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ture, sur leur indifférence, sur leur apathie, sur, leur manque de curiosité.

En supposant le sentiment religieux, les espérances religieuses, l'enthousiasme qu'elles inspirent, de vaines illusions, ce seraient encore des illusions particulières à l'homme; ces illusions le distingueraient du reste des ètres vivants, et il en résulterait pour lui une seconde exception, non moins singulière. Tous les êtres se perfectionnent d'autant plus qu'ils obéissent à leur nature. L'homme se perfectionnerait d'autant plus qu'il s'éloignerait de la sienne. La perfection de tous les êtres est dans la vérité; celle de l'homme serait dans l'erreur!

Nous irons plus loin; si la religion n'était pas dans la nature de l'homme, la supériorité de son organisation l'en éloignerait au lieu de l'y conduire; car le résultat de cette organisation supérieure étant qu'il satisfait mieux à ses besoins par les forces qu'il connaît et qu'il est parvenu à employer, il aurait d'autant moins de motifs de supposer ou d'invoquer des forces inconnues. Il se trouve mieux sur la terre: il devrait être d'autant moins porté à lever les yeux vers le ciel.

Cette observation s'applique à tous les états de la société humaine. Il n'y en a aucun où, si vous ne reconnaissez la religion pour inhérente à l'homme, elle ne soit un hors-d'oeuvre dans son existence. Voyez nos associations civilisées. La culture de la terre subvient à notre nourriture. Nos murs et

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nos toits nous protégent contre les saisons. Il y a des lois pour nous garantir de la violence. Il y a des gouvernements chargés de maintenir ces lois, et qui, bien ou mal, s'en acquittent. Il y a des supplices pour ceux qui les enfreignent. Il y a du luxe, des raffinements, des plaisirs pour le riche. Il y a des sciences pour nous expliquer les phénomènes qui nous entourent, et pour détourner ceux qui nous menacent. Il y a des médecins pour les maladies. Quant à la mort, c'est un accident inévitable, dont il est superflu de s'occuper. Tout n'est-il merveilleusement arrangé pour l'homme? Quel besoin cet arrangement laisse-t-il sans le satisfaire? Quelle crainte sans la calmer? Où donc est la cause extérieure qui nous rend la religion nécessaire? Elle l'est pourtant, nous le sentons, les uns toujours, les autres par intervalles. C'est que cette cause n'est pas hors de nous : elle est en nous, elle fait partie de nous-mêmes. On n'a jamais voulu reconnaître ce que l'homme était. On a interrogé les objets extérieurs sur les dispositions inhérentes à son être. Il n'est pas étonnant qu'ils n'aient pu répondre. On a recherché l'origine de la religion, comme on a recherché celle de la société, celle du langage. L'erreur a été la même dans toutes ces recherches. On a commencé par supposer que l'homme avait existé sans société, sans langage, sans religion. Mais cette supposition impliquait qu'il pouvait se passer de toutes ces choses, puisqu'il avait pu exister sans elles.

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En partant de ce principe on devait s'égarer. La société, le langage, la religion sont inhérents à l'homme les formes varient. On peut demander la cause de ces variétés. On peut s'appliquer à découvrir pourquoi l'homme en société a tel genre de gouvernement; pourquoi dans telle religion il y a telle pratique ou tel dogme; pourquoi telle langue a de l'affinité avec telle autre. Mais prétendre remonter plus haut, c'est une tentative chimérique, un moyen sûr de ne parvenir à aucune vérité. Assigner à la religion, à la sociabilité, à la faculté du langage, d'autres causes que la nature de l'homme, c'est se tromper volontairement. L'homme n'est pas religieux parce qu'il est timide; il est religieux parce qu'il est homme. Il n'est pas sociable parce qu'il est faible; il est sociable parce que la sociabilité est dans son essence. Demander pourquoi il est religieux, pourquoi il est sociable, c'est demander la raison de sa structure physique et de ce qui constitue son mode d'exister (1).

On est tombé dans une seconde erreur. On a cru, parce qu'il s'agissait d'une chose qui a beau

(1) Si l'on croyait voir ici quelque analogie avec le systême des idées innées, on se tromperait. L'homme n'a certainement en lui-même aucune idée préexistante sur la religion. Philosophiquement parlant, ses notions religieuses lui viennent de ses sens, comme toutes ses notions. La preuve en est qu'elles sont toujours proportionnées à sa situation extérieure. Mais il est dans sa disposition naturelle de concevoir toujours des notions religieuses, d'après les impressions qu'il reçoit, et la situation extérieure dans laquelle il se trouve.

coup d'influence sur les hommes, qu'il fallait ou détruire ou maintenir : et dans les projets de destruction comme dans les projets de conservation, l'on a confondu ce qui était nécessairement passa→ ger et périssable avec ce qui était non moins nécessairement éternel et indestructible.

Il ya, nous l'avons dit, quelque chose d'indestructible dans la religion. Elle n'est ni une découverte de l'homme éclairé qui soit étrangère à l'homme ignorant, ni une erreur de l'homme ignorant dont l'homme éclairé se puisse affranchir. Mais il faut distinguer le fond d'avec les formes, et le sentiment religieux d'avec les institutions religieuses: non que nous prétendions médire ici de ces formes ou de ces institutions. L'on verra, dans notre ouvrage, que le sentiment religieux ne peut s'en passer. On verra plus; à chaque époque, la forme qui s'établit naturellement est bonne et utile; elle ne devient funeste que lorsque des individus ou des castes s'en emparent et la pervertissent pour prolonger sa durée. Mais il n'en est pas moins vrai que tandis que le fond est toujours le même, immuable, éternel, la forme est variable et transitoire.

Ainsi, de ce que telle forme religieuse est attaquée; de ce que la philosophie tourne ses raisonnements, l'ironie ses sarcasmes, l'indépendance intellectuelle son indignation, contre cette forme; de ce qu'en Grèce, par exemple, Evhemère détrône les dieux de l'Olympe; de ce qu'à Rome

Lucrèce proclame la mortalité de l'ame, et la vanité de nos espérances; de ce que, plus tard, Lucien insulte aux dogmes homériques, ou Voltaire à tels autres dogmes; enfin, de ce que toute une génération semble applaudir au mépris dont on accable une croyance long-temps respectée, il n'en résulte point que l'homme soit disposé à se passer de la religion. C'est seulement une preuve que la forme ainsi menacée ne convenant plus à l'esprit humain, le sentiment religieux s'en est séparé.

Mais, dira-t-on, comment se faire une idée du sentiment religieux, indépendamment des formes qu'il revêt? Nous ne le trouvons sans doute jamais ainsi dans la réalité; mais, en descendant au fond de notre ame, il nous sera possible, nous le croyons, de le concevoir tel par la pensée.

Lorsqu'on examine l'espèce humaine sous des rapports purement relatifs à la place qu'elle occupe et au but qu'elle paraît destinée à atteindre sur la terre, on est frappé de l'harmonie et de la juste proportion qui existent entre ce but, et les moyens que l'homme possède pour y parvenir. Dominer les autres espèces; en faire servir un grand nombre à son utilité; détruire ou repousser au loin celles qui lui refusent l'obéissance; forcer le sol qu'il habite à satisfaire abondamment à ses besoins, et à pourvoir avec variété à ses jouissances; gravir le sommet des montagnes pour soumettre les rochers à la culture; creuser les abi

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