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brise ensuite (1). D'après quelles lois prend-il ces formes? D'après quelles lois en change-t-il? Ce

que

(1) Afin d'éviter qu'on ne s'autorise d'une phrase à laquelle on attacherait un sens qui lui est étranger, pour nous accuser de nier la révélation qui sert de base à la croyance de tous les peuples civilisés de l'Europe, nous devons remarquer qu'en disant que le sentiment intérieur prend une forme et la brise ensuite, nous ne contestons point que cette forme ne puisse lui être présentée d'une manière surnaturelle quand il la reçoit, et qu'il ne puisse de même en être affranchi d'une manière surnaturelle quand il la brise. C'est même ce qui est arrivé d'après le récit littéral et formel de nos livres sacrés. La loi juive était une joi divine, offerte aux Hébreux par la puissance suprême qui les éclairait, et acceptée par le sentiment religieux de cette nation. Cette loi néanmoins n'étant bonne que pour un temps, elle fut remplacée par la loi nouvelle, c'est-à-dire l'ancienne forme fut brisée par son auteur, que le sentiment religieux fut invité et autorisé à s'en détacher, et qu'une forme nouvelle lui fut substituée. Affirmer que le germe de la religion se trouve dans le cœur de l'homme, ce n'est assurément point assigner à ce don du ciel une origine purement humaine. L'être infini a déposé ce germe dans notre sein, pour nous préparer aux vérités que nous devions connaître. Nous pourrions nous appuyer ici de l'autorité de saint Paul, qui dit que Dieu avait laissé, jusqu'à une certaine époque, les nations le chercher par leurs propres forces. Plus on est convaincu que la religion nous a été révélée par des voies surnaturelles, plus on doit admettre que nous avions en nous la faculté de recevoir ces communications merveilleuses. C'est cette faculté que nous nommons le sentiment religieux. En partant, dans nos recherches, de l'état le plus grossier de l'espèce humaine, et en montrant comment elle en est. sortie, nous n'infirmons point les récits du seul peuple qu'il nous soit prescrit de placer dans une classe particulière. Ces récits, en nous racontant les manifestations célestes qui ont entouré le berceau du monde, nous apprennent aussi que la race des hommes a mal profité de ce bienfait. Les vérités que la puissance suprême lui avait fait connaître se sont rapidement effacées de sa mémoire, et à l'exception d'une tribu spécialement favorisée, elle a été bientôt replongée dans l'ignorance et dans l'erreur. Loin de dire que la religion n'est que la création de la crainte on l'œuvre de l'imposture, nous avons prouvé que ni l'imposture pi

sont des questions que personne n'a examinées. L'on a décrit les dehors du labyrinthe nul n'a percé jusqu'au centre, nul ne le pouvait. Tous cherchaient l'origine de la religion dans des circonstances étrangères à l'homme, les dévots comme les philosophes. Les uns ne voulaient pas que l'homme pût être religieux sans une révélation particulière et locale; les autres sans l'action des objets extérieurs. De là une erreur première, là une série de longues erreurs. Oui, sans doute, il y a une révélation, mais cette révélation est universelle, elle est permanente, elle a sa source dans le cœur humain. L'homme n'a besoin que

de

la crainte n'ont suggéré à l'homme ses premières notions religieuses. Nous dirons plus dans le cours de nos recherches, un fait nous a frappés, un fait qui s'est répété plus d'une fois dans l'histoire. Les religions constituées, travaillées, exploitées par les hommes, ont fait souvent du mal. Toutes les crises religieuses ont fait du bien. Voyez l'Arabe : brigand sans pitié, assassin sans remords, époux impitoyable, père dénaturé, l'Arabe n'était qu'un animal féroce. On peut consulter sur ses anciennes mœurs les observations critiques de Sale, à la tête de sa traduction du Coran. Les Arabes, avant Mahomet, considéraient les femmes comme une propriété. Ils les traitaient en esclaves. Ils enterraient leurs filles vivantes. Le prophète paraît, et deux siècles d'héroïsme, de générosité, de dévouement, deux siècles, égaux sous plus d'un rapport aux plus belles époques de la Grèce et de Rome, laissent dans les annales du monde une trace brillante. Nous avons à dessein cité l'islamisme de toutes les religions modernes, la plus stationnaire, et par là même aujourd'hui la plus défectueuse et la plus nuisible. Nous aurions eu trop d'avantages, si nous avions choisi pour exemple la religion chrétienne. Nous pensons donc que l'idée dominante de notre ouvrage n'ébranle aucune des bases de cette religion, au moins telle que la conçoit le protestantisme que nous professons, et que nous avons le droit légal de préférer à toutes les autres communions chrétiennes.

de s'écouter lui-même, il n'a besoin que d'écouter la nature qui lui parle par mille voix, pour être invinciblement porté à la religion. Sans doute aussi les objets extérieurs influent sur les croyances: mais ils en modifient les formes, ils ne créent pas le sentiment intérieur qui leur sert de base.

C'est là cependant ce qu'on s'est obstiné à méconnaître. On nous a montré le sauvage rempli de crainte à l'aspect des phénomènes souvent malfaisants de la nature, et divinisant, dans sa crainte, des pierles troncs d'arbres, la peau des bêtes farouches, tous les objets, en un mot, qui s'offraient à ses yeux.

res,

On en a conclu que la terreur était la seule source de la religion. Mais en raisonnant de la sorte, on négligeait précisément la question fondamentale. On n'expliquait point d'où venait cette terreur de l'homme à l'idée de puissances cachées qui agissent sur lui. On ne rendait point compte du besoin qu'il éprouve de découvrir et d'adorer ces puissances occultes.

Plus on se rapproche des systêmes contraires à toute idée religieuse, plus cette disposition devient difficile à expliquer. Si l'homme ne diffère des animaux que parce qu'il possède à un degré supérieur les facultés dont ils sont doués; si son intelligence est de même nature que la leur, et seulement plus exercée et plus étendue, tout ce que cette intelligence produit en lui, elle devrait le produire en eux, à un degré inférieur sans doute, mais à un degré quelconque.

Si la religion vient de la peur, pourquoi les animaux, dont plusieurs sont plus timides que nous, ne sont-ils pas religieux? Si elle vient de la reconnaissance, les bienfaits comme les rigueurs de la nature physique étant les mêmes pour tous les êtres vivants, pourquoi la religion n'appartientelle qu'à l'espèce humaine? Si l'on indique pour source de la religion l'ignorance des causes, nous sommes obligés de reproduire sans cesse le même raisonnement. L'ignorance des causes existe pour les animaux plus que pour l'homme; d'où vient l'homme seul cherche à découvrir les causes que inconnues? D'ailleurs, à l'autre extrême de la civilisation, à une époque où l'ignorance des causes physiques n'existe plus, et où l'homme n'étant plus en épouvante devant une nature qu'il a subjuguée, n'a plus d'intérêt à diviniser cette nature, ne voyez-vous pas se reproduire le même besoin d'une correspondance mystérieuse avec un monde et des êtres invisibles?

Lorsqu'on attribue la religion à notre organisation plus parfaite, on méconnaît une distinction très-essentielle. Entendez-vous par organisation l'ensemble de toutes nos facultés, nos organes, notre jugement, notre puissance de réfléchir et de combiner, notre sentiment enfin, nous sommes d'accord; mais ce que vous appelez notre organisation n'est autre chose que notre nature, et alors vous reconnaissez que la religion est dans notre nature. Entendez-vous par organisation seulement

la supériorité des moyens physiques dont l'homme est investi? Mais si la supériorité de l'organisation physique décidait de la tendance au sentiment religieux, comme il y a des animaux mieux organisés les uns que les autres, on devrait remarquer en eux quelques symptômes de cette tendance symptômes qui seraient proportionnés à la perfection plus ou moins grande de leur organisation.

Si, par une suite de sa prévoyance et de sa mémoire, l'homme combine ses idées et tire des faits qu'il observe les conséquences qui en découlent, les animaux ont aussi de la mémoire, ils ont aussi de la prévoyance : le chien, corrigé par son maître, évite de retomber dans la même faute; comment se fait-il que non moins exposé que l'homme aux accidents physiques, il ne cherche point à en conjurer les causes, tandis qu'il cherche à éviter ou à désarmer la colère d'un maître offensé?

D'ailleurs, quelle prévoyance vous prêtez au sauvage, de toutes les créatures, même pour ses intérêts présents, la plus oublieuse, la plus insouciante ! L'Esquimau, lorsque ses besoins sont satisfaits, dort dans le creux de ses rochers, ne médite sur rien, n'observe rien; le Caraïbe n'étend pas ses réflexions jusque sur sa vie du lendemain: et cependant, quand il s'agit de la religion, l'Esquimau devient curieux, le Caraïbe prévoyant : c'est que la religion est pour eux un besoin plus vif et plus impérieux que tous les autres, un besoin qui l'emporte sur tout le reste de leur na

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