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Les obstacles extérieurs sont les calamités qui, bouleversant l'existence physique de l'homme, retardent les progrès de son existance morale, et les intérêts qui portent d'autres hommes à lui faire prendre de gré ou de force une route opposée.

L'homme est ainsi placé entre trois forces contraires, qui se le disputent : on dirait que le ciel l'appelle en haut; la terre le retient en bas, et il y a des êtres, semblables à lui, qui l'entraînent' de côté. Cependant il avance conformément à l'impulsion que sa nature lui imprime, et au milieu des obstacles qu'il doit vaincre. Sa marche est réglée, elle est nécessaire. Sa direction peut être contrariée ou suspendue; mais rien ne peut lui donner pour long-temps une direction contraire.

Telle est donc la série d'idées, ou plutôt de faits, que nous nous proposons de prouver. Si nous réussissons, le résultat de cette démonstration nous semble devoir être salutaire.

nous mène à des conclusions évidentes pour notre intelligence, conformes à notre sentiment intérieur, et satisfaisantes pour notre esprit, il résulte, sur d'autres objets, des conséquences qui révoltent notre intelligence, contrarient notre sentiment intime, et loin de satisfaire notre esprit, lui font éprouver la douleur de ne pouvoir réfuter ce qui lui répugne, n'est-il pas clair que cette manière de raisonner, convenable dans le premier cas, ne l'est pas dans le second? Le caractère distinctif d'un raisonnement juste, c'est de donner à l'homme le repos qui accompagne la conviction. Quand il ne lui procure pas ce repos, ce n'est pas toujours que le raisonnement soit faux en lui-même : ce peut être aussi qu'il est appliqué à des objets auxquels il ne doit pas être appliqué.

La religion étant inhérente à l'homme et renaissant toujours sous une forme nouvelle quand l'ancienne forme est brisée, et la marche de la religion se proportionnant naturellement aux progrès de chaque époque, il s'ensuit, d'un côté, que la philosophie, en travaillant à épurer les idées religieuses, doit renoncer à se mettre en lutte avec le sentiment religieux et à vouloir détruire ce qui n'est pas soumis à la destruction: mais il s'ensuit, d'un autre côté que l'autorité ne peut ni ne doit tenter d'entraver, de détourner, ni même d'accélérer les améliorations apportées à la religion par les efforts de l'intelligence (1).

Nous disons qu'elle ne doit pas même les accélérer, car autant les perfectionnements libres et graduels nous semblent désirables, autant nous répugnons à toutes les réformes violentes et prématurées. Nous détestons le pouvoir intolérant, mais nous craignons un peu le pouvoir philosophe. Les persécutions de Louis XIV ont fait beaucoup de mal. Les prétendues lumières de Joseph II en ont fait presque autant. Les décrets imprudents de l'assemblée Constituante n'en ont pas fait moins, si non par leur teneur immédiate, du moins par leurs conséquences assez rapprochées.

Que l'autorité soit neutre. L'intelligence de

(1)« Un peuple qui perfectionne ses lois et ses arts, est bien mal« heureux et bien à plaindre quand il ne peut perfectionner sa religion. » PAW, Recherches sur les Égyptiens et les Chinois, I, pag. 178. - Voy. sur le même sujet HERDER, Phil. de l'Hist., III, 138-150.

l'homme, cette intelligence dont le ciel l'a doué pour qu'il en fît usage, se chargera du reste. Elle n'est ennemie de la religion que lorsque la religion est persécutrice. Elle s'acquittera d'autant mieux de la mission d'impartialité et d'amélioration qui lui est confiée, qu'elle ne sera pas irritée par des obstacles, troublée par des périls et contrainte à prendre un élan trop fort pour surmonter d'opiniâtres résistances.

Cette neutralité du pouvoir servira même à conserver plus long-temps les formes religieuses, auxquelles, l'habitude ou la conviction doivent attacher une juste importance. Ces formes sont d'autant plus susceptibles de durée qu'elles résistent moins aux perfectionnements insensibles. C'est d'ordinaire au milieu du combat qu'elles se brisent. Les prêtres d'Athènes rompirent les premiers la bonne intelligence qui subsistait entre la philosophie et le polythéisme, et que la philosophie voulait respecter et l'inflexibilité de Léon X décida la réforme que Luther lui-même n'avait point en vue, en commençant ses attaques contre les abus de l'église romaine (1).

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(1) Ce ne serait pas la seule utilité de cette manière d'envisager la religion. Elle aurait encore l'avantage de rendre raison de beaucoup d'évènements qui nous paraissent des effets du hasard, ou que nous attribuons à des causes partielles, tandis qu'ils sont le résultat nécessaire d'une marche invariable. Ainsi quand nous verrions Cyrus et Bonaparte dans la même position, conquérants tous deux d'un antique royaume, dont les institutions politiques aussi-bien que religieuses étaient en hostilité contre leur puissance, nous concevrions pourquoi l'un, par

CHAPITRE VIII.

Des questions qui seraient une partie nécessaire d'une histoire de la religion, et qui néanmoins sont étrangères à nos recherches.

AYANT rendu compte à nos lecteurs de nos intentions et de notre plan, nous devons, avant de terminer cette introduction, leur expliquer pourquoi plusieurs questions, qui, d'ailleurs, entreraient naturellement dans un ouvrage historique, seront écartées de nos recherches, et leur indiquer les précautions que nous aurons à prendre, afin de nous rapprocher du but que nous nous sommes proposé d'atteindre.

Pour découvrir comment l'homme s'élève d'une croyance grossière à une croyance plus épurée, nous avons dû remonter à l'état le moins avancé

un concordat avec les mages, établit la religion de Zoroastre comme une religion de cour, au milieu de la croyance grossière de ses Perses à demi sauvages, et pourquoi l'autre en agit à peu près de même envers le catholicisme, au milien de l'incrédulité nationale.

Nous retrouverions dans la subite persécution des chrétiens, par le collègue de Galère, dans l'hésitation de cet empereur, dans le zèle de ses courtisans, dans la fureur des prêtres de l'ancien culte, beaucoup de traits caractéristiques de la révocation de l'édit de Nantes. Nous apprendrions que Julien n'est pas resté sans imitateurs. Les temps modernes s'éclaireraient par les temps passés, comme ceux-ci par les temps modernes.

des sociétés humaines, c'est-à-dire, à l'état sauvage.

Ici une question semblait se présenter.

L'état sauvage a-t-il été l'état primitif de notre espèce?

Les philosophes du XVIIIe siècle se sont décidés pour l'affirmative, avec une grande légèreté.

Tous leurs systêmes religieux et politiques partent de l'hypothèse d'une race réduite primitivement à la condition des brutes, errant dans les forêts, et s'y disputant le fruit des chênes et la chair des animaux; mais si tel était l'état naturel de l'homme, par quels moyens l'homme en serait-il sorti?

Les raisonnements qu'on lui prête pour lui faire adopter l'état social, ne contiennent-ils pas une manifeste pétition de principe? ne s'agitent-ils pas dans un cercle vicieux? Ces raisonnements supposent l'état social déjà existant. On ne peut connaître ses bienfaits qu'après en avoir joui. La société, dans ce système, serait le résultat du développement de l'intelligence, tandis que le développement de l'intelligence n'est lui-même que le résultat de la société,

Invoquer le hasard, c'est prendre pour une cause un mot vide de sens. Le hasard ne triomphe point de la nature. Le hasard n'a point civilisé des espèces inférieures, qui, dans l'hypothèse de nos philosophes, auraient dû rencontrer aussi des chances heureuses.

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