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quoi se seraient-ils montrés lâches à Antrodoco seulement? Il ne faut pas oublier que la jalousie des royalistes avait fait écarter du service un grand nombre d'anciens officiers, et que les gouvernements successifs avaient sans cesse introduit de brusques changements dans la discipline et dans la tactique. 'Ainsi l'armée napolitaine avait été organisée à l'espagnole jusqu'en 1780 on voulut alors la reconstituer, en empruntant à la fois quelque chose aux deux tactiques prussienne et française; on fit tout à la française sous Murat; enfin, lorsqu'elle fut réunie à l'armée de Sicile, le système anglais succéda; et ces continuels changements furent autant d'épreuves fâcheuses pour cette armée.

On avait cru d'ailleurs qu'une révolution tout intérieure et unanime n'aurait pas à recourir aux armes; le peuple répétait dans ses chants que sa plus grande gloire était de n'avoir pas coûté une goutte de sang. On voulait, en restant désarmé, montrer toute sa confiance dans une cause sainte, et éviter tout prétexte d'intervention, en ne donnant pas lieu de craindre une invasion au dehors. De là cette précipitation à s'armer quand le péril se fut manifesté; puis l'insuffisance des approvisionnements, les jalousies, l'inexpérience d'un gouvernement nouveau en face d'un ennemi déterminé, et bien appuyé sur ses derrières, suffisent certes pour expliquer les défaites qu'on éprouva, sans les imputer à des trahisons, et encore moins à la lâcheté.

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La Sicile subit le même sort que Naples; Messine succomba la dernière, et l'occupation autrichienne s'y prolongea longtemps. Alors vinrent les persécutions, les juntes d'enquête; Canosa, redevenu ministre de la police, exerça une inquisition implacable la bastonnade fut appliquée publiquement; il remplit les prisons, et les espions pullulèrent; des bandes se formèrent dans les provinces, et cette restauration absolutiste fut aussi prodigue de sang que la révolution en avait été avare. Parmi les militaires, beaucoup perdirent leurs grades, d'autres furent jetés dans les forteresses autrichiennes; et le roi prit à sa solde dix mille Suisses, à des conditions exorbitantes. On crut mettre la pensée en quarantaine en frappant de droits

énormes les productions de la presse étrangère : ce qui ruina le commerce de librairie, jusque-là très-florissant.

Ferdinand, redevenu absolu, décréta que Naples et la Sicile, obéissant à un seul roi, seraient administrées séparément, chacune avec ses impôts, sa justice, ses finances et ses employés particuliers; et que les lois et décrets seraient examinés par des consultes séparées à Naples et Palerme. Il mourut au commencement de 1825, après soixante-cinq ans de règne.

La révolution de Naples ne serait pas tombée si vite, si elle eût marché d'accord avec celle du Piémont. Les idées du temps s'étaient aussi répandues dans ce pays, irrité de l'entêtement du roi à faire revivre le passé. La confiance publique et la bonne administration avaient cessé à la fois. On avait laissé la féodalité se relever, et les employés inutiles pulluler; de façon qu'il y avait, à côté des habitudes à la française, la résistance à toute innovation : pas d'hypothèques, de réformes administratives, pas de hiérarchie judiciaire; des juges mal payés, forcés de prélever sur les plaideurs un salaire légal, auquel s'ajoutait un supplément illégal de longueurs et de corruption. Les ordonnances royales s'immisçaient dans les affaires privées, pour imposer des délais ou des transactions aux créanciers, pour suspendre les procédures contre les banqueroutiers, pour casser ou altérer les contrats, pour revenir sur des causes déjà vidées. Ajoutez une noblesse de cour privilégiée, une police arbitraire, une armée dispendieuse autant que mal disposée à ce qu'il y a de plus difficile, c'est-à-dire à passer rapidement de l'état de paix à l'état de guerre. Il ne restait plus de barrière au pouvoir absolu; on avait laissé tomber jusqu'au droit qu'avait le sénat d'enregistrer les édits royaux, au point qu'un ministre put dire « Ici il y a un roi qui commande, une noblesse qui l'entoure, et un peuple qui obéit. »

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Le roi Victor-Emmanuel, tout entêté qu'il fût à regarder comme non avenus les vingt ans de domination française,

L'édit du 21 mai 1814 abolit toutes les ordonnances émanées des Français, sauf celles qui concernaient les impôts. Les constitutions de 1760 furent remises en vigueur.

montrait pourtant des intentious si bienfaisantes, qu'il était respecté de tous ses sujets. On savait que ses ministres avaient déjà élaboré un statut inspiré par de nobles et larges pensées, et que s'il n'était pas mis à exécution, il fallait s'en prendre à l'Autriche, dont le voisinage paraissait blesser l'indépendance du royaume.

Et, de fait, depuis que l'Autriche avait réuni l'État vénitien à la Lombardie, et établi des souverains de son sang à Parme, a Modène, en Toscane, le Piémont, malgré l'acquisition de Gênes, n'était plus l'État prépondérant en Italie. Gênes, au contraire, l'affaiblissait plûtôt : car ses patriciens haineux regrettaient leur vieille domination; les gens éclairés souffraient impatiemment l'absolutisme; le peuple se rappelait l'époque républicaine, où il ne payait point d'impôt. Et comme il y avait à défendre la ville moins contre l'étranger que contre les citoyens, il était besoin pour cela de plus de soldats que n'en fournissait l'État génois.

Les esprits généreux caressaient donc le rêve de refouler l'Autriche au delà des Alpes, et de mettre le Piémont à la tête de l'Italie régénérée. Ces idées étaient entretenues par le bruit répandu que l'Autriche voulait forcer le roi à recevoir garnison allemande, et à prendre part à la guerre contre Naples; on lui prêtait même le dessein de mettre la main sur le royaume par un mariage, au détriment de l'héritier présomptif, le prince de Carignan.

L'exemple devint contagieux aussi pour le Piémont : on en vint à parler tout haut d'indépendance menacée, de constitution, d'unité italienne; et les sociétés secrètes nouèrent des intelligences avec celles du Milanais. L'occasion parut belle à saisir quand les Autrichiens, qui couvraient la frontière, prêts à étouffer la première étincelle, se mirent en marche sur Naples. A coup sûr, se disait-on, les héros populaires tiendront longtemps tête à l'ennemi; les monts sont les barrières de la liberté, et les brigands même qui s'y retranchent sont indomptables. L'insurrection, pendant ce temps, s'étendra sans obstacles dans le Piémont; Milan la secondera; la Romagne et les petits États ne tarderont pas à suivre, et toute l'Italie supérieure se trouvera

constituée avant que les Impériaux puissent revenir pour l'attaquer. La France elle-même favorisera, au moins sous main, le mouvement des Italiens; car il est extrêmement important pour elle que l'Autriche n'entre point à main armée dans un pays aussi rapproché de sa frontière.

Mais quelle constitution adopter? Celle d'Espagne, de France, ou d'Angleterre ? Pourquoi ne savait-on qu'imiter toujours, au lieu d'asseoir l'édifice sur des bases historiques et nationales? Pour décider du choix, on députa trois émissaires à la vente de Paris, où se groupaient les libéraux d'Espagne, les radicaux d'Angleterre, les carbonari d'Italie : ce fut la constitution espagnole qui eut la préférence. Mais le gouvernement français en prit ombrage, et il en donna avis au gouvernement piémontais, qui fit arrêter au retour le prince de la Cesterna, et tint dans sa main tous les fils de la trame. Mais la résolution lui manqua pour les rompre; d'autres les renouèrent; il en résulta des retards et des ressentiments.

Tandis qu'à Turin les hésitations du prince de Carignan arrêlaient tout, la révolte éclatait parmi les militaires à Fossano et à Alexandrie (10 mars). Bientôt le cri Italie! est dans la bouche de tous les soldats; ils répètent qu'il est temps d'affranchir le roi de la domination de l'Autriche; et l'armée entre dans Turin au cri de Vive la constitution! mort aux Allemands! La proclamation du général Santarosa était conçue en termes respectueux pour le roi. Elle exprimait le désir de le mettre en état de suivre les mouvements de son cœur vraiment italien, et de donner à son peuple les moyens de faire connaître, avec une honnête liberté, ses vœux au chef de l'État, comme il convient entre un père et des enfants. Le roi, qui savait la déclaration de Troppau, et la résolution des souverains alliés, opposés fermement à toute innovation, déclara qu'il n'autoriserait rien qui pût fournir aux étrangers un prétexte pour envahir un pays qui lui était cher; et, fidèle à sa résolution, il descendit loyalement d'un trône qu'il ne voulait pas souiller par le parjure.

Le duc de Gênes, héritier de la couronne, se trouvait alors à Modène; il désapprouva aussitôt la constitution, et qualifia de rébellion toute atteinte portée à la plénitude de l'autorité royale.

Charles-Albert, prince de Carignan, que Victor-Emmanuel avait créé régent du royaume après de longues hésitations, avait juré la constitution espagnole; mais il n'avait pu se résoudre à déclarer la guerre à l'Autriche, à convoquer les colléges électoraux, ni à accepter les offres des Lombards: il avait aussi laissé échapper le moment décisif. Dès qu'il eut appris la déclaration du nouveau roi, il ne crut pas pouvoir demeurer parmi ses anciens compagnons ; et, impuissant à maîtriser la révolution, il se retira vers l'armée royaliste, que le comte Sallier de la Tour avait concentrée à Novare. La Lombardie, soit hésitation des chefs, soit défaut de concert, ne répondit pas au mouvement de ses voisins; la Savoie se déclara aussi pour le roi. La discorde se mit parmi les libéraux eux-mêmes, les uns voulant la constitution française, les autres celle d'Espagne; ceux-ci se déclarant unitaires, ceux-là fédéralistes. Bien qu'ils eussent proclamé l'indépendance nationale comme étant leur premier but, ils adoptèrent une constitution étrangère, afin de pouvoir tout au moins offrir un symbole au pays. Une junte de la fédération italienne, qui s'était constituée à Alexandrie, décréta que le souverain du Piémont régnerait sur toute l'Italie, et déclara la guerre à l'Autriche; elle inscrivit sur ces drapeaux : Royaume d'Italie, indépendance italienne! Santarosa, ministre de la guerre, chercha à réveiller le courage du parti par l'espoir d'un succès; mais la défection de Charles-Albert, le bruit de la défaite des Abruzzes, et la nouvelle que cent mille Russes s'avançaient des frontières de la Volhynie pour rétablir les rois de Naples et de Sardaigne, détruisirent toute illusion. Déjà les royalistes et les Autrichiens s'étaient mis en marche, dirigés par le général Bubna, qui en Lombardie avait participé peut-être aux trames et positivement aux espérances des carbonari. Un engagement eut lieu près de Novare (8 avril 1821), et la révolution y trouva son dénoûment.

En Lombardie s'était organisée aussi l'association de la Fédération italienne; elle devait servir de centre aux populations insurgées. Déjà elle avait préparé une garde nationale et une junte de gouvernement, « afin que l'impulsion pût partir plus immédiatement et avec plus de vigueur de Milan, centre

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