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ils ont cessé d'avoir un caractère public. Les Etats-Généraux ont fini, et avec eux la mission des Députés, le jour qu'ils se sont dits Assemblée Nationale. Ils n'avoient de titre que dans la convocation faite par le Roi, et dans les élections des bailliages. Or l'assemblée convoquée par le Roi, et formée par les élections des bailliages n'étoit point une assemblée nationale: c'étoit une assemblée générale des trois Ordres de l'Etat.

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L'Assemblée Nationale elle-même étoit si persuadée qu'elle excédoit ses pouvoirs, que pour prévenir le reproche d'incompétence, elle crut devoir se déclarer Assemblée Constituante. Comme si, pour acquérir un nouveau droit, et se mettre au-dessus de leurs commettans, il suffisoit à des mandataires de se donner une nouvelle dénomination! comme si une assemblée même constituante pouvoit changer la constitution de son pays, je ne dis pas, sans le consentement exprès, mais contre la volonté clairement manifestée de toute la nation! C'est un axiome du droit et de la raison, qu'il n'est pas de plus grand défaut que le défaut de pouvoir: non est major defectus quàm potestatis. Or l'Assemblée Nationale n'a jamais eu le pouvoir d'al

térer la Constitution de la monarchie. Elle ne l'avoit pas au moment où elle étoit formée en Etats-Généraux. Elle n'a pu se l'attribuer depuis, qu'en supposant qu'elle avoit le droit de s'eninvestir elle-même: supposition trop absurde, pour mériter d'être combattue sérieusement.

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Un raisonnement aussi simple, aussi concluant auroit dû, ce semble, ouvrir les yeux à toute la France. Mais déjà l'Assemblée Nationale avoit su s'environner d'une force contre laquelle le raisonnement ne pouvoit rien. Toutes les passions, tous les petits intérêts, s'étoient rallies autour d'elle: la vanité du bourgeois, la crédulité du petit peuple, l'avarice des capitalistes, le demi-savoir et la profonde corruption des geirs de lettres, l'esprit séditieux d'une secte aigrie par ses anciens revers, et enhardie par les espérances que venoit de lui donner un édit impolitique, le Presbytéranisme soutenu par une autre secte qui, pour sortir du mépris'où elle étoit tombée, n'aspiroit qu'à donner de l'éclat à sa révolte contre l'Eglise; enfin l'amour de la nouveauté, et cette inqiétude d'esprit si commune dans une nation frivole, plus faite pour sentir, sentir, que pour raisonner.

De tous ces élémens rassemblés, et savamment combinés par des mains scélérates, il s'étoit formé une opinion populaire que les factieux ne manquèrent pas de présenter comme le voeu national. Dès-lors; la liberté fut bannie de la France. L'insurrection fut mise à la place de la délibération. Les homimes éclairés et vertueux se turent, ou ne

furent par écoutés. Les questions politi ques étoient débattues dans les carrefours et dans les ateliers. Le nombre et la force décidèrent de la chose publique. Dans toute l'étendue du royaume, comme dans l'Assemblée Nationale, les voix furent comptées par têtes; et la majorité. factieuse de l'Assemblée n'eut pas de peine à faire sanctioner ses décrets par la majorité ignorante de la

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nation.

Pour couvrir la nullité originelle de la Constitution, et l'incompétence radicale de ses auteurs, on ne manquera pas de citer ces adresses innombrables qui venoient, à point nommé, de toutes les municipalités du royaume, ou provoquer,ou ratifier les décrets de l'Assemblée Nationale. Deux réflexions décisives démontrent que ces adhésions ne doivent être comptées pour rien.

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10. Cette manière d'émettre le voeu national étoit illégale, inconstitutionnelle, essentiellement nulle. La nation, composée des trois Ordres, s'étoit représentée par ses députés. Il ne lui restoit que d'attendre l'exécution des mandats qu'elle leur avoit donnés; ou, si elle jugeoit à propos de leur faire passer de nouvelles instructions, il falloit que, de l'agrément du Roi, elle se réunit de nouveau en assemblées bailliagères. L'Assemblée Nationale qui tenoit ses pouvoirs et son être de ces assemblées mères, et qui redoutoit leur surveillance, s'étoit hâtée de les proscrire. Par ce parricide politique, elle s'étoit affranchie de toute responsabilité envers ses commettans, mais, en même temps, elle avoit anéanti le seul titre qui pût légitimer ses opérations. Ces attroupemens de bourgeois, d'ouvriers, de paysans qui succédèrent aux assemblées bailliagères n'avoient pas plus le droit de voter sur les décrets de l'Assemblée Nationale, qu'ils n'avoient le droit de représenter la nation essentiellement composée du Clergé, de la Noblesse et du Tiers-Eat. Ils ne te noient leurs pouvoirs prétendus que de l'Assemblée Nationale. Ils n'existoient que par

elle, et d'après ses décrets. C'étoit un cercle pueril, que de prétendre valider les actes de l'Assemblée Nationale par l'adhésion des assemblées primaires.

2o. Personne n'ignore les intrigues, les manoeuvres, les violences qui ont présidé à la rédaction de ces adresses adulatoires. La plupart, fabriquées dans les bureaux de l'Assemblée Nationale, étoient colportées par des Députés qui, cachant leur mission sous l'ombre d'un congé, parcouroient les villes et les campagnes promettant, inenaçant, séduisant et semant or à pleines mains. Des émissaires soudoyés travailloient la populace: l'adresse retournoit à l'Assemblée, couverte de noms inconnus, et toute une ville apprenoit par la voie des journaux, qu'elle avoit voté une adhésion unanime à tous les décrets faits, et à faire par l'Assemblée Nationale. Il en est de ce voeu de toute la France en faveur de la Constitution, comme de cet hommage solennel rendu à la sagesse de nos législa teurs par quelques misérables des faubourgs de Paris, payés pour se revêtir des costumes, et se dire les ambassadeurs de tous les peu ples de l'univers.

Osera-t-on nous alléguer encore le ser

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