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blier une loi qui condamne à la mort tout orateur qui proposeroit d'employer à la défense de l'Etat les fonds mis en réserve pour les spectacles. Une autre loi déclare que tout ce qu'ordonnera le roi Démétrius sera tenu pour saint envers les Dieux, et juste envers les hommes. Extravagante et lâche adulation qui semble avoir servi de modèle au serment de maintenir une Constitution, que personne ne connoissoit, et qui étoit à peine ébauchée!

Athenes cependant étoit régie par des lois pleines de sagesse, que le peuple n'avoit pas faites, et auxquelles il ne se croyoit pas permis de toucher. Que seroit- ce donc s'il falloit que les lois elles-mêmes devins

multitude indocile,

sent l'ouvrage d'une impétueuse, qui, sans connoissance du passe, sans prévoyance de l'avenir, ne sent que le besoin du moment, et ne peut jamais s'élever à ces vérités qui servent de base à la législation?

Un peuple législateur! quelle étrange association d'idées! D'un côté la fougue, l'ignorance, l'imprudence, la mobilité; de l'autre, le calme, les lumières, la sagesse, l'im passibilité. Il n'y a jamais eu de législation qui fût l'ouvrage, je ne dis pas de la multi

tude, mais d'une assemblée nombreuse. Les plus belles lois ont été publiées par des Souverains absolus. Sans parler de Justinien, de Charlemagne, de St. Louis et de Louis XIV, les plus beaux morceaux du Code et des Pandectes portent le nom de Caracalla et de ses ministres. Les ordonnances rédigées par l'Hôpital et par d'Aguesseau ont illustré les règnes de Charles IX, et de Louis XV. En effet, dans tout ce qui appartient à la jurisprudence, un Souverain absolu est au-dessus de toute considération 'personnelle. Au défaut de la vertu, la raison seule lui apprend que son intérêt est inséparable de celui de la société.

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Un peuple législateur! et le peuple, pris en masse, n'a de moralité, qu'autant qu'il est contenu par les lois. Ce frein, nécessaire pour toutes les classes de la société, l'est encore plus pour celles que l'indigence et la jalousie soulèvent contre l'ordre public. Des passions grossières sans cesse éveillées par le besoin, ne peuvent être réprimées que par la crainte. Si le peuple n'obéit pas, il commande, et son règne est le renversement de toute justice naturelle et sociale

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peuple, puisque le peuple a toujours besoin d'être gouverné. Le pouvoir législatif ne lui appartient pas, puisque la législation a pour objet de le contenir. La force publique ne doit pas lui être confiée, puisqu'alors

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il n'y auroit aucune force qui pût le répri.mer. S'il y avoit sur la terre une nation composée d'hommes sans passions, et parfaitement éclairés sur leurs devoirs, ce peuple de sages, pourroit se gouverner par luimême, et se déclarer législateur et souverain, ou pour mieux dire, il n'auroit besoin ni de Souverain, ni de législateur, ni de Gou

vernement.

Sous un Gouvernement, et avec une force populaire, il n'existe ni puissance, ni force publique. Quand par un soulèvement universel et simultané, une nation brise tous les ressorts de son Gouvernement, elle ne recouvre pas la souveraineté, elle l'anéantit. Tout rentre dans l'état de nature: la nation est dissoute de droit; et si, par le fait, il reste encore quelque ombre de Gouvernement, c'est parce que le plus fort contraint le plus foible. Encore même, ce n'est pas dans le peuple que réside cet empire de la force: il n'en est que l'instrument, et il est

vrai de dire, que le peuple n'est jamais plus esclave, que lorsqu'il veut être, 'et' qu'il se croît Souverain!

Ainsi les républiques populaires de la Grèce et de la Sicile ne sortoient de l'anarchie, que pour se courber sous le joug d'un tyran; ainsi les dissentions qui commencerent à Rome après l'expulsion des rois, et que nourrissoient les entreprises séditieuses des Tribuns contre l'autorité du Sénat, préparerent le despotisme de Sylla, de Marius, de César, d'Antoine et d'Octave. Ainsi du jour qu'il s'est vanté d'avoir conquis la liberté, le peuple français s'est vu asservi successivement par les comités de son Assemblée Nationale, par les Clubs, par Robespierre, par la Convention, par le Directoire.

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Tel est le caractère de la multitude: ou elle sert avec bassesse, ou elle domine avec insolence: elle ne sait, ni jouir de la liberté avec modération, ni s'en passer. Haec est natura multitudinis: aut servit humiliter, aut superbè dominatur: libertatem, quae media est, nec spernere modicè, nec habere sciunt.(*) Essentiellement inhabile à se gouverner par lui-même, le peuple est forcé de se donner (*) Tite-Live.

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des Tribuns, qui bientôt s'érigent -en Dictateurs. On commande au nom du peuple, mais le peuple obéit: en changeant de ministres, il ne fait que changer d changer de tyrans. Car sous un pareil Gouvernement, ce ne sont pas les hommes éclairés, vertueux, désintéressés qui tiennent le timon des affaires.

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Heureux! si la faction dominante leur

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met de vivre ignorés, et de gémir en secret sur les maux de la patrie.

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Voilà donc le peuple roi, dans un état de minorité perpétuelle, livré sans défense à une tourbe de factieux et de brouillons qui connoissant l'inconstance du maître qu'ils servent, se hâtent de mettre à profit la courte durée de sa faveur; qui ne pouvant tenir sous le joug une populace indocile, qu'en flattant ses goûts féroces, la nourrissent de sang, pour l'accoutumer à la chaîne,

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Rousseau, en parlant de Grotius, et de son immortel ouvrage, du droit de la guerre et de la paix, déclame contre les Publicistes qui ont flatté les rois, et il ajoute que le peuple n'a point de flatteurs, parce qu'il ne donne ni chaires, ni pensions. Certes, ce n'est pas à ces minces récompenses qu'aspirent les flatteurs du peuple. Si Rousseau

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