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fisant pour établir dans une bande de vo leurs quelque ordre pour le partage du butin. Comment donc la République a-t-elle pu subsister, trois années entières, sans lois et sans Gouvernement régulier? C'est parce que l'enthousiasme prévenoit, parce que la terreur comprimoit les regrets, les jalousies et les mécontentemens. Ces deux sentimens, la terreur sur-tout, sont les principes conscrvateurs de la République. Ils l'ont soutenue lorsqu'elle n'avoit point de Constitution, et s'ils viennent à s'éteindre, le moment où l'on proclamera la Constitution républicaine, le moment, du moins, où ceux qui se trouveront à la tête des affaires, voudront la faire observer exactement, sera l'époque de la chûte de la République. Car une Constitution, quelque populaire qu'on la suppose, doit tendre au rétablissement de l'ordre, et l'on sait que le peuple ne s'est affectionné à la République, qu'à raison de la licence et de l'impunité qu'il s'en promettoit. La Constitution de 1791 est tombée par morceaux, dès que l'on a essayé de la mettre en action. Le même sort attend la Constitution républicaine.

La Convention nationale ne l'ignoroit pas;

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et ce n'est pas sans de puissantes raisons, qu'elle a différé jusqu'à l'époque de sa dissolution d'aborder le grand ouvrage de l'organisation de la République. Pendant près de trois ans elle n'a fait que des lois de circonstances: elle a rendu décrets sur décrets, pour expliquer comment, et sous quels prétextes, elle se réservoit le droit d'attenter aux propriétés, à la liberté, à la vie des citoyens: elle a donné des formes juridiques à l'assassinat elle a rédigé un code qui eût instruit Sylla et les Triumvirs à mettre dans leurs procriptions plus de rafinement, et non moins de cruauté; qui eût appris à Tibère l'art d'encourager les délateurs, et de rendre toute une nation comЕ plice, ou victime de la tyrannie. Tant qu'a duré le règne de la Convention et de ses lois révolutionnaires, ce qu'on nommoit la République, n'étoit qu'une anarchie sanguinaire, où, dans l'espace de quelques mois, la France a perdu par le glaive et par les formes de la loi plus d'innocens, qu'elle n'avoit vu périr de criminels, depuis la fondation de la monarchie.

Toutes ces horreurs sont l'ouvrage de la Convention qui s'est vainement efforcée de

les rejeter sur la mémoire de Robespierre. Si après la mort de cet abominable scélérat, la soif du sang parut assouvie, ce n'est point à la justice, à l'humanité de la Convention qu'il faut l'attribuer, mais à sa politique, et au danger où elle trouvoit elle-même.

Tant que la tyrannie et la cruauté ne s'appesantirent que sur l'opulence et sur la vertu, la Convention les; seconda de tout son pou

voir.

Elle préparoit les crimes de Robespierre par les rapports de son comité de salut public, et quand elle ne les exécutoit pas par ses commissaires, elles les approuvoit par son silence. Mais, lorsqu'à son tour, elle se vit menacée, lorsque plusieurs de ses membres apprirent que leurs noms se lisoient sur les listes de proscription, la Convention se divisa, le Dictateur fut assassiné, et la faction dominante annonça comme un acte de justice le supplice d'un monstre qu'elle n'avoit immolé qu'à sa propre sureté.

Sous Robespierre, la Convention avoit tout écrasé par la terreur, Pour justifier sa mort, et populariser la nouvelle révolution, il faliut d'endre le ressort de la tyrannie, qui, aussi-bien, n'auroit pas tardé à se rompre. Semblable à un accusé que l'on a retiré

de la question, pour le replonger dans son cachot, la France, abâtardie par la servitude et par la crainte, sut gré à ses bourreaux d'avoir suspendu ses tourmens: elle se crut presque libre, parce que le despotisme avoit pris des formes moins atroces.

Et tel étoit le sentiment profond des horreurs auxquelles on croyoit échapper, qu'en voyant encore la Religion éplorée redemander en vain ses ministres et ses autels, en voyant le patrimoine de l'Eglise et des familles, les dépouilles des temples, et des c châteaux entre les mains des brigands, en voyant renouveler contre ses proches, contre ses amis, ces lois atroces qui punissent de mort une démarche que l'honneur commanis doit, que rendoit nécessaire le soin de sa e propre surelé, que justifient tous les prin

cipes du droit naturel, et du droit public, on se félicitoit de vivre sous le règne de la justice et de la modération. O homines ad servitutem paratos! (*)

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"Quel étoit, se demande Montesquieu parlant des Décemvirs, ce système de , tyrannie produit par des gens qui n'avoient obtenu le pouvoir politique et militaire

"

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(*) Tacite.

» que par la connoissance des affaires civi"les, et qui, dans les circonstances de ces „ temps-là, avoient besoin au dedans de la lâcheté des citoyens, pour qu'ils se laissassent gouverner, et de leur courage, audehors, pour les défendre? « (*).

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Il est impossible de ne pas être frappé de ce rapprochement des Décemvirs de Rome, et de l'Assemblée de Paris. Mais il y a cette différence, que Virginie trouva des vengeurs dans un peuple qui s'indignoit encore plus du crime que de la tyrannie; et le sang de Louis XVI, et de tant d'autres martyrs de l'honneur et de la religion, n'a obtenu des Français que des larmes secrètes, et des regrets impuissans.

On a vu quels obstacles la nature oppose à l'établissement du Gouvernement républicain dans un pays tel que la France, et par quels moyens odieux la Convention, sous le nom et les formes d'une république, a su usurper, et retenir l'autorité souveraine. Ceci me conduit à une dernière réflexion': c'est que, de tous les Gouvernemens, il n'en est point où l'abus du pouvoir entraîne plus d'excès et de vexations, que dans les républiques. Tous les Gouver(*) Grand. des Rom.

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