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teur impartial des évènements, ou un investigateur calme des doctrines; et quand il dirige ses coups contre des crédules, ce sont encore des sentences qu'il prononce, sentences accompagnées d'argumentation, mais où l'autorité tient une place beaucoup plus considérable que le raison

nement.

Loin de nous de diminuer le mérite d'un grand homme. Si le point de vue, sous lequel Bossuet envisageait la religion, manquait nécessairement d'impartialité et d'étendue, il était admirable par la noblesse et l'élévation. La religion dans sa bouche parlait un langage digne et fier, qu'elle a tristement abjuré depuis. A l'insu même de l'orateur

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recte portée à un culte de paix et d'amour. Se flatterait-on de servir la religion en disant que Dieu a voué au glaive des nations entières (ib. III, 47)? Prodiguer à une portion de citoyens que les lois protégent les malédictions et les insultes; dire « que, tel que ces grands coupables dont parle l'antiquité, un peuple », dont un dixième au moins est aujourd'hui français, << a perdu l'intelligence; que le crime a troublé sa rai<< son; qu'au mépris, à l'outrage, il oppose une stupide insensibilité.... qu'il se sent fait pour le châtiment; que la souffrance et l'ignominie << sont devenues sa nature (ib. III, 57); que le sang que ses ancêtres «ont versé il y a deux cents ans est encore sur lui »; et, après l'avoir foulé aux pieds autant que le pouvait la parole, « le renvoyer à son supplice (IV, 202) », voilà, nous n'hésitons pas à le dire, ce qui n'est permis, ni par la religion ni par la morale, ni par la politique, ni par la décence; et, dût-on nous prescrire le silence sur les ruines de notre intelligence écroulée (ib. II, 105); dût-on nous traiter d'esprits rebelles qui trouveront la loi de supplice, et auront éternellement le crime pour compagnon (ib. III, 60), nous ne nous en féliciterons que plus sincèrement de professer une croyance qui nous permet d'aimer tous les hommes, et d'espérer le salut de tous.

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qu'entraînait son génie, les dernières étincelles de la liberté s'étaient réfugiées dans son éloquence. Ce qu'il ne disait point à un monarque absolu au nom des lois et de l'intérêt des peuples, il le disait au nom d'un dieu, devant lequel toutes les créatures rentrent dans leur égalité primitive (1).

Toutefois en rendant justice à un écrivain que ses panégyristes ne vantent qu'à cause de ce qu'il a eu de violent et d'odieux, nous n'en croyons pas moins pouvoir affirmer que rien de ce que nous a laissé Bossuet, et, à plus forte raison, rien de ce que nous trouvons dans d'autres ouvrages de la même époque ne peut s'appliquer utilement aux questions nouvelles que nous avons présentées, à cette distinction entre le fond et les formes, à cette marche des idées, à cette altération graduelle des croyances, à ces perfectionnements, à ces modifications progressives et irrésistibles, questions alors inaperçues et complètement étrangères aux débats religieux.

Après Louis XIV, la scène changea. Affranchie de l'autorité d'un vieux monarque et de l'étiquette d'une vieille cour, la France, par un effet naturel

(1) Rien ne prouve mieux l'alliance naturelle de la religion avec la liberté. Bossuet, par son caractère, était l'homme le plus despotique : toutes ses opinions favorisaient le pouvoir absolu. La politique de l'Écriture-Sainte aurait mérité les honneurs de l'imprimerie impériale de Constantinople; mais, quand il censure le pouvoir au nom de la religion, on dirait un de ces premiers chrétiens, les plus fermes apôtres de l'égalité, et les plus intrépides adversaires de la tyrannie.

d'une compression longue et pesante, se précipita dans la licence. Comme on vit succéder madame de Prie à madame de Maintenon, et les dignités de l'église passer de Bossuet à Dubois, on vit l'incrédulité surgir de la tombe de l'hypocrisie.

Nous ne présenterons certainement point les incrédules du siècle dernier comme les héritiers des orgies de la régence. De plus nobles motifs inspirèrent plusieurs d'entre eux. Une réaction lente, mais sûre, se préparait en France de longue main. La Saint-Barthélemy avait révolté toutes les ames. Le meurtre de Henri III, celui de Henri IV avaient soulevé l'opinion contre l'assassinat religieux. Louis XIV, par les cruautés dont il accompagna la révocation de l'édit de Nantes, et en ordonnant les dragonnades, les confiscations, le supplice des pères, l'incarcération des femmes, le rapt des enfants, avait achevé d'armer contre l'oppression sacerdotale tous les sentiments d'humanité. L'indignation des philosophes fut juste et sincère. Mais cette indignation même, les efforts qu'elle leur dicta, l'espèce d'association qu'ils formèrent pour déclarer en commun la guerre aux doctrines qu'ils accusaient de tant de crimes et de tant de maux, toutes ces choses leur inculquèrent un esprit de secte; et partout où domine cet esprit, il emploie des moyens qui lui sont propres.

Voltaire avait dit qu'il valait mieux frapper fort que juste; et tous les imitateurs de Voltaire, race innombrable, active, et qui, des sommités de

la littérature, descendait jusque dans ses rangs les plus inférieurs, s'acharnèrent sur la religion avec une fureur presque toujours en raison inverse des connaissances qu'ils avaient acquises, et du talent dont ils étaient doués.

L'axiome de Voltaire avait bien son utilité de circonstance. Les persécutions violentes venaient de cesser: les persécutions sourdes restaient à détruire. Tout semblait légitime pour inspirer l'horreur de tous les genres de persécution. Mais c'était désarmer le fanatisme, ce n'était pas apprécier le sentiment religieux. Il en résultait d'ailleurs une manière outrageante et amère de parler d'une chose chère à la grande majorité de l'espèce humaine, et ce style, qui est toujours sûr d'obtenir un succès momentané chez une nation vieille et corrompue, devait inspirer une sorte de dégoût aux ames délicates et sensibles, minorité inaperçue, mais puissante, qui finit toujours par faire la loi au milieu même de la dégradation générale.

Les philosophes qui, en attaquant la religion existante, voulaient conserver les principes qui servent de base à toute religion, ne considéraient cependant ces principes que sous leur point de vue le plus ignoble et le plus grossier, comme suppléant aux lois pénales.

En lisant leurs écrits, on voit qu'ils veulent que la religion leur serve tout de suite, comme une espèce de gendarmerie, qu'elle garantisse leurs propriétés, assure leur vie, discipline leurs en

fants, maintienne l'ordre dans leur ménage. On dirait qu'ils ont, en quelque sorte, peur de croire pour rien (1). La religion doit leur payer en services ce qu'ils lui concèdent en croyance.

Cette manière étroite et incomplète de l'envisager a plus d'un inconvénient.

Comme en cherchant dans toutes les beautés de la nature un usage immédiat, une application directe à la vie commune, on flétrit tout le charme de son magnifique ensemble, de même en ne perdant jamais de vue que la religion doit être utile on dégrade la religion; en second lieu, l'utilité pratique n'impliquant nullement la vérité de la théorie, l'homme n'en est pas plus religieux parce qu'on lui dit que la religion est utile, car on ne croit pas dans un but; enfin, l'utilité de la religion sert de prétexte à ceux qui gouvernent pour faire violence aux consciences de ceux qui sont gouvernés, de sorte que d'un trait de plume on donne à des peuples incrédules des maîtres persécuteurs.

Ce besoin d'utilité immédiate et pour ainsi dire matérielle est au reste le vice inhérent à notre esprit national (2). Il a ses avantages sans doute. Il

(1) On pourrait appliquer à notre caractère moral ce qu'on raconte de la paresse physique des Turcs. On dit que le secrétaire d'un ambassadeur de France à Constantinople se promenait tous les jours pendant quelque temps dans son jardin ; les Turcs voisins de cet ambassadeur le prièrent de pardonner à son secrétaire, et de ne pas lui imposer une pénitence aussi rigoureuse. Ils ne concevaient pas qu'on pût marcher pour rien et sans but.

(2) M. de Châteaubriand lui-même, dont le talent n'est pas contes

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