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et des pratiques obscènes le sujet d'un triomphe nouveau pour la religion, triomphe en sens inverse de celui qu'elle avait remporté sur l'attrait des sexes: et après avoir interdit à la jeune vierge les chastes embrassements d'un époux, il l'a traînée devant ses divinités hideuses pour la profaner et la flétrir.

Cette vérité deviendra évidente, quand nous montrerons dans les religions soumises aux prêtres et dans ces religions seules (1), les fêtes les plus scandaleuses autorisées ou même ordonnées, et le sacerdoce punissant d'un côté par d'affreux supplices la moindre déviation des préceptes de la continence, et d'une autre part frappant d'anathême la répugnance aux obscénités prescrites et aux orgies commandées (2).

(1) Si quelqu'un était tenté de nous opposer les fêtes mystérieuses de la Grèce et de Rome, nous le prierions de suspendre ses objections jusqu'à notre exposé de la composition des cultes sacerdotaux, comparés à la religion grecque et romaine. Nous n'avançons rien sans preuve: mais nous ne pouvons pas tout dire à la fois.

(2) En indiquant ici cette cause, morale des cérémonies licencieuses, partie essentielle des cultes de l'Égypte, de l'Inde, de la Phénicie et de la Syrie, nous sommes loin d'exclure les explications scientifiques et cosmogoniques. Mais ces explications, qui se rattachent à des systêmes de philosophie sacerdotale, ne pourront être examinées que plus tard. Il est naturel de reconnaîter dans les jongleurs le même calcul que dans les corporations de prêtres, qui occupèrent leur place, puisque l'intérêt de ces corporations était le même que celui des jongleurs; mais il serait

Ce n'est donc point le sentiment religieux qu'il faut accuser de ces déviations déplorables. Susceptible, sans doute, de s'égarer, comme toutes les émotions de notre ame, il trouve dans ces émotions mêmes un remède assuré contre ses égarements. La pureté, la pitié, la sympathie, cette vertu céleste que dans la langue religieuse on a nommée charité, et qui n'est que l'impossibilité de voir la douleur sans la secourir, sont ses inséparables compagnes. Il est forcé par leur nature commune d'abjurer bientôt les pratiques féroces ou licencieuses qui souillent son berceau ; et nous fournirons, dans le cours de notre ouvrage, de nombreuses et incontestables preuves qu'elles ne se prolongent qu'à la faveur d'une autorité qui n'a rien de commun avec le sentiment religieux.

Cette autorité terrible, implacable, enregistre les folies humaines, travestit le délire en doctrine, l'épouvante en systême, la barbarie en devoir.

Alors apparaissent les résultats funestes qu'on a si souvent attribués à la religion. Elle se complique de mille pratiques cruelles et ridicules. Les dieux, féroces de caractère, sont hideux de forme le sentiment travaille à les embellir : le

absurde de leur attribuer la même science ou les mêmes erreurs sous les dehors de la science.

sacerdoce les maintient horribles, et le succès de ses tentatives lègue leur figure repoussante à des époques plus civilisées (1).

A de telles idoles il faut de sanguinaires offrandes, des rites révoltants, d'effroyables holocaustes.

Cette désastreuse influence des combinaisons sacerdotales traverse les siècles. Si dans les croyances les plus épurées, nous prenions à la lettre les épithètes qui accompagnent le plus souvent la mention des forces ou des volontés divines, nous penserions que l'homme trouve un plaisir étrange à trembler devant les êtres odieux et barbares auxquels il soumet sa destinée. Tous les maux dont l'espèce humaine est accablée, il en voit l'origine dans la malfaisance de ces persécuteurs acharnés. Tantôt ils sèment les maladies, déchaînent les tempêtes, soulèvent les flots, arment le soleil d'ardeurs dévorantes, ou l'hiver d'insupportables frimas: tantôt conspirant contre le monde qu'ils ont créé, ils brûlent de l'anéantir. Ils l'ébranlent dans ses fondéments; la lune et les astres sont menacés par des monstres (2); l'abyme est prêt à s'entr'ouvrir ainsi devient plus terrible ce dogme de la destruction de l'univers, dont nous

(1) On verra que tandis que les dieux de la Grèce s'élevèrent à une beauté idéale, ceux de l'Égypte et de l'Inde restèrent toujours monstrueux.

(2) LAFITEAU, Moeurs des Sauvages, I, 101.

avons parlé ci-dessus, et qui, sous les formes imposantes d'une cosmogonie ténébreuse, occupera bientôt dans les doctrines des prêtres une place éminente.

Ces considérations paraissent bien propres à nous faire considérer l'existence des jongleurs comme un fléau pour les hordes sauvages, Mais quelques réflexions doivent nous engager à ne pas prononcer légèrement sur cette question.

En premier lieu, l'influence de la caste sacerdotale dans l'état sauvage est assez bornée, en dépit des efforts de cette caste. Le fétiche du Nègre ou le manitou de l'Américain sont des êtres portatifs et disponibles, compagnons fidèles de leurs expéditions de chasse ou de guerre, alliés de leurs haines, confidents de leurs amours. L'adorateur peut non-seulement consulter lui-même son idole dans toutes les circonstances; il peut, ainsi que nous l'avons vu, la quitter pour une autre, ou la punir, quand elle s'est jouée de ses espérances.

Cette légèreté, dans ses relations avec son dieu, lui inspire assez peu de vénération pour ses ministres, et la facilité qu'il rencontre à faire avec ce dieu son traité directement, lui rend souvent l'intervention étrangère importune ou superflue.

Dans toute l'Amérique septentrionale, les jongleurs se bornent à indiquer les sacrifices destinés à plaire aux dieux et les pères de

famille ou les plus considérables de chaque cabane président de droit à la cérémonie (1). Il en est de même chez les Tschérémisses et plusieurs tribus voisines ou dépendantes de la Russie (2). Aussi les jongleurs, quoi qu'ils fassent, n'ont qu'un crédit accidentel et précaire. Ils ne sont guère moins ignorants que le reste de la tribu qu'ils gouvernent associés par l'esprit de corps, mais rivaux pour le profit de chaque heure, ils se décrient encore plus souvent qu'ils ne se concertent (3). Malgré leur résistance, des aventuriers sans mission ceignent aussi la tiare et marchent leurs émules (4). Leur métier n'est au fond qu'un moyen douteux de gain personnel, diminué

(1) CHARLEVOIX, Journ. p. 364.

(2) RYTSCHOWS, Journ. pag. 92, 93. GMELIN, II, 359, 360. Tous les Daures (tribus de Nègres) se prétendent devins. Dans le royaume d'Issini, sur la côte d'Ivoire, il n'y a qu'un seul prêtre, nommé Osnon, qui n'est consulté que par le roi. Les particuliers choisissent quelque devin, auquel ils s'adressent, et qu'ils changent à leur gré.

(3) Lorsque dans quelque danger pressant ou dans 'quelque expédition importante, un Sauvage réunit plusieurs jongleurs, qui apportent chacun leurs fétiches, la discorde se glisse d'ordinaire parmi eux, et la conférence se termine par des querelles et des voies de fait. DOBRIZHOFF, Hist. des Abipons, II, 84. DUTERTRE, Hist. gén. des Antilles, II, 368.

(4) Chez les Lapons, les Américains, les Kamtschadales, quiconque voit son génie lui apparaître devient prêtre. CHARLEVOIX, Journ. p. 364. Chez les montagnards de Rajamahall, c'est le maungy ou chef politique, qui officie dans les rites religieux. (Asiat. res. IV. 41. )

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