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nemens peuvent dégénérer en tyrannie, le Gouvernement républicain, aussi facilement qu'aucun autre. Mais la tyrannie la plus oppressive, la plus irrémédiable est celle de la multitude, ou des compagnies qui prétendent gouverner en son nom. Les besoins et les fantaisies d'un despote ont des bornes: son intérêt le ramène souvent à la justice et à l'humanité: un mauvais règne en laisse espérer un moins fâcheux. Mais dans une assemblée de sept cents tyrans, les passions sont insatiables: la pitié, la honte, les remords ne se font point sentir: les haines particulières embrassent toutes les familles: l'esprit de la tyrannie ne meurt jamais. L'opposition des intérêts enfante des guerres civiles: leur réunion renforce et aggrave l'oppression.

Sous Pisistrate, les Athéniens ne regrettoient que leur liberté: mais, sous les trente tyrans, chacun craignoit pour sa vie. Lorsque Cromwel eut cassé le parlement républicain, l'Angleterre respira, parce qu'elle passoit du joug d'un multitude de tyrans, sous celui d'un seul. Si la France, au contraire, a vu les fureurs de la tyrannie se ralentir après le supplice de Roberspierre,

c'est d'abord parce que cet homme atroce et dépourvu de génie n'avoit pas su, à l'exemple de César, d'Auguste et de Cromwel, se faire pardonner son usurpation par le contraste de la clémence avec les horreurs qui avoient précédé. C'est, parce que trop foible par lui-même, il ne pouvoit aspirer à la dictature perpétuelle, qu'en se faisant le chef, ou plutôt l'instrument de la faction sanguinaire des Jacobins. C'est enfin, parce que ses complices, devenus ses assassins, se hâtérent de détourner sur sa mémoire toutes les haines, toutes les vengeances que tant de forfaits appeloient sur leurs têtes.

Mais la modération dont ils se paroient, la justice dont ils empruntoient le langage n'étoient point dans leurs coeurs. La politique même leur interdisoit tout retour à l'humanité: ce sceptre de fer qu'ils venoient d'arracher à Robespierre faisoit toute leur sureté: ils étoient perdus, s'ils avoient osé être justes. La Convention avilie et détestée ne devoit qu'à la crainte et à la stupeur ce qui lui restoit de puissance. Il falloit qu'elle opprimât, ou qu'elle périt. Forcée de se dissoudre, elle n'eut pas le courage et la grandeur d'ame de Sylla qui, en abdiquant la dictature, se

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livra

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livra désarmé au ressentiment des Romains. Elle avoit compris qu'il étoit temps d'abolir la Constitution monstrueuse qu'elle avoit publiée en 1793, mais elle sentit encore mieux, que si les François demandoient une Constitution moins anarchique, sa propre sureté exigeoit qu'elle ne laissât pas échapper les rênes du Gouvernement. Elle résolut donc de ne se séparer, qu'après avoir fait adopter à la France une Constitution qui pût assurer la perpétuité de son règne.

Quelques semaines suffirent pour ce grand ouvrage. Un code volumineux, fabriqué à la hâte par les métaphysiciens de la Convention fut décrété de confiance, et sans discussion. Un second décret ordonna impérieusement au peuple libre et souverain de choisir dans la Convention même les deux tiers de ses Représentans. Des troupes campées sous les murs de la Capitale, les armées répandues aux frontières de la République proclamèrent le nouveau code, au bruit du canon. Le peuple réuni en assemblées primaires répéta avec effroi le serment de le maintenir; et pour la troisième fois, l'enthousiasme et la peur donnèrent une Constitution aux Français,

CHAPITRE XIII.

De la Constitution de 1795

Je ne m'engagerai pas dans l'examen de la Constitution décrétée au mois de septembre 1795. Je me borne à quelques réflexions sur ce qui la distingue des Constitutions de 1791 et de 1793.

Les deux premières n'avoient pour préambule que la déclaration des droits de l'homme et du citoyen: la troisième y ajoute une déclaration des devoirs. Remède foible et tardif contre la licence, et contre l'abus iné vitable des principes erronés de la déclaration des droits: compilation incomplète et mal digérée de maximes vraies, mais triviales, dont les honnêtes gens n'ont nul besoin, que les méchans sont accoutumés à fouler aux pieds, et qui, certes, n'emprunteront pas de pareils législateurs une autorité bien imposante.

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Tous les devoirs de l'homme et du ci,,toyen, dit l'article II, dérivent de ces deux principes gravés par la Nature dans tous les coeurs: ne faites pas à autrui ce que ,, vous ne voudriez pas qu'on vous fit. Fai

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tes constamment aux autres le bien que ,, vous voudriez en recevoir. "

Ces deux maximes, admirables et pleines de raison dans l'Evangile, d'où nos législateurs les ont tirées, ne sont, dans leur bouche, que des phrases insignifiantes. Sans la Religion qu'ils ont proscrite, où est le motif qui puisse raisonnablement me déterminer à préférer le bien d'autrui à ma propre satisfaction? En vain la Nature a gravé dans nos coeurs ces principes de justice, si la Religion ne les sanctionne. L'homme n'est remué que par son intérêt, et il n'y a que la Religion qui lie constamment et inséparablement notre intérêt à celui des autres. Le reste de cette homélie politique est du même genre. C'est la vertu prêchée par l'Athéisme. Ces grands hommes d'état ne comprendrontils pas enfin, que les lois humaines peuvent bien quelquefois punir le crime, mais qu'elles ne peuvent atteindre le vice, encore moins commander la vertu, et qu'il ne peut y avoir, pour l'homme, et pour le citoyen d'autre déclaration des devoirs, que les Commandemens de Dieu.

La déclaration des droits, dans la nouvelle Constitution, est moins vicieuse et

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