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et veut les expier par des douleurs ou des cruautés nouvelles.

Les sacrifices humains ont eu, sans doute, plus d'une cause.

La consécration d'une portion des dépouilles enlevées aux ennemis dans une victoire, s'est étendue sur les captifs, dont le vainqueur a cru devoir immoler un nombre proportionné à celui que le sort des armes mettait sous sa puissance (1).

Nous avons vu la supposition que la vie future ressemble à cette vie, faire enterrer dans les mêmes tombeaux, ou brûler sur les mêmes bûchers, les morts et leurs esclaves ou leurs concubines.

Les chefs des hordes ont pensé quelquefois qu'en égorgeant d'autres hommes, ils retarderaient le terme fixé par la nature à leur propre destinée, ou que ces victimes leur serviraient, près des forces invisibles, de messagers, organes de leurs hommages et de leurs prières.

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Enfin la soif d'arracher à l'avenir les secrets. qu'il recèle, et que les dieux ont caché peutêtre dans les entrailles humaines, a porté la curiosité féroce à fouiller dans ces entrailles d'une main sanglante.

Ces causes diverses ont introduit les sacri

(1) PROIART, Hist. de Loango.

fices humains chez un grand nombre de tribus

sauvages.

Mais le principe du raffinement dans le sacrifice a dû favoriser particulièrement la pratique de ces rites exécrables. L'effusion du sang humain est devenue l'offrande la plus précieuse, parce que la vie est aux yeux de l'homme ce qu'il y a de plus précieux; et parmi ces horribles offrandes, les plus méritoires ont dû être celles qui frappaient les victimes les plus chères. Rien n'est plus terrible que la logique dans l'absurdité (1).

C'est d'après ce principe que nous retrouvons chez les habitants de la Floride et sur les côtes d'Afrique (2) cette abnégation des liens du sang, ces enfants immolés en présence de leurs mères; coutumes effroyables, que notre enfance avait pris l'habitude d'admirer dans l'obéissance d'Abraham, et qui nous révoltent chez des hordes

(1) Cette théorie du raffinement dans le sacrifice tourne quelquefois au détriment des prêtres qui en font usage. Les Burattes, dans les dangers pressants, sacrifient des prêtres : ils pensent qu'une victime de cette importance doit être d'une plus grande efficacité.

(2) Dans plusieurs contrées de l'Afrique, et dans les îles de la mer du Sud, on immole des enfants dont les mères sont contraintes d'assister au sacrifice. (SNELLGRAVE, Relig. of Guinea. Introd. Cook, dernier voy. I, 351; II, 39-43-203). Voy. aussi Lindemann, Gesch. der Meyn. III, 115. Dans l'île de Célèbes, les pères tuent leurs enfants de leurs propres mains. En Floride, la mère de la victime se place en face du billot fatal, couvrant son visage de ses mains, et déplorant son sort. LAFITEAU, Mœurs des Sauvages, I, 181.

que nous ne sommes pas façonnés à respecter.

Il est si vrai que ces pratiques sont l'effet du calcul et de l'autorité des jongleurs, que moins une horde leur est asservie, moins on y rencontre ces rites barbares, et qu'alors ce sont les devins qui les réclament comme une condition indispensable pour la révélation des choses futures (1). Nous remarquerons, de plus, quand nous traiterons des peuples entrés dans la civilisation, que les sacrifices humains tombent toujours en désuétude parmi ceux de ces peuples qui ne sont pas subjugués par les prêtres, et qu'ils se perpétuent chez toutes les nations qui sont courbées sous leur joug.

Il en est de même de cette notion de chasteté que nous avons vue l'emportant dans le cœur du Sauvage, sur ses penchants les plus impérieux. Non-seulement, comme nous l'avons déjà observé, le sacerdoce se prévaut de cette notion pour recommander des abstinences cruelles et exagérées, mais il exige bientôt une abnégation d'un genre contraire et bien plus étrange.

Dans le royaume de Juidah, les prêtresses enlèvent les filles des familles les plus distinguées, et après des épreuves rigoureuses, les intruisent dans tous les arts de la volupté et les

(1) Parallèle des religions, tom. I.

vouent au métier de courtisanes (1). Chez d'autres Nègres une corporation de prêtres, ou une confrérie religieuse (2), compose des hymnes obscènes qui sont chantés en public aux fêtes solennelles avec d'indécentes attitudes.

Ainsi nous pouvons apercevoir, en remontant jusqu'à l'état sauvage, le motif caché de la prostitution des Babyloniennes, et des danses. immodestes des femmes de Memphis, faits niés beaucoup trop légèrement par des écrivains qui en ignoraient la cause (3).

(1) Culte des dieux fétiches. LINDEMANN, Geschichte der Meyn, etc.

(2) Le Belli, dont nous avons parlé plus haut. L'hymne qui est ainsi chanté s'appelle le Belli-dong.

(3) M. de Voltaire est, de tous nos écrivains, celui qui a combattu le plus obstinément les récits des anciens, relativement aux fêtes licencieuses, et à la prostitution des Babyloniennes. Il y trouvait l'avantage de rendre ridicule un homme beaucoup moins spirituel que lui, sans doute, et que son irascibilité lui avait fait ranger parmi les ennemis de la philosophie, parce que cet homme avait eu le malheur de contredire ses narrations, quelquefois partiales, et ses assertions un peu hasardées. Mais on ne conçoit pas comment M. de Voltaire, qui avait plus étudié que personne les effets de la superstition, et qui en connaissait toute la puissance, s'est obstiné à considérer comme inadmissibles des égarements que tous les historiens de l'antiquité attestent, et qui certes n'étaient pas plus incroyables que beaucoup d'autres très-constatés. N'avons-nous pas vú, dans des sectes chrétiennes, la promiscuité des femmes, la nudité, les attouchements immodestes, les pratiques les plus obscènes érigées en devoirs religieux? Était-il plus difficile d'imposer à l'époux le sacrifice de la pudeur d'une épouse, que de forcer le père à poignarder son fils, ou à précipiter sa fille au milieu des flammes? Un temps viendra sans doute où les auto-da-fés nous paraîtront

L'homme dès sa première enfance a cru ne faire jamais assez pour honorer ses dieux. La nature l'invitait au plaisir, il a sacrifié le plaisir pour leur plaire; la nature lui prescrivait la pudeur, il leur a offert la pudeur en holocauste. Mais c'est au sacerdoce qu'appartient ce dernier raffinement. Il a découvert dans la lutte qui s'élevait entre le sentiment intérieur

aussi impossibles que les rites licencieux. Un temps viendra où nul ne voudra croire que les rois des nations civilisées aient assisté en pompe at supplice épouvantable d'enfants, de femmes et de vieillards, et qu'une reine ait pensé plaire au ciel en crevaut un œil à son confesseur qu'on menait au bûcher. Cependant à moins de contester ce qu'une génération peu antérieure à la nôtre a vu de ses yeux, il faudra bien admettre ces horreurs qu'on aura le bonheur de ne plus comprendre. M. de Voltaire, dans toutes ses recherches, sur les temps reculés et les peuples lointains, semble avoir pensé que les hommes étant les mêmes dans toutes les époques et dans tous les pays, ce que la bonne compagnie ne pouvait faire à Paris, elle n'avait pu le faire à Hiéropolis ou à Ecbatane. Ce principe, propre à satisfaire un esprit rapide, impatient de trancher toutes les questions, ne saurait, quand on l'applique dans un sens absolu, conduire qu'à l'erreur. Il faut sans doute adopter pour base des opinions et des actions humaines, les penchants et les dispositions qui appar tiennent à notre nature: mais la connaissance de ces dispositions et de ces penchants doit nous conduire à la découverte des causes, à l'explication des motifs, et nullement à la négation des faits, lorsque d'ailleurs ils sont attestés par des autorités respectables. Il est impossible d'assigner des bornes aux extravagances et aux opprobres dans lesquels la superstition entraîne les peuples, et, si combattre avec des épigrammes des témoignages unanimes et irrécusables est une bonne manière d'avoir du succès dans un temps de légèreté et d'ignorance, c'est une manière de raisonner déplorable, et la plus vicieuse de toutes pour arriver à la vérité.

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