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volonté générale: mais il ne peut exercer par lui-même la puissance exécutive, parce que cette puissance ne consiste qu'en des actes particuliers, qui ne pouvant être l'objet de la volonté générale, ne sont pas du ressort de la loi, ni par conséquent de celui du Souverain, dont tous les actes ne peuvent être que des lois. En conséquence, le peuple établit, par une loi toujours révocable à sa volonté, un ou plusieurs magistrats, sous le nom de roi, ou de sénateurs, auxquels il confie l'exécution des lois, et le maintien de la liberté tant civile que politique. Tout Gouvernement légitime est républicain, en ce sens, qu'il est toujours guidé par la volonté générale. La royauté n'est qu'une commission, un emploi que le Souverain, ou le peuple peut limiter, modifier, et reprendre quand il lui plaît. Les assemblées du peuple doivent toujours s'ouvrir par deux propositions qu'on ne puisse jamais supprimer, et qui passent séparément par les suffrages: la première, s'il plaît au peuple de conserver la présente forme de Gouvernement; la seconde, s'il plait au peuple d'en laisser l'administration à ceux qui en sont actuellement chargés.

On voit par cette analyse du Contrat social, que tout le système de Rousseau porte sur le principe de la souveraineté du peuple, aussi-bien que le système de la Révolution française. Mais, ce principe fondamental, Rousseau le suppose toujours, sans se mettre jamais en devoir de le prouver. Il ne dit pas même ce qu'il entend par le Peuple, et comme ce mot est susceptible de plusieurs siguifications très-différentes!, le Contrat social, 'écrit avec une apparence de méthode propre à séduire un lecteur superficiel, ne présente au lecteur attentif que des assertions dénuées de preuves, souvent contradictoires, et presque toujours fondées sur une équivoque.

Que faut-il entendre par le Peuple? Estce une multitude vivant sans chefs, sans lois, sans conventions, tels qu'on suppose les hommes dans l'état de nature? En ce sens, le peuple est indépendant, mais il n'est pas Souverain: car la souveraineté n'existe, et ne se conçoit, que du moment qu'il existe un Etat et un Gouvernement. » Imaginer

dans un tel peuple une souveraineté, qui est déjà une espèce de Gouvernement, », c'est, dit Bossuet, mettre un Gouverne

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ment avant tout Gouvernement. Loin que le peuple, en cet état, soit souverain, il » n'y a pas même de peuple. . . S'il plaît » d'appeler souveraineté cette liberté indocile qu'on fait céder à la loi, et au magistrat, on le peut; mais c'est tout confondre. C'est confondre l'indépendance de chaque homme dans l'anarchie avec la souve» raineté. Mais c'est là, au contraire, ce » qui la détruit. Où tout est indépendant,

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il n'y a rien de souverain; car le Souverain domine de droit, et ici, le droit de dominer n'est pas encore. On ne domine » que sur celui qui est dépendant. Or nul homme n'est supposé tel en cet état; et chacun y est indépendant, non-seulement de tout autre, mais encore de la multitude, puisque la multitude elle-même, jusqu'à ce qu'elle se réduise à faire un » peuple réglé, n'a d'autre droit que celui de la force." (*)

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Le mot Peuple est-il employé pour désigner une nation civilisée, sous des chefs, et avec un Gouvernement reconnu ? Dans cette acception politique, il comprend la nation toute entière, et non pas seulement cette (*) Cinq. avertiss. aux Protest,

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partie de la nation, à laquelle nous donnons improprement le nom de peuple, parce qu'elle forme la classe la plus nombreuse du peuple, ou de la société. Dans l'ancienne Rome, le peuple de Rome n'étoit pas le peuple romain, et parmi nous le Tiers-état n'étoit pas la nation française.

Mais, dans la langue de la Révolution, la multitude, le peuple, la nation sont la même chose. C'est à la faveur d'une équivoque, et par un abus visible des mots, que l'on a transporté à une partie la dénomination et les droits du tout, et que s'est opérée en France, l'entière dissolution de la société. Car la so

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ciété n'existe que par les rapports que la Constitution établit entre les divers membres de l'Etat. Un peuple n'est un peuple, qu'au-1 tant qu'il a une Constitution politique, et si cette constitution reconnoit un roi, et des Ordres distincts, le Roi et ces Ordres, avec toutes leurs prérogatives, sont dans la nation des parties essentielles et principales.

Lorsqu'à la naissance de la Révolution, le Tiers-état, comptant pour rien les deux Ordres que la Constitution avoit placés audessus de lui, osoit se proclamer la nation, il instruisoit la populace à se dire le peuple.

Mais déjà la double représentation accordée au Tiers dans l'assemblée des Etats-Généraux, la réunion des trois Ordres en une seule chambre, les suffrages comptés par têtes avoient détruit la Constitution, et la Constitution détruite, il n'existoit plus de nation française.

Si l'on suppose qu'une nation toute entière, dans une assemblée légitime, où tous les Ordres de l'Etat conservent le rang et l'influence que leur donne la Constitution, s'accorde, de concert avec le Souverain, à réformer son Gouvernement, cette nation use d'un droit qu'on ne peut lui contester. Mais, à parler proprement, ce droit n'est pas la souveraineté : car l'idée de souveraineté en porte l'idée de sujétion, et le même peuple ne peut être, sous le même rapport, sujet et souverain. Un peuple ne peut être dit souverain, que relativement à un autre peuple auquel il donneroit la loi. Ainsi Virgile appelle le peuple romain, lepeuple roi, populum laté regem: ainsi le peuple français pourroit se dire le peuple souverain à l'égard de ces fantômes de républiques qu'il n'a créés en Hollande, en Italie, en Suisse, que pour les tenir constamment sous sa dépendance.

En

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