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solide de Gouvernement, nulle législation constante et durable.

Dans toutes les sociétés politiques, il existe une guerre sourde des pauvres contre les riches: les uns voulant changer le Gouvernement, les autres voulant le maintenir. Semper in civitate, quibus opes nullae sunt, bonis invident, vetera odere, nova expetunt, odio suarum rerum mutari omnia student (*). Mais lorsqu'une révolution a bouleversé toutes les fortunes, et déplacé les bornes de toutes les propriétés, le nombre des pauvres demeure toujours le plus grand; et le parti des mécontens, grossi de toutes les victimes de l'injustice, l'emporte encore sur celui qui désire la conservation du nouvel ordre de choses.

Au milieu de ce combat éternel de toutes les passions, de tous les intérêts, les délibérations de la multitude ne formeront jamais des lois proprement dites, auxquelles tous les individus soient obligés de se souQuand un peuple a détruit son Gouvernement, le pacte social est rompu, il n'existe plus ni cité, ni citoyen: chacun rentre dans l'indépendance de l'état de nature:

mettre.

(*) Salluste.

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nul ne peut être lié par l'opinion, ou par la volonté des autres. Sous un Gouvernement régulier, dans les affaires soumises à la délibération d'un corps, la pluralité des suffrages constitue un droit véritable, parce que l'état social suppose une volonté commune, et que l'accord de toutes les volontés étant moralement impossible, il est juste que la volonté du grand nombre soit regardée comme la volonté de tous, et que la minorité s'y soumette. Mais il n'en est pas de même dans ce temps d'anarchie qui précède l'institution d'un nouveau Gouvernement. On ne peut, sans blesser mon indépendance, et ma liberté naturelle, me forcer à vivre sous des lois nouvelles que je n'ai pas consenties. S'il ne me plaît pas de me ranger à l'opinion de la majorité, il doit m'être permis, ou de vivre chez moi paisiblement, sans prendre part aux affaires publiques, ou du moins de me retirer en pays étranger, en conservant la propriété de mes biens, et la faculté d'en disposer.

Chez les Athéniens, au rapport de Platon, il étoit libre à quiconque n'approuvoit pas les lois et les coutumes de la République, de se retirer où bon lui sembloit, avec tout

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ce qui lui appartenoit. Cicéron regardoit comme le fondement le plus ferme de la liberté romaine le droit de ne pouvoir être contraint à sortir de la cité, ou à y demeurer. Ne quis invitus civitate mutetur, neve in civitate maneat invitus. Haec sunt enim fundamenta firmissima nostrae libertatis, sui quemque juris et retinendi et dimittendi esse dominum (*).

Quand on pourroit contester le droit d'émigration aux citoyens nés sous un Gouvernement affermi, reconnu par leurs aïeux, et sous la protection duquel ils avoient été élevés, on ne le refusera pas à ceux qui abandonnent un pays, où la violence introduit une forme de Gouvernement, à laquelle ils ne sont liés ni par l'engagement de leur naissance, ni par leur propre volonté. Sans doute, je me dois à ma patrie; mais ma patrie n'est pas précisément le sol qui m'a vu naître: c'est un être moral qui se compose de mes intérêts, de mes affections et de mes rapports avec la société politique à laquelle j'appartiens ou par la naissance, ou par choix.

Cette seule réflexion justifie pleinement les Français de toutes les conditions qui se

(*) Pro L. Corn. Balbo.

sont exilés d'un pays, où il s'établissoit un régime non moins contraire à leurs principes qu'à leurs intérêts. Dans un Etat institué, l'acquiescement, la soumission aux lois se prouve par la résidence. Lorsqu'on renverse l'ancien Gouvernement, pour en créer un nouveau, l'émigration est la mesure la plus modérée que puissent prendre les dissidens. En renonçant à la qualité de citoyens dans la monarchie constitutionnelle, ou dans la République française, les émigrés usoient d'un droit naturel et politique. Car, ainsi, que l'observe Rousseau, » le pacte social exige un

consentement unanime, parce que l'asso»ciation civile est, par sa nature, l'acte du monde le plus volontaire. “ (*)

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Il ne s'agit pas ici de démontrer l'injustice et l'atrocité des lois portées contre les Emigrés. Mais on peut les citer, comme des traits propres à caractériser le Gouvernement populaire. Le peuple ne sait pas respecter le droit, quand il a le pouvoir: il ne lui suffit pas d'être libre, il veut être tyran. Quiconque refuse de souscrire lois qu'il fait aujourd'hui, pour les abroger demain, est victime de son aveugle fureur.

(*) Contrat social.

aux

Il

Il proscrit et ceux qui se retirent parce que leur conscience repousse les lois qu'on veut leur imposer, et ceux qui n'ont fui, que pour se dérober aux outrages et à la mort.

Considérons maintenant ces assemblées populaires, où se forment les nouveaux sys tèmes de législation, et sans nous prévaloir de la trop funeste expérience que la France en a faite, voyons ce qu'on doit en attendre dans tous les temps, et dans tous les pays.

Je ne parlerai pas de Florence, de Gènes et des autres républiques modernes d'Italie, où l'histoire ne nous montre que l'alternative dés convulsions de la licence, et des fureurs de la tyrannie. Je remonte aux beaux siècles de la liberté: je me transporte chez les Athéniens, la nation la plus humaine, la plus spirituelle, la plus éclairée de toute la Grèce. Mais quel spectacle m'offrent les assemblées de ce peuple célèbre ? Je vois proscrire l'un après l'autre les plus grands généraux, les plus vertueux personnages de la république, un Miltiade, un Cimon, un Aristide, un Themistocle, un Pho cion, un Socrate. Je vois les armées et les finances confiées à des hommes d'une ineptie et d'une improbité reconnues. J'entends pu

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