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Nous n'avons pas à rechercher ici comment il se fait que certains peuples soient soumis aux prêtres dès l'instant de leur réunion en société, tandis que d'autres jouissent long-temps à cet égard d'une indépendance complète, et ne sont même jamais entièrement subjugués.

Nous entrerons dans l'examen des faits quand nous traiterons de la religion grecque des temps homériques, et quand nous décrirons la religion égyptienne, telle qu'elle se conserva jusqu'au mélange et à la destruction de tous les cultes de l'antiquité. Maintenant il nous suffit d'établir la différence qui doit exister entre deux espèces de religion trop souvent confondues.

Lorsqu'une corporation sacerdotale s'empare de la religion dès son origine, la religion suit une autre route que lorsque le sacerdoce, s'établissant graduellement, ne parvient que plus tard à se constituer en corporation régulière et reconnue. Le pouvoir des prêtres doit être sans bornes lorsqu'il existe dès la formation des sociétés. Plus une croyance est grossière, plus les ministres de cette croyance ont d'autorité s'ils forment une classe à part.

Le peu d'influence que possèdent les jongleurs de plusieurs tribus sauvages, vient de ce que, l'état de ces hordes n'étant pas un état organisé par des règles fixes, tout y est vague, tout y est d'impression momentanée, d'habitude irréfléchie. Rien n'y a force de loi, le sacerdoce pas plus qu'autre

chose. Mais lorsqu'un peuple, par des circonstances que nous chercherons à déterminer ailleurs, voit, comme en Égypte par exemple, s'élever dans son sein une institution sacerdotale, avant qu'il ait aucune institution politique capable de lutter contre cette puissance religieuse ou de la restreindre, il doit subir le joug de cette puissance. Dès lors la religion qui, livrée à elle-même, se compose de tous les sentiments, de toutes les notions, de toutes les conjectures naturelles à l'homme, devient, dans les mains du sacerdoce, l'objet d'un calcul prémédité, d'un arrangement systématique.

Quand l'homme s'occupe de la religion comme d'une chose qui lui appartient en propre, l'habitude et l'imitation l'engagent sans doute à préférer le culte qu'il voit en usage autour de lui; voulant se faire entendre des objets de ses invocations, il leur parle la langue indiquée par l'expérience de ses ancêtres et de ses contemporains: mais tout néanmoins dans le culte est individuel. On yajoute, on en retranche, on y change, sans que personne s'arroge le droit de s'en offenser. On court le risque de déplaire aux dieux, mais non d'être puni par les hommes. Les prières et les sacrifices, soit qu'on les offre sur des autels domestiques, dans la retraite des bois, au sommet des montagnes, s'élè– vent directement jusque dans le monde invisible traversant le vaste espace des airs, sans avoir à chercher une route privilégiée. Tout est libre entre

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la terre et le ciel. Au contraire dans les religions sacerdotales le ciel se ferme; un triple rempart entoure les immortels. Toutes les issues sont gardées par des intermédiaires jaloux. Toutes les conjectures de l'homme, toutes ses craintes, ses pressentiments fugitifs, les hasards qui le frappent les apparences bizarres qui le surprennent, les fantômes qu'il aperçoit dans l'obscurité, les bruits qu'il entend, les ombres qu'il voit dans ses rêves, toutes ces choses, il les soumet à des hommes seuls autorisés à les expliquer; et, de ces éléments fantastiques, ceux-ci composent une législation, une science. Toute victime qui n'est pas immolée par eux est repoussée comme une victime impie. L'encens que leurs mains ne brûlent pas est un encens sacrilége. Pour obtenir l'assistance ou la protection divine, il n'est pas moins nécessaire, à les en croire, de se concilier leur bienveillance que celle des dieux dont ils sont les ministres, et le caractère même de ces dieux subit alors de grands changements. L'homme qui ne demande à la religion que de lui concilier la bienveillance céleste, cherche à découvrir ce que les dieux sont. Le prêtre qui attend de la religion des moyens de gouverner l'espèce humaine, examine comment il doit peindre les êtres au nom desquels il veut gouverner. Il ne faut sans doute pas s'exagérer l'action du sacerdoce. En soumettant suivant ses calculs et suivant ses vues la religion à divers changements, il n'invente rien, il profite seulement de ce qui

existe. Son travail n'est pas un travail de création, mais d'arrangement, de forme et d'ordonnance. On n'invente pas les opinions; elles naissent dans l'esprit des hommes, indépendamment de leur vo→ lonté. Les uns les adoptent, les autres s'en servent. Le sacerdoce a trouvé le germe de toutes les notions religieuses dans le cœur de l'homme (1), mais il a dirigé ensuite despotiquement le développement de ce germe, et de la sorte il a imprimé à la religion une marche qu'elle n'aurait

naturellement.

pas suivie C'est faute d'avoir distingué ces deux espèces de croyance que l'on a commis tant d'erreurs dans l'histoire des religions. En les confondant, on a essayé de se frayer une route qui conduisît à la fois vers deux extrémités opposées, et l'on s'est consumé en vains efforts dans une tentative chimérique. La distinction entre les religions soumises au sacerdoce et celles qui en sont indépendantes, est la première condition requise pour concevoir des idées justes sur cette matière.

On voit combien est vaste la série d'idées qui doit nous occuper. Elle l'est tellement, que l'embrasser dans son ensemble et dans tous ses détails est au-dessus des forces humaines, et peut-être audessus de l'attention du public dans les circonstan

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(1) « Rien ne s'établit sans un principe pris dans la nature, même ce

qui devient ensuite contre nature, » observe avec beaucoup de raison un auteur allemand. (WAGNER, Mythologie, pag. 77).

ces actuelles. Nous nous sommes donc restreints dans cet ouvrage à indiquer et à démontrer, par le raisonnement et les faits, la vérité fondamentale de laquelle découlent toutes les autres.

Nous sommes partis de la forme la plus grossière que les idées religieuses puissent revêtir. Nous avons montré le sentiment religieux créant cette forme, puis luttant contre elle, et parvenant quelquefois par sa merveilleuse et mystérieuse énergie à la rendre noble et touchante en dépit d'elle-même. Nous avons dit ensuite comment cette forme est modifiée, soit par les corporations de prêtres chez les nations soumises au sacerdoce, soit par les progrès de l'esprit humain chez les peuples indépendants de la puissance sacerdotale.

Nous avons commencé par les premières. Sans doute, on ne peut suivre l'esprit humain, dans sa progression naturelle, qu'en étudiant les religions indépendantes. Tous les changements s'opèrent à découvert dans ces religions, tandis religions, tandis que sous l'empire des prêtres, le travail se fait à huis clos, dans l'enceinte mystérieuse des corporations privilégiées. Mais les cultes que les prêtres ont dominés sont historiquement les plus anciens; et les nations, en très-petit nombre, chez lesquelles le sacerdoce n'a eu que peu de pouvoir, en ont vraisemblablement été plutôt affranchies que préservées. Il en résulte que la simplicité des religions livrées à elles-mêmes provient surtout de ce que l'esprit humain en retranche successivement les

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