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Pichegru se fait battre exprès à Heidelberg. Les émigrés et les Autrichiens sont en armes sur nos frontières. L'Angleterre s'empare de nos colonies.

Contraint de défendre la révolution à l'intérieur et à l'extérieur, le Directoire le fait d'abord avec un succès prodigieux. Hoche éteint la guerre civile dans l'Ouest, Moreau menace Vienne, Bonaparte triomphe en Italie. La Corse abandonne la domination anglaise pour se réunir à la France, dont Paoli l'avait séparée pendant deux ans. La France et l'Espagne réunies déclarent la guerre à l'Angleterre. Neutralité du nord de l'Allemagne stipulée entre la France et la Prusse. Le roi de Sardaigne cède à la France, la Savoie, Nice, Tende. Traités de paix avec le roi des Deux-Siciles, avec le pape, avec l'Autriche. Campagne d'Égypte glorieuse et funeste. La France compte cent deux départements. Elle s'environne d'États républicains pour se créer des alliés.

Une vaste conspiration royaliste est découverte et amène le coup d'État du 18 fructidor an v (4 septembre 1797). Plusieurs conspirateurs font partie de la législature. On en soupçonne même dans le Directoire. Les deux sections du Corps législatif sont soudainement convoquées dans d'autres lieux que les palais où ils se réunissent ordinairement. Sur les communications qui leur sont faites par le Directoire, les Conseils révoquent plusieurs lois décrétées en faveur des émigrés, des Vendéens, des chouans et des prêtres; annulent les élections de quarante-neuf départements (1); con

(1) Neuf mois après, le 22 floréal an vi, le Directoire, en

damnent à la déportation deux directeurs, cinquantetrois députés, les propriétaires, auteurs, imprimeurs de quarante-deux journaux ou recueils périodiques. La conspiration est évidente, mais la culpabilité de tous les proscrits ne l'est pas. La répression n'est pas d'ailleurs constitutionnelle; cette condamnation collective, sans instruction préalable et contradictoire, par une autorité incompétente, produit un effet déplorable. Elle fait rentrer la France dans une voie dont elle se croyait à jamais sortie, l'arbitraire et le recours à la force matérielle. Elle élève et augmente les dangers de la république. La violation de la constitution par les pouvoirs qu'elle a constitués ébranle de nouveau l'édifice social et remet tout en question. C'est ce que désirent l'émigration et l'étranger.

Dans le même temps où la constitution et les pouvoirs publics perdent leur influence morale, une nouvelle coalition de l'Angleterre, des empereurs d'Allemagne et de Russie, d'une partie de l'empire germanique, des rois de Naples et de Portugal, de la Turquie et des États barbaresques, se forment contre la France. Nos armées, si souvent victorieuses, éprouvent durant plusieurs mois des défaites en Allemagne et en Italie. Ces désastres font concevoir de nouvelles espérances aux royalistes, qui donnent plus d'activité à leurs manœuvres et de nouvelles craintes aux républicains, qui sentent la nécessité de se montrer vigilants et plus

vertu de la loi de circonstance, par laquelle les conseils, après le 18 fructidor, lui avaient accordé le pouvoir de juger les opérations des assemblées électorales, annula d'autres élections, mais dans un sens contraire, comme trop démocratiques.

sévères. Les conseils accusent trois des cinq directeurs d'avoir occasionné les revers de nos armées par la trahison ou l'incapacité. Le 30 prairial an vi (16 juin 1799), l'élection de Treilhard est annulée comme contraire à la constitution. Merlin, Laréveillère-Lepaux, menacés d'être mis en jugement, donnent leur démission. Gobier, Roger-Ducos, Moulins, les remplacent et composent le dernier Directoire avec Barras et Sièyes. Cette seconde épuration achève de flétrir le pouvoir exécutif, et ajoute aux alarmes de la France,

Cependant nos troupes vengent leurs défaites et retrouvent le chemin de la victoire, Brune avait vaincu les Anglo-Russes à Berghen et Masséna les AustroRusses à Zurich. Les conseils se divisent en partisans de la paix et en partisans de la guerre ; mais ils sont d'accord pour demander que les nobles et les parents d'émigrés, les hommes suspects de royalisme, fussent éliminés des fonctions publiques et remplacés par des républicains éprouvés. Un décret ordonne un emprunt de cent millions, rempli par les riches, proportionnellement à leur fortune réelle ou présumée. Un autre décret rend tant les nobles que les parents d'émigrés nobles ou roturiers, personnellement responsables des brigandages commis dans l'intérieur de la république. Les administrateurs des départements dans lesquels se manifestent des troubles, sont autorisés à incarcérer, en qualité d'otages, les nobles ou les parents d'émigrés les plus riches; et s'il survient quelque crime capital dans ces cantons, ces otages doivent être déportés, et leurs propriétés appliquées en réparation envers les particuliers ou envers la république. Ces deux lois si

arbitraires révèlent les besoins financiers et les terreurs du pouvoir. Par réciprocité, les chefs de la Vendée établissent un emprunt forcé auquel ils font contribuer les parents des députés, les acquéreurs de domaines nationaux, les hommes les plus attachés à la République. Ils les prennent aussi pour otages.

La constitution violée par le pouvoir, cesse d'être respectée par les citoyens. Quoique fatiguée de révolutions, la nation comprend qu'une révolution nouvelle est inévitable. Elle fit la révolution de 89, elle laissera faire celle du 18 brumaire (9 novembre 1799), et l'accueillera comme gage de la sécurité du présent et l'espoir de l'avenir. C'était cependant l'acte violent d'un général, mais ce général était Bonaparte.

L'emprunt forcé de cent millions est remplacé par l'addition de 25 centimes aux contributions foncières et mobilières. La loi des otages est abrogée. La nouvelle constitution apporte un changement notable dans le mode jusqu'alors consacré de l'exercice des droits politiques des citoyens, en établissant trois degrés d'assemblées électorales, et des listes de notabilité par chacun de ces degrés. Les notables n'étaient que des candidats présentés par le peuple. L'élection lui était retirée. Le partage de la puissance législative entre un corps législatif et un tribunat, n'est pas comme dans la constitution de l'an III, une division de la législature en deux assemblées semblables dans leur séparation, et concourant à la formation de la loi par des attributions essentiellement différentes (la proposition et la sanction), mais un partage d'une même assemblée, en conseil consultatif et en assemblée votante sans discus

sion. Le sénat avait un caractère mixte qui en faisait un corps équivoque, en ce qu'il participait de la législature et du gouvernement. La centralisation du gouvernement dans le consulat, délégué à trois consuls, dont le premier était prédominant en autorité et seul gouvernant, communiquait plus de force au pouvoir exécutif, force encore augmentée par l'initiative législative qui lui était exclusivement attribuée. Tous les corps constitués furent moins libres, les citoyens plus restreints dans l'exercice de leurs droits politiques, la liberté publique moins entière et moins assurée, les lois moins l'expression de la volonté nationale, mais l'action du gouvernement fut plus libre et plus impérative.

On ne s'aperçoit pas que la constitution de l'an VIII ne parle pas de la liberté de la presse; que les agents de l'autorité ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions qu'en vertu d'une décision du conseil d'État, ce qui les rend irresponsables, si l'autorisation n'est pas accordée; que le premier consul nomme à toutes les fonctions qui, depuis la constitution de 1791, étaient à la nomination du peuple, ce qui met la France entière sous la main de l'autorité exécutive, que le retour de l'absolutisme, contre lequel notre première révolution se fit, est préparé.

La nation, agitée depuis l'ouverture des États-Généraux; vivant, pour ainsi dire, sur la place publique, comme les républicains d'Athènes et de Rome; livrée l'effervescence des passions politiques et à d'orageuses discussions, donne sa démission, se concentre dans ses Occupations et ses intérêts privés, abandonne au premier consul le soin de la conduire. Les envahissements

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