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On peut remarquer un travail analogue chez les sages de la Grèce. Empédocle, Héraclite, Platon lui-même (1), tachent d'identifier leurs hypothèses avec ce qu'ils nomment la plus ancienne théologie. Ce dernier, par exemple, attribue aux premiers Grecs le culte des astres qui leur fut toujours étranger (2), et il ne tient pas à lui qu'on ne les regarde, contre le témoignage de l'histoire, comme ayant commencé par l'astrolâtrie.

Ilest évident que tous les rafinements des croyances religieuses sont postérieurs à la crédulité simple; comme il est évident que la barbarie est antérieure à la civilisation (3). Mais un motif naturel

grecques pénétrèrent alors en Egypte. Les prêtres égyptiens, en mêlant à leur culte les fables et les doctrines de leurs vainqueurs, s'efforcèrent de leur persuader qu'elles étaient originairement venues d'Egypte. (BRUCKER, Hist. phil. I, 281, 282).

(1) Plat. dans le Cratyle.

(2) Quand nous disons que le culte des astres fut toujours étranger aux Grecs, nous ne prétendons point qu'ils n'aient pas placé les astres parmi les divinités; mais nous prouverons, 1o que les astres déifiés par les Grecs n'ont occupé qu'un rang subalterne; et 2o que les divinités qui dirigeaient les astres dans la mythologie grecque avaient un caractère individuel, tout-à-fait distinct des fonctions qui leur étaient attribuées.

(3) Montrons, par un seul exemple, comment, à mesure que les écrivains sont plus modernes, ils prètent un sens plus raffiné à des coutumes et à des rites que les auteurs anciens expliquaient d'une manière fort simple. Hérodote et Plutarque racontent tous les deux que les prêtres égyptiens se rasaient le corps. Mais Hérodote assigne à cet usage une cause naturelle, un but de salubrité, dans un climat trèschaud. Plutarque y voit une idée mystériense. « Les Égyptiens agis<< saient ainsi, dit-il, parce que les cheveux, les crins et la laine sont « des produits impurs que l'homme doit rejeter, pour arriver par la pureté à la perfection.

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a fait placer ces innovations avant les fables populaires, dans la chronologie ostensible des mythologies. Placées ainsi, elles contribuent à rendre la religion respectable : ce sont des fantômes imposants qui ajoutent à la majesté sombre d'un antiédifice. Substituées ouvertement à la doctrine

que

reçue,

des innovations pareilles sembleraient des impiétés.

Cette observation se vérifie chez presque toutes les nations anciennes. Nous voyons en Perse les opinions mystérieuses et raffinées du vieux empire de Bactriane attribuées aux Perses barbares, et les vestiges de la religion grossière de ces derniers, représentés comme la corruption d'un culte épuré.

Si nous prenions à la lettre l'histoire de la mythologie scandinave, telle qu'on nous la raconte, nous croirions que les peuples du Nord ont commencé par le théisme et l'allégorie et qu'ils ont fini par le fétichisme: la première des divinités scandinaves s'appelle Alfadur, All-Vater, Père de tout, nous dit-on; puis viennent Odin et ses deux frères. Les Nornes ou Parques sont d'abord au nombre de trois, et président d'une manière générale au passé, au présent et à l'avenir. L'allégorie n'est pas méconnaissable, mais ensuite elle se perd. Il y a autant de Norues que d'hommes; les Nornes deviennent les fétiches des individus. Cette progression serait inexplicable, si nous l'acceptions, comme on nous la présente. Mais elle

sera facile à concevoir, quand nous aurons montré qu'elle a été racontée ainsi par les prêtres ou drottes, qui chez les Scandinaves s'étaient emparés d'une très-grande puissance.

De même dans le polythéisme grec, les divinités cosmogoniques, Chronos ou le Temps, Rhée, le Ciel, l'Érèbe, la Nuit, l'Océan, la Terre, précèdent en apparence les divinités réelles.

Il est essentiel d'avoir ces observations présentes à l'esprit dans la lecture de cet ouvrage. Sa nature ne nous permettait pas de rapporter tous les faits, d'entrer dans tous les détails indispensables pour démontrer combien est fondée chacune des distinctions que nous avons établies entre les diverses. époques des croyances: mais ceux qui nous lisent avec le désir de trouver la vérité, doivent se demander, lorsqu'ils penseront avoir à nous opposer quelque fait particulier, si ce fait n'aurait pas été introduit dans la religion dont il fait partie postérieurement à l'époque à laquelle on le rapporte, et repoussée ensuite par une adresse usitée, ou par une méprise commune, vers une époque antérieure ; quel est le premier auteur qui a rapporté ce fait; de quelle date est cet auteur, et s'il n'a pas confondu les opinions de son temps ou ses propres conjectures avec des opinions plus anciennes.

Une seconde précaution que nous aurons à prendre sera d'écarter les explications scientifiques que nous ont offertes sur les anciens cultes plu

sieurs savants distingués. Les travaux de ces érudits ont été sans doute d'une grande utilité. Ils ont répandu beaucoup de lumières sur des portions peu connues de l'histoire des temps reculés. Ils ont éclairci plusieurs questions essentielles. Ils nous ont offert des conjectures souvent intéressantes, quelquefois probables. Aucune vérité n'est à dédaigner. La solution de plus d'un problème qui semblait minutieux et dont l'investigation paraissait puérile, a jeté un jour inespéré sur des objets de la plus haute importance. La science est toujours salutaire, comme l'ignorance est toujours funeste.

Cependant ces érudits, nous oserons le dire, ont commis une erreur grave.

La religion n'a été pour les uns que la représentation symbolique de l'agriculture, pour les autres que celle de l'astronomie, pour d'autres encore que des faits historiques défigurés par les traditions, ou des allégories méconnues par l'ignorance. Sous un certain rapport, toutes ces explications ont quelque chose de vrai. Chez toutes les nations de la terre, une classe d'hommes plus ou moins puissante a cherché à faire de la religion le dépôt des connaissances humaines. Mais conclure de là que la religion fut inventée pour renfermer ce sens mystérieux, et que les opinions populaires n'ont

été

que des déguisements ou des dégradations de cette doctrine, c'est tomber dans une erreur aux conséquences de laquelle il est impossible d'échap

per. Les fables religieuses ne sont devenues que par degrés des hiéroglyphes, à l'aide desquels la classe instruite a enregistré ses calculs, ses observations sur les faits, ou ses hypothèses sur les causes.

L'erreur des savants ne vient pas de ce qu'ils ont prêté à la religion un sens scientifique, mais de ce qu'ils ont cru pouvoir le placer avant le sens populaire ou littéral. Au lieu de considérer la religion comme un sentiment, ils l'ont envisagée comme une combinaison: au lieu d'y reconnaître une affection de l'ame, ils l'ont voulu transformer en une œuvre de l'esprit. Au lieu de voir la nature, ils n'ont vu que l'art. Comme si cette erreur fondamentale ne leur eût pas suffi, chacun a choisi l'une de ces hypothèses pour en faire l'unique source de la religion. De la sorte, un système déjà défectueux par sa base, est devenu chimérique et forcé dans tous ses détails (1). L'on a compté pour

(1) Ce qui n'était, dit le traducteur de Warburton, que l'origine d'une seule branche de l'idolâtrie, M. l'abbé Pluche en a voulu faire l'origine de toute idolâtrie. On peut en dire autant de presque tous ceux qui ont écrit sur la religion, et de ceux mêmes qui ont relevé ce défaut dans les autres. De la sorte, on a, pour ainsi dire, enté l'erreur sur l'erreur. Toutes les fables des religions sont susceptibles d'interprétations diverses, suivant qu'on les applique à l'histoire, à la cosmogonie, à la physique, ou à la métaphysique. La victoire des dieux sur Typhon était, par exemple, dans la doctrine secrète des prêtres égyptiens, tantôt le symbole de l'expulsion des rois bergers, tantôt celui du dessèchement de la basse Égypte. Il est tout simple que le sacerdoce recoure à la langue religieuse pour ses récits comme pour ses enseignements et ses hypothèses : les explications coexistent sans se nuire; elles ont toutes leur genre de vérité; mais elles sont toutes indifférentes quant à l'influence réelle des cultes.

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