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entendu se réserver une action contre le Souverain.

La première de ces raisons est prise de l'intérêt même du peuple qui ne peut être heureux qu'à l'abri de la paix, et qui, pres que toujours, souffriroit plus des secousses inséparables de toute révolution, qu'il ne peut souffrir des abus passagers d'un mauvais règne. Ce sont les maux qu'entraîne l'anarchie qui ont fait sentir la nécessité d'une loi commune, et d'un Souverain dépositaire de la force publique. Or le droit laissé au peuple de surveiller l'emploi de la force publique, de contrôler la loi commune, et d'annuller à son gré le pacte social, rame neroit l'anarchie avec toutes ses horreurs.

La seconde raison est fondée sur ce que, dans le cas même de l'infidélité de l'un des contractans, la résiliation du contrat doit être prononcée, ou par les clauses même ! du contrat, ou par un juge, et non par lab partie qui se prétend lésée, sans quoi, il seroit trop facile, sous des prétextes frivoles, d'éluder les engagemens le plus solennels.T

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Mais, d'abord, nous parlons ici des Gou vernemens, où la puissance souveraine n'est pas restreinte par des clauses irritantes in

sérées dans la Constitution, Dans ces Gouvernemens, le Souverain est engagé envers les sujets par une promesse expresse ou tacite qui lie sa conscience, mais qui ne limite pas son autorité, parce qu'en même temps qu'il s'oblige à bien administrer, il demeure seul juge, de ce que demande une bonne administration.

En second lieu, si la résiliation du contrat social n'est pas prononcée textuellement par le contrat même, elle ne peut l'être par aucune puissance humaine. Le Souverain et les sujets ne reconnoissant point de juge commun, il n'est point de tribunal, où l'on puisse porter un procès de cette nature, et puisqu'il ne peut être jugé, le procès entre les sujets et le Souverain ne peut exister, Dans toute Constitution, où l'autorité du Prince n'est pas balancée par une autre autorité légale, le jugement du Prince et sa destitution sont rendus impossibles par la Constitution elle-même...

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Si l'on dit que, par la violation du contrat.primordial, le Souverain est supposé abdiquer son droit, et rentrer dans l'état de nature par rapport à son peuple; je réponds, que l'intérêt du peuple ne permet pas de

supposer cette abdication de la royauté, qui deviendroit pour toute la nation une source intarissable de désordres et de calamités. Un roi qui abdique volontairement et paisiblement ne trouble pas la Constitution de son Etat, parce que la loi a nommé d'avance son successeur, et que sa démission ne produit

que ce qu'auroit opéré sa mort, un peu plustard. Mais une abdication présumée ne rompt pas seulement les liens qui attachoient les sujets au Souverain, elle rompt aussi tout ceux qui attachent entre elles les différentes. parties de l'Etat. Dans cette espèce d'interrègne, il n'existe plus de corps politique, ou de nation: il ne reste qu'une multitude, un corps acéphale, dont les membres n'ont plus d'union entre eux, du moment qu'ils n'en ont plus avec la tête, qui leur distribuoit la vie et le mouvement. Ce n'est pas seulement le Souverain qui rentre dans l'état de nature par rapport à son peuple, comme Locke le suppose, c'est la nation toute entière qui se plonge dans ce chaos anarchique, dont elle ne sortira qu'après avoir essuye des maux mille fois plus cruels, que ceux qu'elle avoit prétendu éviter, en se révoltant contre son Souverain.

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Je veux que la, violation du pacte social,

emporte l'abdication de la souveraineté. Mais où sont les juges revêtus de l'autorité nécessaire pour prononcer l'infraction du pacte social, et la vacance du trône? S'il s'élève un parti pour accuser le Prince, croit-on qu'il ne s'en formera pas pour le défendre? Voilà donc la guerre civile allumée, et nous retombons dans tous les dangers de la doctrine de l'insurrection.

Il me semble que l'on ne fait pas assez d'attention à la nature du pacte social, lorsqu'on suppose qu'il est annullé par le seul fait de l'infidélité du Souverain. Le pacte qui confère la puissance souveraine ne doit pas être assimilé aux contrats de particulier à particulier, ou de puissance à puissance. Ceux-ci sont des contrats d'égalité, où chacune des parties, conservant son indépen dance, ne s'engage qu'autant, et pour aussi long-temps, que l'autre se montre fidelle à ses engagemens. Celui-là est un contrat d'inégalité, par lequel une des parties contractantes se soumet à l'autre. Or, quoique les obligations soient réciproques et égales entre le maître et le sujet, on conçoit que le droit de les faire valoir peut n'être pas le même; et lorsque le sujet est une multitude qui se

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défie d'elle-même, et sent le besoin qu'elle a d'être conduite, on conçoit encore mieux qu'elle a pu s'abandonner entièrement à la sagesse et à la loyauté de ses maîtres.

D'ailleurs, il n'est pas de l'essence d'un contrat d'être dissous, par cela seul qu'un des contractans refuse d'en remplir les conditions. Des raisons prises du bien public peuvent l'emporter sur le droit de la partie innocente. Nous en avons un exemple dans le mariage, qui est tellement indissoluble, que l'infidélité de l'un des deux époux ne rend pas à l'autre sa à l'autre sa liberté. Le bien des familles, l'ordre public, l'intérêt des moeurs exigeoient que le lien du mariage ne pût jamais être rompu. Des considérations encore plus importantes, parce qu'elles sont d'un intérêt plus général impriment au contrat social le même caractère de perpétuité et d'indissolubilité.

Du reste, en disant que les peuples ne se sont réservé aucune action contre le Souverain, je n'ai entendu parler que des Constitutions, où cette réserve n'est pas formellement exprimée. Car, d'ailleurs, je ne veux pas nier que le pacte social ne soit susceptible de clauses irritantes; et de fait, il s'en

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