Page images
PDF
EPUB

rejaillissait sur les idées que les persécuteurs prétendaient venger. Mais l'esprit allemand, méditatif par nature, trop grave pour être long-temps distrait par des plaisanteries, trop plein de candeur pour sacrifier à des applaudissements ce qui lui semblait vrai, le caractère allemand enclin à l'enthousiasme et ne trouvant de bonheur dans la religion comme dans l'amour, que par l'exaltation et la rêverie, répugnaient l'un et l'autre à des doctrines arides, tranchantes, devenues dogmatiques, et n'alléguant pour preuves que des sarcasmes dont tout homme équitable sentait l'injustice, et des faits que tout homme instruit savait n'être pas exacts.

En conséquence, beaucoup de défenseurs de la croyance menacée se présentèrent. Par une suite de la liberté que Frédéric laissait aux écrits, les nouveaux apologistes de la religion plaidèrent sa cause chacun à sa manière. De là, des dissidences essentielles, bien qu'inaperçues, entre ces soldats d'une armée sans chef.

Les uns s'attachèrent à l'ancien systême et l'appuyèrent, comme ils le purent, sur ses colonnes ordinaires, les miracles et les prophéties.

Les autres, renonçant à ces ressources, se restreignirent à la partie purement morale, et jetèrent dans une sorte de lointain obscur, la partie historique, traditionnelle, et surtout miraculeuse.

Ceci néanmoins ne se fit pas tout à coup. Cette marche n'était qu'une retraite honorable, où l'on

n'abandonnait les différents postes que successivement, et pour pouvoir mieux garder les autres. Ce qui se nomma plus tard des perfectionnements, semblait alors des sacrifices.

Mais Frédéric II étant mort, l'autorité adopta sur la religion un systême contraire à celui de ce prince. Elle voulut réunir sous une bannière commune les théologiens épars. Ceux qui refusèrent d'entourer cette bannière furent en butte aux reproches des hommes restés fidèles aux dogmes antiques. On leur fit un crime de leurs transactions, et voilà que leurs sacrifices leur furent imputés comme apostasie. Les partis exagérés sont en religion comme en politique; des édits de persécution parurent dictés par des spectres et émanés

du fond d'un sérail.

Beaucoup d'auxiliaires zélés du christianisme. furent de la sorte déclarés ses ennemis. Ils n'ac

ceptèrent point ce titre, et de leurs efforts pour le repousser, combinés avec l'impossibilité où ils étaient de reprendre les doctrines qu'ils avaient, sinon désavouées, du moins délaissées, se forma un systême, dans lequel se trouve, obscur et informe, le germe d'une idée que nous croyons éminemment juste.

L'homme, dans ce systême, sorti des mains de la suprême puissance, a été guidé par elle dès ses premiers pas. Mais le créateur a proportionné ses secours à la position et aux facultés de ses créatures. La religion juive a conduit les Hébreux jus

qu'au moment où elle a réussi à les rendre susceptibles d'une croyance plus épurée. Le christianisme alors a remplacé la loi de Moïse. La réfor→ mation a mis le christianisme d'accord avec les lumières d'un siècle postérieur. D'autres améliorations viendront un jour réformer encore la réforme (1).

(1) C'est en conséquence de ce systême qu'à l'époque dont nous parlous l'Allemagne vit se multiplier les traités sur la condescendance de Dieu envers les hommes, sur la marche graduelle des révélations, sur l'éducation du genre humain, sur le christianisme enfin adapté aux besoins du temps. Pour donner une idée de la pensée dominante qui présidait à tous ces écrits, nous rapporterons les raisonnements de ces théologiens sur les miracles.

[ocr errors]

« Les miracles, disaient-ils, soit qu'ils aient été des choses surna<< turelles ou seulement des phénomènes naturels, mais dont la cause << était inconnue aux hommes ignorants qui les contemplaient, les miracles ont été des preuves valables et nécessaires dans le temps où «< ils ont eu lieu. L'espèce humaine était trop peu éclairée pour être << convaincue par des arguments; il lui fallait des preuves plus frap«pantes et plus courtes. Il nous en faut aujourd'hui d'un autre genre. C'est par la logique, la morale, le sentiment du beau et de l'honnête qu'on peut nous convaincre. Les miracles ne doivent pas être contestés, mais écartés. » Ils en disent autant des mystères et des prophéties.

[ocr errors]
[ocr errors]

Un fait remarquable, c'est que la même idée s'était présentée à un Anglais un siècle plutôt. Il avait avancé qu'on pouvait calculer la durée d'une religion d'après la diminution graduelle de son analogie avec les opinions et les intérêts contemporains. JOHN CRAIGS, Theologiæ christianæ principia mathematica. Lond. 1689, in-4o, Leip. 1755. Mais l'esprit dogmatique des Anglais avait repoussé, comme impie, cette hypothèse; elle a pris, au contraire, en Allemagne nn caractère éminemment religieux. << Comme établissement extérieur, dit un de ses « défenseurs en 1812, le christianisme est soumis avec le temps à des modifications et des changemens inévitables, mais le fond de la doc

«

Nous laissons de côté le surnaturel admis par ce systême, surnaturel restreint, qui doit mécontenter les dévots et déplaire aux philosophes. Mais nous pensons qu'il contient, comme nous l'avons dit, le germe d'une pensée neuve et importante : nous la développerons tout à l'heure. Achevons ici de rechercher dans quel état religieux se trouve l'Allemagne.

Le systême que nous venons d'exposer est consolant et noble. Il n'aurait plus qu'un pas à faire pour écarter de la religion cette tendance étroite et hostile qui suppose la vérité un don du hasard ou du caprice, et condamne à des peines éternelles

[ocr errors]

«trine n'a rien à redouter de ces changements. Elle en paraîtra au « contraire plus sublime et plus divine. Quelque forme qu'elle revête, «<les idées fondamentales et éternellement vraies de cette religion, seront toujours plus clairement exprimées. Les formes du judaïsme ont sur« vécu à son esprit au bout de deux mille ans. L'esprit du christianisme << survivra à ses formes en en prenant d'appropriées à chaque situation intellectuelle et sociale de l'espèce humaine. » Journ. littér. de IÉNA, 3 septembre 1812.

[ocr errors]

Ce systême se rapproche sous quelques rapports de la doctrine indienne sur les incarnations successives qui ont lieu toutes les fois que Dieu veut faire connaître aux hommes la vérité. Il est assez remarquable qu'on retrouve une idée analogue dans une hypothèse juive. Les Juifs attribuaient la même ame à Adam, à Abraham et à David, et croyaient que cette ame sera celle du Messie. Bartholocci, Biblioth. Rabbin. Ils prétendaient encore qu'il ne fallait point distinguer Élie de Phinès, fils du grand prêtre Eléazar, et que le prophète qui a vécu parmi les hommes, tantôt sous le nom de Phinès, tantôt sous celui d'Élie, n'était point un homme, mais un ange toujours le même qui s'incarnait pour donner ses conseils au peuple de Dieu. ORIG. TRACT. VII. — ÆGIDIUS CAMART, De rebus gestis Eliæ.

ceux qui, sans leur faute, ont été privés de cette vérité (1).

Mais indépendamment de l'absence de toutes les preuves historiques, métaphysiques et morales, ce systême, empreint de l'anthropomorphisme, qui est l'endroit faible de toutes les croyances, ne saurait satisfaire, ni l'esprit qui exige la démonstration, ni le sentiment qui aime à revêtir l'être qu'il adore d'une bienveillance et d'une bonté sans bornes. Annoncé comme une révélation, il pourrait triompher des objectious et des doutes et le plus belliqueux des prophètes a proclamé, comme source de sa mission divine, une idée à peu près analogue. Mais proposé par un homme à d'autres

(1) Considérer toutes les religions comme des manifestations de la divinité proportionnées aux lumières et aux mœurs des peuples, c'est établir entre la Providence et les hommes des rapports qui font de toutes les vertus et de toutes les connaissances humaines un sujet de gratitude et d'amour. Les Grecs ont été libres, éclairés, heureux. Les Romains, malgré leur soif de conquêtes, fruit d'abord de la nécessité, puis de l'habitude et de l'amour du pouvoir, et malgré l'atrocité trop fréquente de leur politique extérieure, nous offrent le tableau de l'homme perfectionné, de ses facultés, de son courage, de son patriotisme, de toutes les vertus mâles et grandes, portées au-delà, peut-être, de ce qu'aujourd'hui nous pouvons concevoir. La religion, qui avait tant d'influence sur ces deux peuples, et qui par conséquent a dû contribuer à leur perfectionnement, ne peut-elle pas être considérée comme un bienfait de la Providence ? Cette Providence à laquelle on devrait ces révélations successives, toujours plus pures et plus salutaires, ne se montre-t-elle pas à nous sous des traits dignes de sa justice et de sa bonté ? N'est-il pas doux de voir cette bonté et cette justice veiller sur la liberté d'Athènes, sur le patriotisme de Sparte, sur le dévouement de Rome république; inspirer Socrate; encourager Timoléon; appeler à elle Caton d'Utique; armer Brutus; soutenir la fermeté de Sénèque.

« PreviousContinue »