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rien les penchants les plus naturels de l'homme : l'on a révoqué en doute les témoignages les plus positifs de l'antiquité. L'on a rejeté à la fois ce que l'étude de nous-mêmes nous révèle et ce que P'histoire nous apprend.

Ouvrez le Monde primitif, vous n'y trouverez ni le sentiment de cette piété profonde et mâle, de cette conviction intime et sérieuse, qui caractérise les Romains, ni la connaissance des évènements qui, en introduisant dans ce culte des fêtes nationales, en avaient fait un principe de patriotisme politique autant que de vénération religieuse. La fuite du roi des sacrifices, fuite évidemment commémorative de l'expulsion des Tarquins (1), en même temps que liée à des traditions sacerdotales empruntées du dehors, devient exclusivement la fuite du soleil au déclin de l'année. Jupiter Stator est le même soleil qui s'arrête. La Fortune des femmes cesse de rappeler l'ambassade de Véturie : l'auteur la transforme d'abord en une fête de la Victoire

(1) Lors même qu'on répandrait du doute sur la vérité historique des premiers évènements de l'histoire romaine, il n'en demeurerait pas moins évident que l'impression morale produite par la croyance a dû être en raison de cette croyance, et non du sens mystérieux ou de l'allusion scientifique dont le peuple n'aurait en aucune connaissance. Si les Romains ont attaché à la commémoration de la chute des Tarquins des idées de dévouement au gouvernement républicain, et de haine pour l'autorité d'un seul, il importe fort pen que quelques érudits on antiquaires de Rome aient su que cette cérémonie avait aussi une signification astronomique, et que cette signification était la première et la seule réelle dans l'intention des fondateurs.

sous prétexte qu'elle retraçait une victoire de la piété filiale; puis cette victoire devient le triomphe remporté par le soleil sur l'hiver. Les Juvénales, que Néron fonda (1) le jour où, pour la première fois, il se fit couper la barbe pour célébrer cette grande époque, en offrant en spectacle l'empereur du monde commé histrion et comme chanteur (2), est un emblême du renouvellement des saisons (3). Ainsi, défigurant tout, les érudits sont arrivés, portant chacun son étendart favori (4), à la suite duquel ils traînent des faits captifs, sous des travestissements bizarres (5). L'un a vu partout le déluge où l'autre a reconnu le feu. Celui-ci retrouvait des mois où son successeur démêlait des dynasties (6). Nul n'a poussé la subtilité et l'audace en ce genre aussi loin qu'un homme (7) qui semble

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(4) Ce que les érudits ont fait pour les explications scientifiques, les historiens n'ont pas manqué de le faire pour les explications historiques. Lévêque, qui a composé une Histoire de Russie, place dans la Tartarie la source de toutes les religions. Chacun veut que ce qu'il sait le mieux soit le principe de ce que les autres savent.

(5) Les explications exclusives des savants nous rappellent l'anecdote qu'on raconte sur l'auteur d'Acajou. Ayant vu des estampes destinées à ́un livre qu'il ne connaissait pas, il voulut les expliquer, et composa son roman. Il se trouva que ces estampes étaient préparées pour un ouvrage d'un tout autre genre; mais le roman n'en resta pas moins.

(6) Cudworth aperçoit dans Mithra le Dieu unique. Mosheim, son commentateur, n'y démêle qu'un chasseur avec ses chiens déifiés.

(7) Il suffit de considérer la suite des assertions qui composent le systême de Dupuis, tel que lui-même l'expose, pour se convaincre de

néanmoins avoir décidé des idées en France sur cette matière, et pour qui tous les dieux et tous

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sa fausseté. « J'examine dit-il, « ce qu'ont pensé de la divinité les << hommes de tous les siècles et de tous les pays. Ce n'est donc pas seulement des philosophes et de leurs hypothèses qu'il parle, mais aussi da peuple et de sa croyance. « J'ai prouvé », continue-t-il, témoignages historiques de tous les peuples du monde, par l'inspec<<tion de leurs monuments religieux et politiques, par les divisions et << distributions de l'ordre sacré et de l'ordre social, enfin par l'autorité « des anciens philosophes, que c'est à l'univers et à ses parties que, primitivement et le plus généralement, les hommes ont attribué l'idée « de la divinité. » Comme, chez presque toutes les nations, les prêtres étaient, dans l'origine, les seuls historiens, il n'est pas étonnant que les témoignages historiques aient placé au-dessus ou à côté de la religion vulgaire les doctrines raffinées des prêtres; et, de cela seul qu'ils ont été forcés de faire mention de cette religion vulgaire pour l'interprêter, il s'ensuit que cette religion vulgaire était pour le peuple la seule religion. Les monuments religieux étant de même construits sous la direction de cette caste, les allégories de la science devaient y occuper une plus grande place que dans le culte public. Quant à l'autorité des philosophes, il est assez simple que, retrouvant dans les symboles des prêtres des doctrines cosmogoniques analogues aux leurs, ils les aient fait valoir aux dépens des dogmes et des opinions populaires. Il s'ensuit que la métaphysique et la physique sacerdotales sont devenues la métaphysique et la physique philosophiques; mais nullement que la multitude n'ait reconnu dans les idées religieuses que des abstractions personnifiées. Or, si elle ne les a pas reconnues pour telles, elles n'ont pas été une religion primitive ou générale. « L'histoire des dieux », poursuit Dupuis, n'est autre chose que celle de la nature; et, comme elle n'a point d'autres aventures que ses phénomènes, les aventures des dieux << seront donc les phénomènes de la nature mis en allégorie. « L'histoire des dieux n'est celle de la nature que pour les hommes qui ont étudié la nature. La foule ne l'étudie pas. L'histoire des dieux est pour cette foule celle des impressions de détail qu'elle reçoit des objets extérieurs, combinées avec son besoin d'adorer quelque chose qui soit au-dessus d'elle; les motifs qu'elle suppose à l'action de ces objets extérieurs, les passions qu'elle leur prête ont dû donner lieu à des fables sans aucun rapport

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les héros, depuis Osiris jusqu'à Mahomet, n'ont été que le soleil et les astres. L'agriculture

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avec les phénomènes de la nature, mais qu'on a ensuite interprétées de manière à les rattacher à ces phénomènes. « L'ancienne religion du monde ajoute cet auteur, « est encore la moderne. Rien n'est plus faux, si cette assertion s'applique à la partie morale, à l'influence réelle de la religion. On aurait beau prouver mille fois que tous les objets de l'adoration, depuis Osiris jusqu'à Jésus-Christ, n'ont, dans le langage des prêtres, été que le soleil, certes, l'influence qu'avait la religion sur les Égyptiens, et celle qu'a exercée le christianisme dans sa pureté, n'en demeureraient pas moins différentes; l'espèce. humaine n'en aurait pas moins changé de destinée, et fait un pas immense, en passant du polythéisme égyptien, ou même du polythéisme grec qui, comme on le verra, valait beaucoup mieux, à la conception du théisme, et d'un théisme fondé sur la justice et non sur la force, sur la bonté et non sur l'exigeance, sur l'amour et non sur la terreur. Dupuis reprend : << lumière et les ténèbres qui sont dans un éternel contraste avec elle; << la succession des jours et des nuits, l'ordre périodique des saisons, et la marche de l'astre brillant qui en règle le cours; celle de la lune, « sa sœur et sa rivale; la nuit et les feux innombrables qu'elle allume « sur l'azur des cieux; la révolution des astres, plus ou moins longue sur notre horizon, et la constance de cette durée dans les étoiles fixes, sa variété dans les étoiles errantes ou les planètes; leur marche directe «< on rétrograde, leurs stations momentanées, les phases de la lune

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croissante, pleine, décroissante, et dépouillée de toute lumière; le << mouvement progressif du soleil de bas en haut et de haut en bas... « l'ordre successif du lever et du coucher des étoiles fixes qui marquent << les différents points de la course du soleil, tandis que les faces variées « que prend la terre marquent ici-has les mêmes époques du mouve«ment annuel du soleil; la correspondance de celle-ci dans ses formes avec les formes célestes auxquelles s'unit le soleil; les variations que subit cette même correspondance durant une longue suite de siècles; « la dépendance passive dans laquelle la partie sublunaire du monde se trouve vis-à-vis de la partie supérieure à la lune; enfiu la force éter<< nelle qui agite toute la nature d'un mouvement intérieur semblable à « celui qui caractérise la vie... tous ces différents tableaux, exposés aux

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regards de l'homme, ont formé le grand et magnifique spectacle don't

l'astronomie, l'histoire, la métaphysique, l'allégorie surtout, de quelque nature qu'elle ait pu

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je l'environne au moment où il va se créer des dieux...Il ne s'est point mépris sur la toute-puissance, sur la variété de ces causes partielles qui composent la cause universelle. Pour le prouver, j'ai ouvert les livres où l'homme a, dès la plus haute antiquité, consigné ses ré<«<< flexions sur la nature; et j'ai fait voir qu'aucun de ces tableaux n'a « été oublié. Donc, c'est là ce qu'il a chanté; c'est là ce qu'il a adoré. » Nous avons cité ce long passage, parce qu'il met dans toute son évidence l'erreur profonde de Dupuis. L'homme, dans l'enfance de l'état social, et dans l'ignorance où il est alors plongé, remarque sans doute la transition de la lumière aux ténèbres, la succession des jours et des nuits, l'ordre des saisons; mais assurément il n'a pas démêlé alors les révolutions des astres, leur marche directe ou rétrograde, leurs stations momentanées, la correspondance de la terre dans ses formes avec les formes célestes, et les variations que subit cette correspondance durant une longue suite de siècles. Ce dernier mot décèle toute la fausseté da systême. Dupuis suppose l'homme environné de ce spectacle, éclairé par ces observations, qu'une longue suite de siècles a dû précéder, au moment où il va se créer des dieux! Ainsi, il serait resté sans idées religieuses durant tous les siècles antérieurs. Cette supposition se réfute d'elle-même par les faits que nous avons sous les yeux. L'Ostiaque et l'Iroquois n'ont pas eu besoin d'être des savants et des astronomes pour se prosterner devant un fétiche ou un manitou. Dupuis se fonde sur les livres où l'homme a, dès la plus haute antiquité, consigné ses réflexions. Mais la religion, dans sa forme grossière, a précédé tous les livres. Ces découvertes en astronomie, ces observations du cours des astres, ces triomphes de l'intelligence humaine, c'est bien là ce que l'homme a chanté; mais ce n'est point là ce que l'homme a adoré primitivement, c'est même ce que l'homme n'a jamais adoré : car ces phé nomènes physiques, bien qu'ils aient pu être revêtus d'emblêmes religieux, n'ont jamais été l'objet de l'adoration. L'homme a pu adorer des être auteurs de ces phénomènes, mais auxquels il a toujours prêté un caractère individuel, indépendant de leurs rapports avec les phénomènes de la nature. « Cette nature », poursuit Dupuis, « s'est toujours « montrée aux hommes comme l'être principe de tout, et qui n'a pas « d'autre cause que lui-même. » La nature ne s'est point montrée à la

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