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Il s'ensuit qu'aussi long-temps qu'il reste uni avec une forme religieuse, les fables de cette re

dans tous les hommes. Entièrement à l'abri des écarts de l'opinion, « rien ne le dénature, rien ne l'altère. Le pauvre sauvage, qui adore « le grand esprit, dans les solitudes du nouveau monde, n'a pas sans « doute une notion aussi nette et aussi étendue de la divinité que Bossuet: mais il en a le même sentiment (tom. .I, pag. 85).

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« Le sentiment, poursuit-il toutefois, est "passif de sa nature: il ne « nie rien, il n'affirme rien (tom. II, pag. 183), » et par conséquent ne nous enseigne rien. Mais il cite ensuite avec admiration et assentiment ces mots de Tertullien : « Les témoignages de l'ame sont d'autant • plus vrais qu'ils sont plus simples... d'autant plus communs qu'ils << sont plus naturels, d'autant plus naturels qu'ils sont plus divins. Le maître, c'est la nature; l'ame est le disciple. » (De Testim. animæ, lib. adv. gentes. cap. 5 et 6, tom. II, pag. 266.) Qu'est-ce donc que cette nature, si ce n'est celle qui porte l'homme au sentiment religieux? Qu'est-ce que cette ame, dont les témoignages sont si éclatants, si ce n'est l'ame que le sentiment religieux domine?

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M. de la Mennais prétend « que le sentiment du vrai et du faux, « du bien et du mal, est changeant et variable (tom. II, page 200). Que l'homme fait quelquefois le mal avec complaisance (ibid. page 201), et que ceux qui admettent le sentiment comme autorité, ne « sauraient distinguer ce qu'est la vertu de ce qu'est le crime (ib. pag. « 201, 202). » Que pouvons-nous faire de mieux que de nous en remettre à son talent, pour confondre ses sophismes? Il nous apprendra « que le sentiment de la divinité, celui du juste et de l'injuste, celui du << bien et du mal, se retrouvent chez tous les peuples (tome II, page 119); que partout, dans tous les temps, l'homme a reconnu la dis<< tinction essentielle du bien et du mal, du juste et de l'injuste; que « jamais aucune nation ne confondit les notions opposées du crime et <<< de la vertu (tom. I, pag. 172, 173). » Il nous apprendra « que lorsqu'on dit à l'homme qu'il n'existe ni juste ni injuste, ni crime ni « vertu, que rien n'est bon ni mal en soi, que nourrir son vieux père «< ou l'égorger sont des actions indifférentes, tout l'homme se soulève • à cette seule idée, et que la conscience pousse un cri d'horreur ( ib. « pag. 87). » Il nous apprendra, enfin, « que l'homme ne peut violer << les lois du juste on de l'injuste, parce qu'en violant sa raison, sa consTM

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ligion peuvent être scandaleuses, ses dieux peuvent être corrompus, et cette forme néanmoins avoir un effet heureux pour la morale.

<«cience, sa nature tout entière, en renonçant à la paix et au bonheur

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(ib. pag. 366, 367), et que si nous considérons le monde entier da«rant tous les siècles, nous verrons un effroyable débordement de vices et de crimes divers, multipliés à l'infini, une continuelle viola«tion des devoirs les plus saints, et en même temps, l'immuable dis«tinction du bien et du mal, perpétuellement reconnue et proclamée << par la conscience universelle (tom. III, pag. 487). :

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Sentez-vous, demande-t-il, qu'à cette vie en succède une autre qui ne finira pas? Non, répondez-vous (tom. II, pag. 202). » L'auteur se trompe. Nous répondons si peu négativement que nous lui dirons, en empruntant encore ses paroles : « Le genre humaiu, défendu par une « foi puissante et par un sentiment invincible, ne vit jamais dans la « mort qu'un changement d'existence (ib. pag. 142). On s'est efforcé « de détruire les titres de la grandeur de l'homme. Vaine tentative: ils subsistent; on les lui montrera. Ils sont écrits dans sa nature. Tous « les siècles les y ont lus; tous, même les plus dépravés (ib. pag. 139). » « Si la religion, continue-t-il, est une chose de sentiment, tous les << hommes devraient alors trouver la vraie religion écrite au fond de « leur cœur.... Mais qu'on m'explique, dans ce cas, la diversité des religions (tom. II, page 198.) » Croirait-on la difficulté insurmontable? l'auteur lui-même va la surmonter, «< Tout ce qu'il y avait de gé«néral dans le paganisme, dit-il, était vrai. Tout ce qu'il y avait de «< faux n'était que des superstitions locales (ib préf. cIII). Et qu'on «<< n n'objecte pas la multitude des cultes divers (tom. II, pag. 78). La « diversité des cultes prouve seulement que les hommes peuvent négli«ger le moyen que Dieu leur a donné pour reconnaître la véritable religion (tom. II, page 179). » Et plus loin : « L'idolâtrie n'était pas, à proprement parler, une religion (tom. III, pag. 147).

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Que si, pour concilier de si palpables contradictions, M. de la Mennais prétend qu'en attribuant la conscience, le sentiment, à une révélation divine, il les dépouille de l'influence que nous leur prêtons, pour en faire hommage à Dieu même; nous répondrons que l'une de ces idées n'est point incompatible avec l'autre. Nous prenons l'homme tel qu'il

Les fables sont l'objet d'une crédulité qui n'exige ni ne provoque la réflexion. On dirait qu'elles se logent dans une case à part des têtes humai

existe, avec le sentiment qui le guide; et nos assertions restent les mêmes, soit que ce sentiment ait eu sa première et antique source dans une manifestation surnaturelle, ou qu'il soit tel par sa nature essentielle et intrinsèque.

Il y a néanmoins dans M. de la Mennais, nous le reconnaissons, une objection, qu'il n'a pas pris soin de réfuter lui-même. Nous essaierons de le remplacer. Nous voudrions que ce fût avec un égal succès.

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Est-ce par un sentiment, dit-il, que certains peuples offraient à « d'horribles divinités le sang de leurs enfants, ou leur sacrifiaient la pudeur de leurs filles?» (Tom. II, pag. 200.) Non, sans doute, ce n'était point par sentiment. M. de la Mennais ignore-t-il un fait que tous les historiens anciens nous attestent? Chez presque tous les peuples de l'antiquité, il y a eu de certaines corporations qui se sont emparées, à leur profit, du sentiment religieux; qui ont usurpé le droit de parler au nom des puissances invisibles, et qui, interprètes mensongers de ces puissances, ont ordonné aux hommes, ivres de terreur, des actes barbares que le sentiment repoussait. Non : ce n'était point le sentiment religieux qui engageait les Gaulois à sacrifier à Teutatès des victimes humaines ; c'étaient les prêtres de Teutatès. Ce n'était point le sentiment religieux qui enfonçait le couteau des Mexicains dans le sein de leurs enfans en bas âge, devant la statue de Vitzli-Putzli; c'étaient les prêtres de VitzliPutzli. Ce n'était point le sentiment religieux qui forçait les Babyloniennes à se prostituer, ou les filles de l'Inde à former des danses lascives devant le Lingam, c'étaient les prêtres de cette obscène divinité. Cela est si vrai, que ces crimes et ces indécences n'ont souillé que passagèrement le culte des nations indépendantes de ces corporations redoutables. La démonstration de cette vérité formera une partie essentielle de nos recherches subséquentes.

M. de la Mennais finit par prononcer un anathème formel contre le sentiment religieux. « Si ce sentiment doit être notre guide, dit-il, il n'y a point de désordre qui ne soit justifié (tom. II, pag. 202). Le sen<< timent religieux n'est que le fanatisme. Il ne tarde pas à révéler à cha

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cun des dogmes différents. S'il se rencontre un enthousiaste, d'un

nes, et ne se mêlent point au reste des idées. Comme l'arithmétique est aux Indes la même

« caractère ardent et sombre, il n'y a point de crime qu'il ne puisse « commettre, sous pretexte d'inspiration (ib. pag. 207). » Nous ne nous arrêtons pas à rappeler à M. de la Mennais qu'il nous assurait naguère, en termes exprès, que « le sentiment religieux était entièrement « à l'abri des erreurs de l'opinion, que rien ne le dénaturait, que rien « ne l'altérait. » (Vid. supr. et tom. I, pag. 85 de l'Essai sur l'indifférence.) Nous lui opposerons un autre passage, tracé encore de sa propre main : «< De quoi les hommes n'abusent-ils pas? Ils abusent des aliments « destinés à les nourrir, des forces qui leur sont données pour agir et

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se conserver; ils abusent de la parole, de la pensée, des sciences, de << la liberté, de la vie; ils abusent de Dieu même. Faut-il pour cela dire << que ces choses sont pernicieuses? »> (Tom. I, pag. 470). Voilà ce que répond M. de la Mennais aux détracteurs du christianisme, et ce que nous répondons aux détracteurs du sentiment religieux.

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Sans doute des hommes ont abusé de ce sentiment, les uns en se livrant à tous les rêvés d'une imagination déréglée; les autres, plus coupables, en l'employant à créer des formes religieuses abominables, intolérantes, oppressives, sanguinaires. Mais le sentiment n'en est pas moins le guide le plus sûr qui nous soit donné. C'est la lumière intime qui nous éclaire au fond de notre ame. C'est la voix qui réclame, en tous lieux, en tous temps, contre tout ce qui est féroce, ou vil, ou injuste. C'est le juge auquel tous les hommes en appellent en dernier ressort car, chose étrange, lorsque l'écrivain que nous réfalons veut prouver les points principaux de son systême, qui le croirait! c'est le sentiment qu'il invoque; ce sentiment qu'il a repoussé, flétri, représenté comme un guide aveugle, infidèle et trompeur. « Sur ce point décisif » celui de savoir si le genre humain a toujours respectè lè sentiment commun et ce qu'il nomme la raison universelle, « sur ce point décisif, dit-il, j'en appelle à la conscience. Je la choisis pour juge, prêt à me soumettre à «< ses décisions. Que chacun rentre en soi, et s'interroge dans le silence << de l'orgueil et des préjugés. Qu'il évite de confondre les sophismes de << la raison avec les réponses du sentiment intérieur, que je le somme « de consulter.... Si un seul homme, dans ces dispositions, se dit ́an «fond de son cœur: Ce qu'on me propose comme des vérités d'expé« rience est démenti par ce que je sens en moi, et par ce que j'observe

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qu'ailleurs, en dépit de la Trimourti indienne, la morale était à Rome la même qu'ailleurs, en dé

dans mes semblables, je passé condamnation, et je me déclare moi& même un rêveur insensé (tom. II, pag. 47). »

Telle est donc la force de l'évidence. Elle traîne à ses pieds les esprits les plus rebelles, et dans l'instant même où ils s'applaudissent de l'avoir obscurcie, elle leur arrache l'aveu de leur impuissance et de

leurs erreurs.

Et en effet, si vous rejetez le sentiment, que substituerez-vous à ce moniteur divin placé dans notre cœur ? L'intérêt bien entendu? Misérable systême, fondé sur une absurde équivoque, laissant nécessairement la passion juge de cet intérêt, et mettant sur la même ligne et flétrissant da même nom de calcul le plus étroit égoïsme et le dévouement le plus sublime! L'autorité? Mais vons sanctionnez ainsi d'un mot tous ces commandements corrupteurs ou barbares que dans chaque pays, dans les Gaules comme aux Indes, dans la sanguinaire Carthage comme dans la licencieuse Babylone, on disait émanés des dieux. Les dépositaires du pouvoir croyent toujours avoir fait un pacte avec le sort. Ils se rêvent les propriétaires de la force, dont ils sont usufruitiers éphémères. L'autorité, c'est leur devise; comme si mille exemples ne leur apprenaient pas qu'ils peuvent en devenir les victimes, au lieu d'en rester les possesseurs.

Examinons donc cette seconde partie du système de M. de la Mennais. Nous n'aurons pas besoin de longs développements pour en faire justice. Il commence par établir un principe faux pour en tirer des conséquences plus fausses.

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Ce principe, c'est qu'il faut découvrir une raison qui ne puisse errer, une raison infaillible. « Or, cette raison infaillible, nous dit-il, il faut << nécessairement que ce soit ou la raison de chaque homme, ou la rai« son de tous les hommes, la raison humaine. Ce n'est pas la raison de chaque homme, car les hommes se contredisent les uns les autres, et <<< rien souvent n'est plus divers et plus opposé que leurs opinions : << donc c'est la raison de tous (tom. II, pag. 59). » On ne conçoit guère comment la raison de chacun ne pouvant le conduire qu'à l'erreur, et c'est ce que l'auteur que nous réfutons cherche à démontrer à chaque page, la collection de tant d'erreurs partielles constituerait la vérité. Mais le vice n'est pas seulement dans ce sophisme : il est dans le pre

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