France et d'Espagne était un acte de bonne politique; mais elle avait cependant contraint de changer l'ordre de succession. Le partage de la monarchie espagnole entre la France et l'Autriche ne profitait en rien aux neutres, en même temps qu'il déplaisait aux deux États intéressés '. Charles VI, chef de la maison d'Autriche, considérait comme lui ayant été ravies les couronnes que portait Philippe V, et il en gardait rancune à la France ainsi qu'aux puissances maritimes. Cette politique à la fois artificielle et violente ne pouvait avoir de durée, dépourvue d'idées qu'elle était aussi de nouvelles intrigues de cabinets et des ambitions de familles recommencèrent-elles à troubler l'Europe.

Au faîte de cet édifice de petits États qui s'intitulait le SaintEmpire Romain, apparaissait la maison d'Autriche, qui possédait la Hongrie, la Bohême, et l'archiduché d'où elle tirait son nom. Elle avait acquis, par le traité d'Utrecht, Milan, Mantoue,

Toutes les puissances, à l'exception de l'Espagne, se montrèrent néanmoins désireuses de maintenir la paix d'Utrecht. Quand les vastes projets d'Alberoni pour ressaisir les pays démembrés de la monarchie espagnole furent connus, la France, l'Angleterre, la Hollande formèrent la triple alliance, qui avait pour but d'y mettre obstacle ( 1717-1718); l'Empereur s'y joignit bientôt, et cette quadruple alliance força l'Espagne de renoncer à ses projets. La Sicile et la Sardaigne, qui avaient été reconquises par les Espagnols, furent, la première donnée à l'Autriche, la seconde attribuée comme échange au duc de Savoie. (AM. R.)

la Sardaigne, les Pays-Bas ; à la paix de Passarowitz, le ba de Temeswar, Belgrade, et la Servie; en tout vingt-cinq | lions de sujets et soixante-quinze millions de revenus. Mais accroissements de territoire ne sont profitables qu'avec bonne administration. A défaut de cela, ils ne font qu'offrir plus vaste champ aux agressions. Après avoir perdu les li de famille qui l'unissaient à l'Espagne, l'Autriche resta t jours moins active que passive, soigneuse de conserver s négliger les occasions de s'agrandir, servant à maintenir quilibre des autres puissances, mais sans imprimer le mou

ment.

Tout en augmentant son territoire, l'Autriche perdit de s influence, par la politique étroite de Charles VI et sa conde cendance envers les princes qu'il voulait rendre favorables à Pragmatique sanction. Tel était le nom d'un statut par lequ il transmettait à l'une de ses filles, faute d'héritier mâle, la su cession de ses États héréditaires. Soit malheur, soit faute, l'A triche, sous son règne, fut continuellement en guerre; e malgré ses agrandissements, Charles VI la laissa épuisée. N'e timant que les Espagnols, il traitait de grossiers les Allemand Faisant du cérémonial sa plus importante affaire, il s'occupa de commérage, de chasse et autres passe-temps frivoles. Il abar donnait l'État à ses ministres, quoiqu'il se gardât bien, comm tous les princes faibles, de se montrer dominé en rien. Avid de gain, il laissait la diplomatie étrangère fonctionner auprè de lui à prix d'argent. En s'adressant à lui une bourse à 1 main, les traitants obtenaient directement la perception de droits, ou toute autre entreprise qui pouvait être l'objet d'u marché. Mécontent de ses ministres, vendu par les agents su

Le traité de Passarowitz fut conclu, sous la médiation de l'Angleterre et de la Hollande, le 21 juillet 1718, entre Venise et l'empereu Charles VI d'une part, et la Turquie de l'autre. Cette paix termina la guerre que la Porte avait déclarée à la république de Venise, pour lui enlever la Morée. La Turquie en resta maîtresse. L'Autriche y acquit grâces aux victoires du prince Eugène, une portion de la Valachie et de la Croatie, Belgrade, et le banat de Temeswar. (AM. R.)

balternes, humilié par les puissances maritimes, Charles VI vit la Lorraine enlevée à l'Empire et à son propre gendre'. Il céda une partie du Milanais et le reste de l'Italie, épuisa le trésor et l'armée. Mais peu lui importait, pourvu qu'il arrivât à faire accepter sa Pragmatique sanction. Durant ses vingt-sept années de règne, toute sa politique n'avait tendu qu'à assurer à sa fille Marie-Thérèse l'hérédité de ses possessions autrichiennes. L'Espagne, la Russie, le Danemark, la Grande-Bretagne, les États généraux, l'Empire, et enfin Louis XV, avaient garanti cette Pragmatique sanction. Mais quand l'Empereur se targuait de ces vaines assurances, le prince Eugène lui répondait : Mieux vaudraient deux cent mille baïonnettes. Eugène parlait en soldat: assurément Charles VI eût mieux fait, puisqu'il n'était point question de consulter les peuples, de préparer à sa fille une bonne armée et de riches économies, pour faire valoir ses droits à tout événement. Mais c'est à quoi il n'avait pas pourvu ; et à peine eut-il fermé les yeux (1740), qu'il surgit une foule de prétendants à ce patrimoine amassé avec tant d'efforts et d'industrie par l'Autriche.

Marie-Thérèse se proclama souveraine des États héréditaires, et institua son mari François de Lorraine corégent. Mais ces pays, il fallait s'en rendre maître, et elle n'avait que cent mille florins en caisse et trente-six mille soldats, outre les garnisons d'Italie et des Pays-Bas; la capitale était affamée, et des ennemis surgissaient de toutes parts. C'est alors qu'éclata la guerre de la succession d'Autriche, qui fit la grandeur de la Prusse.

L'accroissement de la Prusse est un prodige de la puissance de l'homme. Ce royaume n'a ni frontières naturelles, ni unité de langue ou de race : il a été constitué uniquement par la guerre et par la politique. Dépendant en partie de la Pologne, en partie de l'ordre Teutonique, Albert de Brandebourg, grand maître de cet ordre, sécularisa son fief au temps de la Réforme,

Par la paix de 1735 la maison de Lorraine obtint le duché de TosCine en compensation de la Lorraine, qui fut donnée comme souveraineté viagère à Stanislas Leczinski. (AM. R.)

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