culture furent obligés de donner aux propriétaires la plus grande partie du rapport; le reste servait à leur nourriture et celle de la famille. Le travail industriel n'était pas plus libre, il était subordonné aux besoins et à l'arbitraire du maître, et le produit lui en appartenait. Le serf ne pouvait se marier sans la volonté de son seigneur ; il ne pouvait choisir une femme que sur son domaine; les enfants suivaient la condition des parents. Le seigneur avait le droit de vendre, d'échanger, de donner ses serfs et de les revendiquer partout; il en disposait comme de ses chevaux ou de ses chiens. Tout seigneur était justicier sur ses terres; la plupart se servaient de cette autorité pour obtenir des avantages et priviléges aussi contraires à la raison qu'à la morale. Leurs vassaux devaient battre les étangs près du château, pour que leur sommeil ne fût pas troublé par le bruit des grenouilles; payer une redevance chaque fois qu'ils mariaient une de leurs filles. Enfin, l'abus du pouvoir arriva jusqu'à exiger l'infàme droit de prélibation, de déflorement, de cuissage, suivant les provinces et les coutumes: c'est-àdire que la première nuit des nouvelles mariées leur appartenait. Ce ne fut seulement qu'au xive siècle que cet usage fut remplacé par un impôt en argent payé à ces minotaures de la luxure. Toute défectueuse qu'était cette nouvelle condition sociale, elle était cependant préférable à l'ancien esclavage. Le serf n'était pas encore une personne devant la loi, il n'avait qu'un nom religieux dont le patron était au ciel; mais il vivait au sein de sa famille, il apprenait à diriger sa volonté. Tout restreint qu'était son horizon, il pouvait s'y mouvoir librement, il s'initiait à la liberté. A l'époque où nous vivons, il peut paraître extraordinaire que les hommes n'aient pas toujours été en possession de l'initiative qui dirige toutes les actions de la vie; mais cette faculté, qui met en mouvement notre volonté, qui donne l'impulsion à nos forces intellectuelles et physiques, n'a pas toujours existé dans les classes des travailleurs. Reportons-nous par la pensée à ces temps d'esclavage les ouvriers étaient, pour ainsi dire, dans une enfance perpétuelle: ils devaient remplir la tâche qui leur était imposée. Le maître pensait pour eux, il était la tête, eux les bras. Leur existence était assurée ; malades, on les soignait; le chômage, c'était le repos, et ils étaient nourris sans travailler; enfin, dans leur vieillesse, le pain et un abri ne leur manquaient pas. Le sort de leurs enfants était fixé d'avance; ils n'avaient donc pas à se préoccuper de leur avenir. A quoi aurait servi cette initiative, qui, à notre époque, est tout pour le travailleur? c'eût été une faculté inutile pour ces déshérités de l'humanité. Si, d'un jour à l'autre, on leur eût donné la liberté, elle eût fait leur désespoir, et presque tous seraient venus réclamer, comme un bienfait, les chaînes de la servitude. Mais, conclure de là que ces esclaves étaient plus heureux que nos travailleurs, ce serait une grossière erreur. L'esclavage même satisfait et qui s'ignore, n'en est pas moins une dégradation de l'humanité que tous les cœurs honnêtes doivent répudier et flétrir. Aujourd'hui, aussitôt que l'enfant de l'ouvrier peut assembler ses idées, il voit que l'unique pensée de ses parents est de trouver dans le travail les moyens de pourvoir à l'existence de la famille; il comprend leur sollicitude pour ménager des ressources en cas de chômage et de maladie; il sait que son père, en le mettant à même d'exercer un état, lui fournit les moyens de suffire un jour à ses besoins, et que, son apprentissage terminé, il devra tout tirer de son propre fond. Aussi, est-ce plein de courage et de confiance qu'à l'âge de seize ou dix-huit ans, il vient prendre son rang au milieu des soldats de l'industrie. Mais, à l'époque dont nous parlons, lorsque le travailleur eut acquis la liberté à prix d'argent, qu'il eut conquis sa personnalité, et ajouté à son nom religieux un autre nom qu'il tirait presque toujours de son industrie, du bois, du moulin ou du champ dont il était propriétaire, isolé au milieu de cette société du moyen âge fractionnée par caste, ayant chacune son organisation particulière et ses priviléges dont elle était jalouse, et qu'elle faisait respecter par les agents de son autorité privée, il se trouva sans garantie et sentit le besoin de l'union, autant pour repousser l'agression des divers intérêts avec lesquels il allait entrer en contact que pour s'opposer aux exactions des nobles seigneurs, qui, de temps en temps, s'abattaient de leur donjon sur les villes pour en dévaliser les habitants. Réunis en communautés ou corporations sous le patronage d'un saint dont ils arboraient la bannière, ils comprirent la nécessité de ne point se séparer. Chaque corps d'état se groupa dans un même lieu. De là, les noms des rues de la Tixeranderie, de la Mortellerie, de la Charronnerie, de la Tannerie, du quai des Orfévres, etc., désignés par les industries ou le commerce de ses habitants. Chaque corporation, composée de maîtres et d'ou vriers, dirigée par des syndics nommés à l'élection, avait des règlements qui lui étaient propres. Ainsi que nous l'avons dit plus haut, les membres exerçaient les uns envers les autres, une surveillance toute dans l'intérêt de la bonne confection. Ils se secouraient er cas de maladie, et se défendaient quand le litige tou chait le corps de métier auquel ils appartenaient, ou quand une industrie rivale empiétait sur leurs privi léges. Il n'était pas permis aux savetiers, par exemple de mettre au même soulier une empeigne et un quar tier neufs, aux tailleurs en vieux de raccommoder ur habit au delà d'une certaine proportion, aux tapissiers de vendre des glaces, etc.; de là, de nombreux procès entre les corps de métiers. Les apprentis, pour devenir ouvriers, devaient justi fier de leur temps d'apprentissage; les ouvriers, pour être reçus maîtres, étaient tenus de prouver qu'ils avaient exercé leur état durant un nombre d'années déterminé et faire une œuvre qui constatât leur habileté. Il n'y avait, dans la confèction du chef-d'œuvre, rien de déraisonnable, et il est regrettable aujourd'hui que les mêmes conditions de savoir ne puissent être exigées de tous les travailleurs voulant exercer un art manuel. Ce qui était abusif, c'était l'obligation imposée à l'ouvrier de payer une somme plus ou moins |