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La préférence que le Sauvage accorde à tel animal, à l'exclusion de tel autre, préférence qu'on a voulu souvent attribuer à des raisons compliquées (1), tient à des circonstances fortuites, dont la trace disparaît bientôt. Les Troglodytes dont Pline nous parle, adoraient les tortues qui nageaient jusqu'à eux (2). L'éclat des couleurs, le luisant des écailles, la rapidité des mouvements, ont peut-être valu au serpent des respects religieux, dont le souvenir lui a mérité ensuite sa place distinguée dans la plupart des mythologies (3).

motif, au prix extrême que les aïeux des Perses, avant Cyrus, montagnards presque aussi sauvages que les Kamtschadales, avaient attaché à la possession d'un animal domestique? Il arrive souvent que les motifs s'effacent, et que les usages se con

servent.

(1) Quand nous traiterons de l'adoration des animaux chez les nations civilisées, les Égyptiens par exemple, nous démontrerons la futilité des explications données à ce culte par la plupart des écrivains anciens et modernes.

(2) PLINE, Hist. nat. IX, 12.

(3) Indiquer toutes les causes qui fournissent à l'ignorance des objets d'adoration serait un travail fort superflu et sans terme. Les moindres circonstances y concourent, et l'énumération serait infinie. Ceux qui travaillent aux mines, en Irlande, croient à des génies qui travaillent avec eux. Ils les nomment knockers. Ils ne cessent de les entendre que lorsqu'eux-mêmes interrompent leur ouvrage. (Staeudlin, Magazin zur Religions Kunde, I, 518, 519.) Il est manifeste que c'est l'écho. Qui doute qu'une peuplade chez laquelle il n'y aurait point de culte institué ne fit de ces knockers ses divinités ? Il en arriverait autant aux montagnards écossais, qui, aujourd'hui encore, rendent une espèce de culte à un bon génie pour qu'il protége leurs troupeaux, et

Mais dans tous les cas, l'idée de l'utilité entre

pour si peu dans les motifs de l'adoration, que souvent, lorsque l'idole est vivante, l'adorateur la tue pour la porter partout avec lui (1); et il est encore si vrai que l'inconnu est la sphère où l'adoration se place, qu'à l'époque où l'homme adore presque tous les animaux, il ne rend jamais de culte à ses semblables. L'homme est ce qu'il connaît le mieux, et voilà la source d'une exception qui a frappé beaucoup d'écrivains, sans qu'ils en découvrissent la cause.

Ce culte grossier est si naturel à l'homme ignorant, qu'il y retourne dès qu'il est affranchi des liens ou repoussé des avantages de la religion publique.

aux animaux carnassiers pour qu'ils les épargnent. ( Pennant's Scotland, p. 97. ) Les Nègres de Juidah ont fait d'un grand serpent non venimeux et très-facile à apprivoiser leur principal fétiche, parce qu'un de ces serpents s'étant glissé dans leur camp avant leur victoire sur une horde voisine, ils lui ont attribué cette victoire. (DESMARCHAIS, Voy. en Guinée, II, 133. ) D'après une tradition du même genre, les Delawares rendaient une espèce de culte à la chouette. Dans une guerre qu'ils avaient eue à soutenir contre une nation puissante, ils s'étaient, disaientils, endormis dans leur camp, n'appréhendant aucun danger, lorsque la grande sentinelle du genre humain, la chouette, sonna tout à coup l'alarme. Tous les oiseaux de son espèce répétèrent son cri qui semblait être : Debout! debout! Danger! danger! Obéissant à cet appel, chacun saisit son arme, et, à leur grande surprise, ils virent que l'ennemi cherchait à les entourer, et qu'ils auraient tous été massacrés pendant leur sommeil, si la chouette ne les eût avertis à temps. (HECKEWELDER, Mœurs des Indiens de Pensylvanie, p. 339.)

(1) Lettr. édif. VI, 174.

Les Parias de l'Inde, rejetés avec horreur du commerce des autres castes, et n'étant admis ni soumis à aucun culte, ont repris cette croyance. Chacun d'eux, nous disent les voya❤ geurs (1), se choisit son propre dieu. C'est tantôt tel ou tel animal, une pierre ou un arbre.

A la Chine, où la religion n'est qu'une forme, et où les mandarins sont panthéistes ou athées (2), le peuple adore les serpents et leur offre des sacrifices (3).

(1) ROGER, Pyrard, I, 276. HAMILTON, New Account of the east Indies, 310. Sonnerat, I, 47.

(2) Nous ne prétendons pas affirmer que, parmi les philosophies religieuses des Chinois, il n'y en ait aucune qui se rapproche du théisme. Une des plus fortes têtes, et l'un des savants les plus distingués que nous ayons en France, M. Abel Rémusat, paraît avoir découvert un système de platonisme chinois trèsremarquable par ses conformités avec celui de la Grèce. N'ayant point une connaissance exacte de son mémoire que nous n'avons pu nous procurer, nous ne saurions décider cette question. Dans l'impossibilité où est l'espèce humaine de rester inactive quand l'incrédulité l'oppresse, et que le scepticisme l'agite, il nous semble assez vraisemblable que, depuis long-temps en Chine, comme dans les dernières époques de la philosophie grecque, on s'est épuisé en tentatives pour remonter vers la croyance au moyen de l'abstraction; mais nous parlons de l'état constitué, et, pour ainsi dire, ostensible de la religion chinoise. La Chine, avec laquelle l'Europe acquiert chaque jour une ressemblance plus frappante, la Chine, gouvernée par la gazette impériale et par le Bambou, a d'autant moins de conviction qu'elle a plus de formes, et doit avoir d'autant plus de superstition qu'elle a moins de conviction. Triste résultat du despotisme et d'une civilisation excessive, la Chine est, pour les nations européennes, ce qu'étaient les momies dans les festins de l'Égypte, l'image d'un avenir peut-être inévitable sur lequel on s'étourdit, mais vers lequel on marche à grands pas.

(3) BARROW, Travels in China, p. 534. Au Tonquin, chaque

Toutefois, l'action du sentiment religieux ne se borne point à la création de cette forme étroite et grossière. Au-dessus des fétiches (1), divinités matérielles, que le besoin du moment enfante, invoque et détruit, plane toujours une notion plus vague, plus mystérieuse, moins applicable à la vie commune, et qui cependant remplit d'un respect plus profond, d'une émotion plus intime, l'ame de l'adorateur.

Chez le Sauvage comme chez l'homme civilisé, la tendance religieuse se dirige vers l'idée de l'infini, de l'immensité. De là ce grand es

bourgade adore un génie particulier, qu'elle représente comme dans l'ancienne Égypte, sous la forme d'un chien, d'un serpent ou de toute autre bête. (L'abbé RICHARD, Voy. au Tonquin. ) La théocratie des Hébreux ne les préserva pas toujours de toute trace de fétichisme. Il serait peut-être hasardé de vouloir reconnaître le culte des pierres dans l'adoration de la pierre Beth-el, consacrée par Jacob. Mais le serpent d'airain, que Moïse fit élever dans le désert, et auquel les Hébreux offraient de l'encens, est un vestige manifeste du culte des animaux. L'ordre ombrageux et sévère des lévites ne semble point s'en être effarouché. Les rois les plus attachés à la loi mosaïque, David, Josaphat, Jonathan, le tolérèrent. Ce ne fut que sous Ézechias qu'il fut interdit.

(1) Nous avons donné le nom de fétiches aux divinités des Sauvages, parce que cette désignation étant la plus habituelle, est par là même la plus intelligible de toutes. Du reste, on sait qu'elle est de l'invention des voyageurs européens, et empruntée d'un mot portugais. Le nom des fétiches varie chez les différentes peuplades qui professent ce culté. L'Ostiaque les appelle ses starryks, l'Iroquois ses manitous, etc. Cette nomenclature nous a paru inutile à conserver, l'idée'exprimée différemment étant toujours la même.

prit, qui réside au sein des nuages, par-delà les montagnes ou dans l'abîme impénétrable des mers, toujours invisible, rarement imploré, parce qu'il prend peu de part à la destinée des habitants de la terre, mais vers lequel l'ame s'élève pourtant, comme s'essayant à des conceptions plus nobles que celles que l'ignorance fournit à l'homme.

Cette tendance est bien impérieuse, puisqu'elle se retrouve chez les hordes les plus abruties. Les Cucis, ou montagnards de Tipra, à l'orient du Bengale, sont les sauvages les plus ignorants et les plus féroces. Ils pensent qu'il y a une divinité dans chaque arbre. Ils n'ont point de lois positives. Le meurtre n'est puni chez eux que par les parents du mort, s'ils ont la force de se venger. La société n'y intervient en rien. Ils coupent la tête aux femmes de leurs ennemis, s'ils les rencontrent sans défense, et lorsqu'ils ont tué une femme enceinte, c'est pour eux un sujet de joie et de gloire. Cependant, ils reconnaissent un grand esprit, différent de toutes les autres divinités qu'ils adorent (1) et qu'ils n'osent représenter par aucune image (2).

Un Sauvage de l'Amérique, qui avait un taureau pour fétiche, déclara un jour au mis

(1) Asiatic researches, II, 187 - 193.

(2) Ibid. VII, 196.

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