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pit des traditions qui semblaient l'ébranler. Le peuple qui attribuait son origine aux amours de

mier principe, dans le point de départ de tout le systême. Il n'est pas vrai qu'on puisse trouver une raison infaillible: il n'est pas vrai qu'il faille la trouver. Elle peut exister dans l'être infini. Elle n'existe ni dans l'homme ni pour l'homme. Doué d'une intelligence bornée, il applique cette intelligence à chaque objet qu'il est appelé à juger, dans chaque occasion où il est forcé d'agir, et, si l'on nous permet cette expression, à fur et à mesure qu'il en a besoin. Cette intelligence est progressive, et par cela même qu'elle est progressive, il n'y a rien d'immuable, rien d'infaillible dans ce qu'elle découvre, et il n'est nullement nécessaire qu'il s'y trouve quoi que ce soit d'infaillible ou d'immuable. Ce que la nature a senti devoir être immuable, elle l'a placé, non dans notre raison; mais pour ce qui est physique, dans nos sens; pour ce qui est moral, dans notre cœur. Nos sensations sont toujours les mêmes, quand les mêmes objets agissent sur nous, dans les mêmes circonstances. Nos sentiments sont toujours les mêmes quand les mêmes questions se présentent. Tout ce qui est du ressort du raisonnement est, au contraire, variable et contestable par son essence. La logique fournit des syllogismes insolubles pour et contre toutes les propositions.

Il en est de la raison infaillible du genre humain comme de la souveraineté illimitée du peuple. Les uns ont cru qu'il devait y avoir quelque part une raison infaillible; ils l'ont placée dans l'autorité. Les autres ont cru qu'il devait y avoir quelque part une souveraineté illimitée; ils l'ont placée dans le peuple. De là, dans un cas l'intolérance, et toutes les horreurs des persécutions pour des opinions; dans l'autre, les lois tyranniques et tous les excès des fureurs populaires. L'autorité religieuse a dit: Ce que je crois est vrai, parce que je le crois : donc tous doivent le croire; donc ceux qui le nient sont des criminels. Le peuple a dit: Ce que je veux est juste, parce que je le veux: donc tous doivent s'y conformer; done j'ai droit de punir ceux qui me résistent. Au nom de la raison infaillible, on a livré les chrétiens aux bêtes, et envoyé les juifs aux bûchers. Au nom de la souveraineté illimitée, on a creusé des cachots pour l'innocence, et dressé des échafauds pour toutes les vertas. Il n'y a point de raison infaillible; il n'y a point de souveraineté illimitée. L'autorité peut se tromper comme chaque homme isolé, et. quand elle veut imposer ses dogmes de force, elle est aussi coupable

Mars et d'une vestale, n'en infligeait pas moins à toute vestale séduite un supplice rigoureux.

que le premier individu saus mission. Le peuple peut errer en masse, comme chaque citoyen en particulier, et quand il fait des lois injustes, sa volonté n'est pas plus légitime que celle du tyran environné de ses satellites, ou du brigand caché dans la forêt.

Le principe est donc faux : mais la conséquence qu'on veut en tirer est bien plus absurde. « L'autorité, nous dit-on, est la raison générale, manifestée par le témoignage ou la parole (tom. II, préf. xcIII). « L'homme doit s'y soumettre, car sa raison individuelle s'égare tan« dis que la raison générale ne saurait errer (ib. pag. 270).

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Il s'ensuit donc que lorsque le témoignage ou la parole sont produits par le consentement commun, à l'appui, n'importe de quels rites, de quelles opinions, de quelles pratiques, la raison individuelle doit les admettre et les professer. « Non, réplique-t-on : ces choses sont des « erreurs locales, des superstitions particulières (ib. c111). » Mais pour découvrir que ces choses sont telles, il faut que la raison individuelle examine, c'est-à-dire qu'elle s'isole de la raison générale, qui, en apparence au moins, prend ces choses sous sa protection. Vous le dites vousmême. L'autorité existe de fait, partout où se trouvent des dogmes quelconques, un culte quelconque, une loi quelconque (tom. I, pag. 179). » Vous ajoutez, il est vrai : La différence n'est jamais que de l'autorité légitime à l'autorité usurpée, » Mais qui distinguera si l'autorité est usurpée, ou si elle est légitime? Ce ne sera certainement pas la raison générale; elle ne se manifeste que par le témoignage ou par la parole; elle ne se manifestera donc sous une religion persécu`trice, sous un gouvernement oppresseur, qu'en faveur de cette religion on de ce gouvernement. Ce ne sera donc que la raison individuelle mais comment pourra-t-elle se manifester? En s'isolant encore de la raison générale; et n'est-ce pas ce que vous lui avez interdit formellement ?

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Ces vérités sont tellement palpables que l'auteur que nous combattons se voit forcé de l'avouer. « Tout homme que des circonstances quelcon«<ques mettraient dans l'impossibilité de connaître la société spirituelle, ne serait tenu d'obéir qu'à l'autorité connue de lui, ou à l'autorité << du genre humain (tom. II, pag. 283). » Quant à cette dernière, comment la découvrir? Vous avez accusé Rousseau de vouloir qu'on étudiât sur les lieux toutes les religions du globe, pour distinguer la religion

Le caractère moral des dieux n'a pas non plus l'influence qu'on suppose. Quel que soit ce carac

véritable; et en défigurant ainsi sa pensée, vous vous êtes ménagé un facile triomphe. Mais le même pélerinage que vous lui reprochez de proposer sera nécessaire pour nous assurer de ce que dit la raison universelle ou l'autorité du genre humain.

Quant à l'autorité connue de chacun, le Mexicain, en vertu de la seule autorité qu'il connaisse, égorgera des hommes; le Babylonien livrera son épouse ou ses filles à la prostitution. Si l'un ou l'autre s'y refuse, ne sera-ce pas la raison individuelle, s'isolant de la raison générale, et commettant le crime qui vous semble si odieux, celui de se préférer à l'autorité?

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Et n'êtes-vous pas obligé de confesser que l'idolâtrie la plus licencieuse, la plus sanguinaire, a en son universalité? « Cette universalité, répondez-vous, est semblable, sous tous les rapports, à l'universa«lité des vices, qui n'étant jamais des lois, mais la violation d'une loi, n'acquièrent jamais d'autorité en se multipliant (tom. III, pag. 165). Il n'y avait d'universel dans l'idolâtrie que l'oubli du vrai Dieu (ib.). » Mais si cet oubli était universel, il avait revêtu tous les caractères que vous attribuez à votre prétendue raison générale. Il se manifestait par le témoignage et par la parole. Les prêtres de Moloch avaient leur témoignage ceux de Cotytto leurs traditions. Quelle était donc alors la ressource de l'espèce humaine? La raison individuelle, ou plutôt les sentiments naturels qui réclamaient contre l'impostare en possession de

l'autorité.

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Vous vous agitez vainement dans le cercle vicieux que vous avez choisi pour arène. Vous ajoutez sans fruit, à des sophismes plus ou moins adroits, des arguments tellement puérils qu'on rougit d'y répondre ou même de les transcrire. Quand vous prétendez « que l'homme n'use des « aliments qu'en vertu de la croyance, qu'on dit à l'enfant mangez et qu'il mange, sans exiger qu'on lui prouve qu'il mourra, s'il ne mange point (tom. II, p. 125), » ne sentez-vous pas qu'à part du ridicule, vous fournissez précisément l'exemple qui démontre le mieux combien votre hypothèse est absurde? Certes l'enfant ne prend de la nourriture ni parce que des raisonnements l'ont convaincu qu'il devait en prendre, ni parce que la tradition le lui a révélé. Il mange parce qu'il a la sensation de la faim.

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tère, la relation établie entre les dieux et les hom mes est toujours la même. Leurs égarements par

Nous nous résumons, et en accordant à M. de la Mennais que la religion doit avoir pour base ou le raisonnement, ou le sentiment, ou l'autorité, nous disons que le raisonnement dont la sphère est toute matérielle ne nous conduira qu'au scepticisme sur des objets qui ne sont pas matériels; que l'autorité nous livrera sans défense à tous les calculs de la tyrannie, de la cupidité et de l'intérêt, et que le sentiment seul, susceptible d'erreur sans doute, comme toutes nos facultés faibles et bornées, conservera néanmoins toujours quelque chose qui réclamera contre ces erreurs, si elles sont funestes.

Et remarquez que la plupart du temps, elles ne deviennent redoutables que lorsqu'elles sortent de la sphère du pur sentiment pour revêtir des formes positives qui leur prêtent un appui légal. Laissé à lui-même, et privé de cet appui, le sentiment, s'il s'égare, est réprimé par les lois humaines.

Prenez le crime le plus horrible que le sentiment religieux, dans le délire, ait jamais fait commettre : des insensés ont tué d'innocentes créatures, pour les envoyer dans le ciel et pour y monter purifiés par une pénitence publique et par le supplice. Mais après un seul exemple de cette frénésie, on a pris des mesures contre la répétition d'un pareil attentat, et le désordre s'est arrêté. Qu'a-t-on fait contre les assassins de la Saint-Barthélemy, contre les bourreanx des Dragonnades? et ne citet-on pas la Saint-Barthélemy et les Dragonnades comme des rigueurs peut-être salutaires voilà la différence des abus da sentiment religieux, et de ceux des formes dont le pouvoir le revêt souvent pour en profiter. Que si, moins exagéré dans vos accusations et ne les puisant plus dans un petit nombre de faits heureusement très-rares, vous vous bornez à dire que le sentiment religieux conduit l'homme à ce qu'on nomme des superstitions, nous le reconnaîtrons encore: mais ces superstitions sontelles donc si funestes? chose remarquable: ce ne sont pas les superstitions que vous craignez. Vous les accueillez avec bienveillance, quand vous pouvez les enrégimenter. Vous ne les haïssez qu'indisciplinées et indépendantes, et c'est pourtant alors qu'elles sont non-seulement innocentes, mais souvent bienfaisantes et consolatrices. Quoi de plus doux et de plus inoffensif que cette pensée : que les prières des vivants peuvent abréger les peines des morts ? Ce n'est qu'en transformant cette

ticuliers demeurent étrangers à cette relation comme les désordres des rois ne changent rien aux lois contre les désordres des individus. Dans l'armée du fils de Philippe, le soldat macédonien convaincu de meurtre, eût été condamné par Alexandre, bien que son juge fût l'assassin de Clitus. Pareils aux grands de ce monde, les dieux ont un caractère public et un caractère privé. Dans leur caractère public, ils sont les appuis de la morale dans leur caractère privé, ils n'écoutent que

espérance en obligation formelle, qu'on en a fait au XVe siècle une source de corruption pour les croyants, et de persécution pour les incrédules. Abandonnée au sentiment individuel, elle n'aurait été qu'une pieuse correspondance, entre des ames amies qu'un sort rigoureux a séparées. Quoi de plus naturel que le désir de se réfugier dans quelque asyle, pour y échapper au tumulte du monde, éviter les tentations du vice, et se préparer, par une vie sans tache, à une mort sans effroi ? Mais quand vous hérissez de murailles ces religieuses retraites, quand l'autorité oppose ses verroux et ses grilles aux regrets excusables qui voudraient moins de perfection et plus de jouissances, vous transformez ces retraites en cachots. Quoi de plus touchant que le besoin d'avouer ses fautes, de confier à un guide révéré le secret de ses faiblesses, et de solliciter même des pénitences pour les expier? Mais en imposant le devoir, vous nuisez au mérite: vous forcez ce qui devrait être volontaire, vous ouvrez une porte à des vexations barbares. La confession spontanée consolait le vivant coupable: la confession forcée devient le supplice des agonisants.

Ne vous défiez pas tant de la nature de l'homme. Vons le dites, elle est l'ouvrage de Dieu. Elle a pu décheoir : tant de causes travaillent chaque jour à la dégrader! Mais elle n'a pas perdu toutes les traces de sa filiation divine. Le sentiment lui reste. Ne l'étouffez point par des lois minutieuses. Ne le poursuivez pas de fondroyants anathêmes. L'homme n'est pas ce que vous prétendez. Il n'est pas vrai « que le mal « lui plaise. » Il n'est pas vrai «< que né pour le ciel, il cherche l'enfer, « comme un voyageur égaré cherche sa patrie (tom. IV, pag. 37). »

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