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donne plus de régularité, plus de suite à l'enchaînement des idées. L'on marche plus directement au but, en ne le perdant pas de vue. Mais aussi, lorsqu'on n'examine toutes les questions que dans un but, on court grand risque de ne pas apercevoir tous les côtés des questions. On repousse tous les sentiments, toutes les impressions, toutes les émotions involontaires, qui sont quelquefois plus propres que les raisonnements rigoureux à jeter un jour nouveau sur les objets des méditations humaines, et qui contiennent peut-être le mot de la plupart des énigmes que nous demandons à la logique seule de nous expliquer.

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Trois écrivains pourtant se sont élevés parfois au-dessus de cette vue étroite et mesquine. L'un, et nous en avons déjà parlé, c'est Fénélon: mais on a vu qu'il fut arrêté dès ses premiers pas par l'autorité de l'église romaine, qui, chose bizarre, lui fit un crime d'avoir cru que l'homme pouvait aimer Dieu sans retour sur lui-même, sans vues › égoïstes et sans calculs personnels. Le second c'est J. J. Rousseau. Quelques-unes de ses phrases sont empreintes d'un sentiment religieux, pur, désintéressé, sans alliage de motifs terrestres. Mais Rous

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table, et qui est certainement le premier de nos écrivains, lorsqu'il peint la partie rêveuse et mélancolique du sentiment religieux, a cédé d'une manière plus bizarre que personne à cette manie d'utilité. Il fait valoir celle du christianisme pour la poésie, comme si un peuple cherchait dans sa croyance de quoi procurer une mythologie à ses versifi

cateurs.

seau, s'agitant au milieu de mille pensées contraires, a rassemblé sur la religion, non moins que sur la politique, de discordantes et confuses hypothèses. Le plus affirmatif des hommes et le plus impatient de l'affirmation des autres, il a tout ébranlé, non qu'il voulût, comme on l'a dit, tout détruire, mais parce rien ne lui semblait à sa place. Il a, dans sa force prodigieuse, arraché de leurs fondements antiques les colonnes sur lesquelles reposait, tant bien que mal, l'existence humaine; mais ar chitecte aveugle, il n'a pu, de ces matériaux épars, construire un nouvel édifice. Il n'est résulté de ses efforts que des destructions, de ces destructions qu'un chaos où il a laissé sa puissante empreinte.

M. de Montesquieu, enfin, aurait, par son esprit plus encore que par son ame, pu répandre sur ce qui tient à la religion des lumières nouvelles. Il ne pouvait approcher d'aucun objet sans entrevoir beaucoup de vérités, et comme toutes les vérités se tiennent, remontant des faits qu'il démêlait avec une sagacité admirable à la cause commune de ses effets nombreux, il eût peutêtre aperçu le principe général à travers des modifications infiniment variées. Mais outre que le génie même ne devance son siècle que jusqu'à une certaine distance, M. de Montesquieu dans P'Esprit des Lois n'avait à examiner la religion qu'accidentellement : il n'en a dit que ce qu'il était forcé d'en dire. En lisant ce chef-d'œuvre du XVIIIe siècle, on croit voir l'auteur écartant

lés idées qui se pressent à lui jusqu'à l'importunité, comme Énée repoussait les ombres avec son épée pour se faire jour à travers la foule.

La révolution française, produite parce que nous avions trop de lumières pour vivre sous l'arbitraire, a dévié de sa route parce que nous n'avions pas assez de lumières pour profiter de la liberté. Elle a déchaîné une multitude qu'aucune méditation n'avait préparée à cet affranchissement subit. Elle n'a pas tardé à se transformer en une force matérielle, sans frein comme sans règle, dirigée contre toutes les institutions dont les imperfections l'avaient provoquée. La religion a été en butte à la persécution la plus exécrable. Il s'en est suivi ce qu'il devait s'ensuivre; la réaction a été d'autant plus forte que l'action avait été plus injuste et plus violente. Parmi les écrivans actuels de la France, plusieurs de ceux qui s'intitulent les défenseurs de la religion, hommes non moins ignorants de l'histoire que les démagogues leurs prédécesseurs, et non moins aveuglés sur les conséquences de toutes les mesures tyranniques, proposent, comme une découverte en faveur de la religion, de vieux attentats qui ont échoué sous François Ier, sous Philippe II, sous Marie d'Angleterre et sous Louis XIV. Misérables sophistes, non moins perfides envers les gouvernements qu'envers les peuples!

Ainsi la religion a été traitée en France d'une manière toujours partiale et souvent superficielle.

Elle a tour à tour été défendue avec une pédanterie virulente et hostile, attaquée avec une animosité sans discernement.

A-t-elle trouvé en Angleterre des partisans moins passionnés, ou des ennemis plus équitables?

Par une heureuse réunion de circonstances, le protestantisme, bien qu'établi de force sous Henri VIII, s'est, grace aux cruautés de Marie et aux tentatives impuissantes des Stuarts, identifié avec la constitution qui a fait long-temps l'orgueil de l'Angleterre. Mais il en est résulté que là, plus que chez aucune autre nation éclairée, la religion est une chose dogmatique (1), inaccessible à toute discussion libre et impartiale.

Warburton, Hurd, Tillotson ont l'esprit dominateur de Bossuet sans avoir son génie. L'église anglicane est pour eux, ce qu'était pour l'évêque de Meaux l'église de Rome, avec cette différence qu'en eux l'intolérance est plus absurde, puisque, en contestant à d'autres, le droit d'être hérétiques,

(1) Cette disposition dogmatique met obstacle même aux recherches qui ont pour objet de connaître les opinions, et d'approfondir les antiquités des autres pays. « Que peut-on attendre, » dit avec raison l'un des plus ingénieux critiques de l'Allemagne (M. Rhode, Ueber Alter und Werth einiger morgenlændischer Urkunden), que peut-on atten«dre de recherches dont les auteurs commencent par les mots suivants? << Ou les onze premiers chapitres de la Genèse sont vrais, ou notre religion est fausse. Or notre religion n'est pas fausse, donc les onze premiers chapitres de la Genèse sont vrais. Sir W. Jones. Asiat. Research. I, 225. Il est au reste tel incrédule qui s'est servi dans le sens opposé d'arguments tout aussi peu concluants. Le sophisme est de tous les temps et de toutes les sectes.

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ils abdiquent celui d'être protestants. Les écrivains d'un ordre inférieur ont en général plus d'érudi– tion classique que nos théologiens, mais leur point de vue n'est pas plus large. Ils ne pénètrent pas mieux dans l'esprit des siècles antiques et des ples lointains, leur philosophie n'est pas plus libérale, leur logique ne s'agite pas dans un cercle moins vicieux.

peu

Les sectaires anglais ont sans doute répandu quelque clarté sur l'histoire des premiers siècles du christianisme. Toute lutte fait toujours jaillir un peu de lumière. Mais ces dissidents, soumis autant que les orthodoxes à l'esprit dogmatique qui caractérise la nation entière, ne sortent point de l'enceinte tracée par le dogme, c'est dans cette enceinte qu'ils s'agitent. Ils combattent pour des interprétations, et ce sont encore là de ces disputes où tous les partis ayant adopté des bases communes, aucun ne s'occupe des vérités primordiales, le sujet de la querelle n'étant qu'une conséquence de plus ou de moins à tirer de ce qu'on a d'avance proclamé comme étant la vérité.

Parmi les incrédules, plus mal vus en Angleterre qu'ailleurs, parce que les Anglais se souviennent que l'un des moyens employés par Charles II pour détruire la liberté nationale, était de verser le ridicule sur la religion, parmi les incrédules disons-nous, Collins, Tindall, Woolston, et plus tard Toulmin n'occupent qu'un rang subalterne. Nous passons à dessein Hobbes sous silence; la

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