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des Sophocle & des Euripide, & non à de froids enlumineurs, dont l'orgueilleux amour-propre s'imagine, avec des pinceaux languiffans & groffiers, des couleurs fauffes & éteintes, pouvoir copier les touches larges, favantes & vigoureufes, les nuances délicates & légères, & le coloris enchanteur des tableaux pleins d'ame, de chaleur & de vie de ces grands Maîtres. Ce font leur palette, leurs pinceaux, leur goût, leur génie en un mot qu'il faut avoir, pour atteindre à leur perfection.

Les trois Tragiques Grecs ont chacun leur caractère propre qui fe fait aisément fentir, & dans leurs pensées, & dans la manière de les exprimer. Toujours plein de l'ardeur guerrière dont il avoit brûlé long-temps, Efchyle femble imiter dans fon style le choc & le bruit des armes : il écrivoit comme il combattoit, avec impétuofité: fon imagination fougueuse le servoit comme son courage, & l'emportoit fouvent trop loin. Sophocle animé

de la même ardeur, nourri de même dans l'horreur des combats, eft cependant plus modéré, plus fage: fon imagination eft grande, élevée, fans être gigantefque. Euripide qui ne s'étoit jamais appliqué à d'autre étude, qu'à la contemplation & à la méditation tranquille de la nature, a imprimé fon caractère philofophe à toutes fes Tragédies. C'est ce qui a fait dire à Quintilien (1): « Qu'il » le regardoit comme le Poëte, dont la » lecture étoit la plus utile à ceux qui » se destinoient à la profeffion du Ba»reau, car indépendamment que fon

style ( & c'est-là précisément ce que

́(1) Illud quidem nemo non fateatur neceffe eft, iis qui fe ad agendum comparant, utiliorem longè Euripidem fore. Namque is & in fermone (quod ipfum reprehendunt quibus gravitas & cothurnus & fonus Sophoclis videtur esse sublimior) magis accedit oratorio generi; & fententiis denfus, & in iis quæ à sapientibus tradita sunt, pene ipfis par, & in dicendo ac respondendo cuilibet eorum qui fuerunt in foro diferti, comparandus. In affectibus vero cum omnibus mirus, tum in iis qui miferatione conftant, facile præcipuus. QUINT. Lib. X. Cap. I,

Pag. 741.

> blâment les perfonnes auxquelles la majefté, le ton, le cothurne, en un >> mot, de Sophocle, femble avoir quel» que chofe de plus fublime), indépen» damment, dit-il, que fon ftyle appro» che davantage du genre oratoire, il » eft plein de sentences; en forte que » dans les chofes que la Philofophie >> nous enfeigne, peu s'en faut qu'il » n'égale les Philofophes; & foit qu'il » faffe parler ou répliquer fes person»nages, il eft comparable à tout ce que » nous avons eu de plus difert au Bar»reau. Il eft fur-tout admirable dans >> l'art de remuer les paffions, & prin»cipalement d'exciter la pitié ».

Il femble que les Contemporains de ces grands Hommes, & la postérité, se foient accordés, pour ne les défigner que felon l'ordre des temps où ils ont paru fur le Théâtre d'Athènes, fans prononcer affirmativement lequel devoit occuper le premier rang. Peut-il en effet y avoir entr'eux quelque préémi

nence, fi leur génie eft le même, & s'ils ne diffèrent entr'eux que dans leur manière de peindre toujours également fublime? Au reste à qui ont-ils dû le développement de leur génie? Qui les a infpirés? Quel modèle ont-ils choifi? Homère, ce Peintre divin de la Nature, fans lequel, peut-être, leurs noms & leurs ouvrages auroient été engloutis, comme tant d'autres, dans l'abyfme des temps. Mais quels font les fucceffeurs des Efchyle, des Sophocle & des Euripide ? Les connoît-on? Nous ne les connoiffons

malheureufement que par leurs noms (1) échappés feuls à l'oubli; tandis que leurs ouvrages ont été la proie des temps d'ignorance & de barbarie. Si nous nous en rapportons au témoignage de l'Antiquité, il s'en eft même trouvé plufieurs parmi eux, dignes de foutenir & de perpétuer la fplendeur de la fcène tragique. Mais malgré l'évidence reconnue

(1) Voyez la Bibliothèque grecque de Fabricius, Lib. II, Cap. XIX.

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de leurs talens aucun de ces Poëtes n'a été affez vain, pour prétendre avoir hérité des pinceaux & du génie des fondateurs de la gloire du Théâtre Grec; & fuppofé qu'il y en ait eu, auxquels un fuccès précoce & une vogue éphémère aient inspiré cette orgueilleufe & ridicule prétention, leurs noms ne font pas parvenus jufqu'à nous; & ils ont fubi tout naturellement le fort qu'éprouveront un jour les prétendus héritiers des Corneille, des Racine & des Crébillon.

Il est heureux pour l'Art dramatique, que les ouvrages des Efchyle (1), des Sophocle & des Euripide aient échappé

(1) On ne se plaindra plus long-temps, comme on l'a fait jufqu'ici avec raifon, que les Monumens du génie de ces trois grands Poëtes, aient été trop négligés par les Savans, & qu'ils ne fe foient pas affez appliqués à en ôter les taches que l'ignorance des fiécles barbares y avoit amaffées. Le favant & judicieux M. Brunck, de l'Académie des Inscriptions & Belles - Lettres, Commiffaire des Guerres à Strasbourg, travaille à une Édition complette du Théâtre Grec. On imprime actuellement le SOPHOCLE. Les Effais par lefquels il s'eft préparé à faire cette Édition, fur-tout l'Ariftophane qu'il vient de publier,

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