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définissable, mais indestructible; nous verrons ce que la nature avait gravé dans le cœur de l'homme pour réunir deux époux par une pudeur commune, et pour qu'aux regards l'un de l'autre ils fussent à part du reste du monde, interprété par les prêtres comme une réprobation de la première loi de cette nature. Une continence absurde, supplice lent, mais terrible, qui révolte les sens, bouleverse l'imagination, jette dans un trouble mêlé de fureur les ames les plus douces, les raisons les plus fortes, les êtres les plus timides, deviendra, dans les religions sacerdotales, le meilleur moyen d'honorer les dieux. Mais en dévoilant cet abus coupable, il faut reconnaître la notion première a précédé l'abus.

que

L'intérêt cependant ne tarde pas à intervenir dans cette notion puissante du sacrifice, qui, s'emparant de l'homme, le perfectionne et l'égare tour à tour.

Le sentiment voudrait que le sacrifice fût désintéressé. L'intérêt veut qu'il ait pour but une réciprocité de services. Alors la religion n'est plus qu'un trafic. Le culte s'arrête, quand

purent jamais l'obliger à revoir cet époux indiscret. Quelque <«< représentation qu'on pût lui faire, elle ne se rendit point, et « l'on fut obligé de les séparer..... Parmi les Abenaquis, nne « femme qui se trouve enceinte avant la première année révo«<luc, y devient un sujet d'étonnement et de scandale. » LAFIMoeurs des Sauvages.

TEAU,

le profit cesse. L'homme passe d'un fétiche à l'autre, cherchant toujours un allié plus fidèle, un protecteur plus puissant, un plus zélé complice.

Dirigeant la religion vers ce but ignoble, l'intérêt en écarte toute notion de morale. Le fétiche est un être égoïste et avide, allié d'un être plus faible, égoïste comme lui. Les sacrifices dont il se repaît ne regardent que lui seul. Les devoirs qu'il impose consistent en victimes, en offrandes, en témoignages de soumission, monnaie convenue, signes représentatifs d'offrandes et de victimes futures. C'est un paiement que le fétiche réclame, pour la protection qu'il accorde; que ce paiement se fasse avec exactitude et libéralité, aucun des deux contractants ne se mêle de ce que fait l'autre vis-à-vis d'un tiers.

La religion est alors tellement un trafic que l'homme établit, pour ainsi dire, ses comptes avec son dieu. Il examine si ce dieu s'est acquitté d'une manière satisfaisante des engagements qu'il est supposé avoir contractés; et si le bilan n'est pas en faveur de l'idole, l'adorateur la quitte ou la punit, la frappe ou la brise, la livre aux flammes ou la jette dans les ondes (1).

(1) Les Nègres vendent, jettent, brûlent ou noient les fétiches dont ils sont mécontents. (BossMANN, Reise nach Guinea, aus

Il serait imprudent de trop se récrier sur l'absurdité d'une telle vengeance. Ces puériles et ridicules scandales ne sont pas sans exemple dans des temps plus éclairés (1), et la religion

dem Franzosischen uebersetzt. p. 445.) Les Ostiaques, après une chasse malheureuse, les frappent de verges, et se réconcilient avec eux, dans l'espoir que cette punition les aura corrigés (Voy. au Nord, VIII, 415.) Les habitatns du Congo, affligés de la peste, brûlèrent tous les fétiches qu'ils avaient invoqués inutilement. (Projart, Hist. de Loango, etc. 310.) Un voyageur vit un Lapon brûler ses fétiches, parce que ses rennes étaient stériles. (219.) Les habitans de la baie d'Hudson poursuivent leurs idoles à coups de fusil, quand ils croient avoir à s'en plaindre. (Umfreville's present state of Hudson's bay.) Les peuples d'Ouéchib, dans les îles Sandwich, supprimèrent leurs fêtes religieuses, parce qu'ils étaient en colère contre leurs divinités qui avaient laissé mourir leur roi. (Staeudlin Relig. Maguaz.)

(1) Les Chinois, lorsque l'idole qu'ils invoquent n'exauce point leurs prières, fouettent ses statues, brisent ses autels, et la traduisent devant des tribunaux qui la jugent. Si ces tribunaux la condamnent, elle est dégradée, et son culte aboli. Lecomte (Mém. sur les Chin. II, 128, 129) rapporte à ce sujet une anecdote assez remarquable. Un Chinois d'un rang distingué, alarmé pour sa fille dangereusement malade, ne se borna point à consulter tous les médecins qu'il put réunir; mais il eut recours à tous les bonzes du voisinage, et mit en œuvre tous les moyens qui lui furent indiqués par eux, afin d'obtenir des dieux, et surtout de la divinité locale de son domicile, que la vie de sa fille fût prolongée. Les prêtres de cette divinité lui en donnèrent l'assurance formelle; mais, en dépit de tous les sacrifices, de toutes les prières et de tous les dons, la malade mourut. Irrité de se voir ainsi trompé dans ses espérances, le père voulut se venger d'une idole implacable ou impuissante. II porta plainte devant le juge, et, en réparation de ce que cette idole avait accepté tous ses présents sans le secourir, il demanda que ses temples fussent abattus, et ses prêtres condamnés au bannissement. L'affaire parut tellement grave au magistrat du

la plus épurée n'en a pas toujours préservé la portion ignorante de ses sectateurs (1).

Quand un Sauvage est en inimitié avec un autre Sauvage, son fétiche devient l'ennemi du

lieu, qu'il crut devoir en référer au gouverneur de la ville, qui s'adressa lui-même au vice-roi. Celui-ci tenta d'abord d'apaiser le plaignant; mais ce père au désespoir refusa de retirer son accusation, et déclara qu'il s'exposerait plutôt à mourir que de ne pas obtenir la punition d'une divinité méchante et trompeuse. Cette obstination força le vice-roi à faire instruire le procès, et à renvoyer les parties devant le tribunal suprême à Pékin. Cette cour fit comparaître l'accusateur et l'accusé, c'est-à-dire le père et le dieu représenté par ses prêtres, et, après avoir entendu pendant plusieurs jours de longues plaidoiries, ordonna que le dieu serait banni de l'empire, que ses temples seraient rasés, et que ses ministres, les bonzes, subiraient à sa place un sévère châtiment. L'arrêt fut ponctuellement exécuté. Quelquefois aussi les tribunaux prennent l'initiative. Ils fixent un terme fatal durant lequel les dieux protecteurs des villes ou des provinces sont tenus de porter remède à la calamité dont elles souffrent, sous peine de destitution et de destruction de leurs temples. (DuHALDE, Descr. de la Chine, II, 38.)

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(1) Les chrétiens du moyen âge, mécontents de l'un de leurs saints, lui annonçaient solennellement qu'ils renonçaient à son culte, le dépouillaient de ses ornements, et le jetaient dans la rivière. Une sécheresse extraordinaire pensa coûter à saint Pierre, vers le milieu du XVIe siècle, sa dignité de saint. (SAINTFoix, Essais sur Paris, V, 103.) Frézier, dans un voyage entrepris en 1712, raconte que le capitaine de son vaisseau, ne pouvant obtenir un vent favorable, pendit au grand mât une image de la Vierge, et lui déclara qu'elle y resterait aussi longtemps que le vent serait contraire. (FRÉZIER, Relation du voyage de la Mer du Sud dans les années 1712-1714, p. 248.) Qui le croirait? les Napolitains, en 1793, à l'occasion des victoires des Français, firent condamner saint Janvier, par une espèce de procédure juridique, et ils le traitèrent de même en novembre 1804, pendant une éruption du Vésuve.

fétiche de son adversaire (1). Plus tard, quand deux nations se combattent, les dieux se divisent, et chaque nation a ses auxiliaires dans le ciel. C'est la même hypothèse adaptée à l'état social de chaque période : chez les peuples policés comme chez les tribus ignorantes, l'assistance s'accorde, non à la justice de la cause, mais à la libéralité des adorateurs.

Car nous devons encore ici prémunir nos lecteurs contre le dédain précipité que la civilisation prodigue aux Sauvages. Quelle que soit la croyance, la question principale est de voir si le sentiment ou l'intérêt prédomine; si c'est l'intérêt, la pureté de la doctrine est sans importance. La religion alors n'est que du fétichisme et dans les ames que l'égoïsme corrompt et qu'aveugle la crainte, ce fétichisme est aussi révoltant que chez l'Ostiaque ou chez l'Iroquois. Assurément, Louis XI se mettait au niveau de ces misérables hordes, lorsque, prosterné devant Notre-Dame de Cléry, il espérait racheter un fratricide en séduisant la sainte des présents magnifiques (2).

par

(1) BOSSMAN, Voy. en Guinée, p. 179.

(2) Il est très-curieux de lire Brantome sur le fétichisme de Louis XI: et, pour n'être pas soupçonnés de calomnier la royale mémoire du prince, nous rapporterons en original le texte de l'historien. «< Entre plusieurs bons tours de dissimulations, fein

tes, finesses et galanteries que fit ce bon roy en son tems, fut celuy, lors que, par gentille industrie, il fit mourir son frère,

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