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notions grossières qui appartiennent à l'enfance des croyances, notions que le sacerdoce, au contraire, enregistre et transforme en dogmes, de sorte que, pour bien comprendre les cultes les plus simples, il faut avoir étudié à fond les plus compliqués.

On verra, nous l'espérons, que la plupart des reproches qu'on adresse à la religion ne sont mérités que par quelques-uns de ses ministres. Les religions qui ont lutté avec le plus de succès contre sa puissance, ont été les plus douces, les plus humaines, les plus pures. Si la démonstration de cette vérité porte nos lecteurs à l'adoption des conséquences qui nous paraissent en découler, l'admiration routinière pour ces corporations de prêtres persans, égyptiens ou gaulois, sera, nous le penfort diminuée.

sons,

C'est à cette portion de l'histoire religieuse que nous nous sommes bornés.

il sera

La vérité fondamentale étant reconnue, facile d'en déduire les conséquences, et de la suivre dans ses innombrables et admirables modifications. Après avoir vu comment se constituent les deux formes que revêt la religion, celle que l'esprit humain se crée et celle que lui ont plus fréquemment imposée les prêtres, on peut deviner le principe de perfectionnement qui préside à l'une, et le principe stationnaire qui pèse sur l'autre. Lorsque ces deux formes s'entre-choquent et se confondent par la communication des peuples, si

c'est l'intelligence de l'homme qui remporte la victoire, ses idées sur la nature divine s'améliorent par une heureuse et rapide progression. Mais on aperçoit en même temps les germes de décadence que ses conceptions, même améliorées, renferment, et l'impulsion irrésistible qui le porte à prendre un essor encore plus élevé. La forme religieuse la plus épurée devient à cette époque la seule admissible, le symbole unique, l'impérieux besoin du monde civilisé. Enfin la chute des croyances vieillies et décréditées, montre l'homme affligé de l'œuvre de destruction qu'il a consommée. Il ne reprend quelque courage qu'à l'aide d'une nouvelle croyance. Celle-ci, comme les précédentes, subit aussi des dégradations. Elle semble reculer quelquefois vers des époques d'ignorance, et ressusciter des dogmes barbares; mais la nature de l'esprit humain étant la même, il réagit comme autrefois contre ces détériorations passagères. Chaque siècle regarde ce qui est proportionné à ce qu'il appelle ses lumières comme le terme immuable du bon et du vrai. Mais un nouveau siècle vient à son tour reculer ce terme. Il pose de nouvelles bornes que les générations qui lui succèdent sont destinées à déplacer, pour les reporter plus loin encore.

Ce n'est donc point une histoire détaillée de la religion que nous avons entreprise. Retracer les révolutions religieuses de toutes les nations serait faire l'histoire de toutes les nations. La religion se

mêle à tout. Comme elle pénètre dans la partie la plus intime de l'homme, tout ce qui agit sur l'homme agit sur la religion. Comme elle modifie tout ce qu'elle touche, elle est aussi modifiée par tout ce qui la touche. Les causes se rencontrent, s'entre-choquent, et se font plier mutuellement. Pour expliquer la marche d'une religion, il faut examiner le climat, le gouvernement, les habitudes présentes et passées du peuple qui la professe: car ce qui existe influe, mais ce qui n'existe plus ne cesse pas toujours d'influer. Les souvenirs sont comme les atomes d'Épicure, des éléments rentrant toujours dans la composition des combinaisons nouvelles. Conduire le lecteur à travers ces recherches, serait écrire une histoire universelle. Nous avons au contraire tâché d'éviter la forme historique, tant à cause des longueurs qui en sont inséparables qu'à cause des répétitions sans nombre qu'elle eût nécessitées. Car on ne peut faire marcher concurremment l'histoire de toutes les religions.

Tous les peuples n'ayant pas avancé de même, à cause des modifications différentes apportées dans leurs opinions par les événements et les circonstances, nous aurions été forcés de reproduire perpétuellement sur chacun des observations déjà faites sur les autres.

Néanmoins il est impossible de donner à des recherches sur cette matière la forme purement didactique dont M. de Montesquieu a revêtu son

travail sur les lois. Les lois sont écrites, et en conséquence leurs révolutions se rattachent à des époques fixes et précises. Mais la religion, existant en grande partie dans le cœur et dans l'esprit de l'homme, se modifie insensiblement sans qu'on s'en aperçoive (1): et quelques-unes de ses modifications ne peuvent être traitées qu'historiquement.

Nous avons du moins tâché de ne présenter à nos lecteurs que des résultats, appuyés, à la vérité, sur beaucoup de faits. Nous avons réfuté quelques objections. Nous en avons passé d'autres sous silence. D'autres peut-être ne se sont pas offertes à nous. Si nous avions tout développé, l'étendue de cet ouvrage aurait défié toute possibilité d'attention. L'histoire des exceptions serait devenue beaucoup plus longue que celle de la règle générale. La règle est une et simple, les causes des exceptions sont innombrables et compliquées.

(1) L'idée, ou plutôt le sentiment de la Divinité, a existé dans tous les temps. Mais sa conception a été subordonnée à tout ce qui coexistait à chaque époque. Plus l'état de l'homme a été grossier et simple, plus les notions de la Divinité ont été bornées et étroites. L'homme n'avait pas la possibilité d'en concevoir d'autres. A mesure que les temps ont avancé, ses conceptions se sont ennoblies et agrandies. La religion, dans son essence, n'est liée à aucun temps, et ne consiste point en traditions transmises d'âge en âge. En conséquence, elle n'est point assujettic à des bornes fixes, imposées aux générations qui se succèdent, d'une manière littérale et immuable. Elle marche, au contraire, avec le temps et les hommes. Chaque époque a eu ses prophètes et ses inspirés, mais chacun parlait le langage de l'époque. Il n'y a donc dans la religion, comme dans l'idée de la Divinité, rien d'historique, quant au fond; mais tout est historique dans les développements.

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