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le pouvoir ne s'en serait pas fait un instrument, des castes ambitieuses un métier.

Mais si elle est au fond de l'ame de tous, d'où vient l'opposition de quelques-uns à cette conviction générale, à cet assentiment unanime? Soupçonnerons-nous leurs motifs où leurs lumières? Les taxerons-nous d'une ignorance présomptueuse, où les accuserons-nous d'être intéressés à rejeter une doctrine qui, rassurante pour la vertu, n'est menaçante que pour le vice?

Non, ces hommes sont, à plusieurs époques, les plus instruits, les plus éclairés, les plus estimables de leur siècle. Dans leurs rangs se trouvent de généreux défenseurs de la liberté, des citoyens irréprochables, des philosophes dévoués à la recherche de la vérité, d'ardents ennemis de toute puissance arbitraire ou oppressive. La plupart d'entre eux, livrés à des méditations assidues, sont préservés des tentations corruptrices par les jouissances de l'étude et l'habitude de la pensée. Comment la religion, qui n'a rien d'effrayant pour de tels hommes, leur devient-elle un objet de répugnance et d'hostilité? Son absurdité leur serait-elle donc tellement démontrée? mais eux-mêmes reconnaissent que le raisonnement ne conduit qu'au doute. Par quel renversement singulier d'idées le recours innocent et naturel d'un être malheureux à des êtres secourables a-t-il quelquefois provoqué leur haine, au lieu d'exciter en eux la sympathie qu'il semble appeler?

Qui oserait, en jetant un regard sur la carrière qui nous est tracée, déclarer ce recours inutile ou superflu? Les causes de nos douleurs sont nombreuses. L'autorité peut nous poursuivre, le mensonge nous calomnier. Les liens d'une société toute factice nous blessent. La destinée nous frappe dans ce que nous chérissons. La vieillesse s'avance vers nous, époque sombre et solennelle, où les objets s'obscurcissent et semblent se retirer, et où je ne sais quoi de froid et de terne se répand sur tout ce qui nous entoure. Nous cherchons partout des consolations, et presque toutes nos consolations sont religieuses. Lorsque le monde nous abandonne, nous formons une alliance au-delà du monde. Lorsque les hommes nous persécutent, nous nous créons un appel par-delà les hommes. Lorsque nous voyons s'évanouir nos illusions les plus chéries, la justice, la liberté, la patrie, nous nous flattons qu'il existe quelque part un être qui nous saura gré d'avoir été fidèles, malgré notre siècle, à la justice, à la liberté, à la patrie. Quand nous regrettons un objet aimé, nous jetons un pont sur l'abîme et le traversons par la pensée. Enfin, lorsque la vie nous échappe, nous nous élançons vers une autre vie. Ainsi, la religion est la compagne fidèle, l'ingénieuse et infatigable amie de l'infortuné. Celui qui regarde comme des erreurs toutes ses espérances, devrait, ce nous semble, être plus profondément ému que tout autre, de ce concours universel de tous les êtres souf

frants, de ces demandes de la douleur, s'élevant vers un ciel d'airain de tous les points de la terre, pour rester sans réponse, et de l'illusion secoura ble qui nous transmet comme une réponse le bruit confus de tant de prières, répétées au loin dans les airs.

Mais on a dénaturé la religion. L'on a poursuivi l'homme dans ce dernier asyle, dans ce sanctuaire intime de son existence. La persécution provoque la révolte. L'autorité, déployant ses rigueurs contre une opinion quelconque, excite à la manifestation de cette opinion tous les esprits qui ont quelque valeur. Il y a en nous un principe qui s'indigne de toute contrainte intellectuelle. Ce principe peut aller jusqu'à la fureur : il peut être la cause de beaucoup de crimes; mais il tient à tout ce qui est noble dans notre nature.

De là, dans tous les siècles où les hommes ont réclamé leur indépendance morale, cette résistance à la religion qui a paru dirigée contre la plus douce des affections, et qui ne l'était en effet que contre la plus oppressive des tyrannies. En plaçant la force du côté de la foi on avait mis le courage du côté du doute. La fureur des croyants avait exalté la vanité des incrédules, et l'homme était arrivé de la sorte à se faire gloire d'une doctrine dont le principal mérite était dans l'audace qu'il y avait à la professer.

Je me suis souvent senti frappé de terreur et d'étonnement en lisant le fameux Systéme de la

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nature. Ce long acharnement d'un vieillard à fermer devant lui tout avenir cette inexplicable soif de la destruction, cet enthousiasme contre une idée douce et consolante, me paraissaient un bizarre délire : mais je me l'expliquais bientôt, en me rappelant que l'autorité prêtait à cette idée un appui violent et factice : et d'une sorte de répugnance pour l'écrivain, qui me présentait avec triomphe le néant comme terme de moi-même et des objets de mes affections, je passais à quelque estime pour l'antagoniste intrépide d'une arrogante autorité.

Le règne de l'intolérance est passé. Quelques efforts qu'une politique étroite et surannée fasse encore pour le rétablir dans quelques contrées de notre vieille Europe, nous ne le verrons plus reparaître. La civilisation de nos jours le repousse : il est incompatible avec elle. Pour ramener l'espèce humaine à ses lois iniques, il faudrait qu'une nouvelle invasion de peuples barbares entraînât le bouleversement et la destruction de nos sociétés actuelles. Ce péril n'est point à craindre. Aucune partie du globe ne recèle comme autrefois les vainqueurs sauvages des nations policées; et si les vraisemblances ne sont point trompeuses, l'excès de la civilisation est le seul danger que nous ayons maintenant à redouter.

Avec l'empire de l'intolérance doit s'évanouir aussi l'irritation que l'oppression fait naître, et qui s'énorgueillit de lui résister. L'incrédulité a

perdu son plus grand charme, celui du danger. Il n'y a plus d'attrait, là où il n'y a plus de péril.

Le moment est donc favorable pour nous occuper de ce vaste sujet, sans partialité comme sans haine. Le moment est favorable pour juger la religion comme un fait dont on ne saurait contester la réalité, et dont il importe de connaître la nature et les modifications successives.

La recherche est immense. Ceux même qui la croient telle ne l'ont pas appréciée dans toute son étendue. Bien qu'on ait beaucoup écrit sur cette matière, la question principale reste encore inaperçue. Un pays peut être long-temps le théâtre de la guerre, et demeurer, sous tous les autres rapports, inconnu aux troupes qui le parcourent. Elles ne voient dans les plaines que des champs de bataille, dans les montagnes que des postes, dans les vallons que des défilés. Ce n'est qu'à la paix qu'on examine le pays pour le pays même.

Tel a été le sort de la religion, vaste contrée, attaquée et défendue avec une ténacité, une violence égales, mais que n'a visitée aucun voyageur désintéressé, pour nous en donner une description fidèle.

L'on n'a jusqu'ici envisagé que l'extérieur de la religion. L'histoire du sentiment intérieur reste en entier à concevoir et à faire. Les dogmes, les croyances, les pratiques, les cérémonies, sont des formes que prend le sentiment intérieur et qu'il

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