Etats-Généraux, convaincue par une longue expérience, qu'ils étoient plus funestes qu'utiles au royaume. Dans les Etats de Blois, en 1588, le Tiers abandonna le droit de doléances et de remontrances aux Parlemens, qu'il sembla reconnoître pour des Etats permauens, en les appelant les Etats au petit pied. Ni le Clergé, ni la Noblesse, ni mês ine les Etats de 1614 qui furent les der niers, ne révoquèrent cette concession; et depuis ce temps, les Parlemens, du consen tement, au moins tacite de la nation, demeurèrent en possession de solliciter et de véri fier les lois, d'adresser au Roi des remon trances, et de consentir l'impôt. # J'observe en second lieu, qu'en même temps que la puissance royale se fortifioit, la Nation de son côté acquéroit insensiblement un moyen de surveillance, et une force de répression. Je parle de l'opinion publique qui naît du progrès des lumières, qui est une véritable puissance, et qui suppléoit en quelque sorte aux Etats-Généraux. Lorsque des ministres imprudens ou passionnés osoient franchir les barrières élevées par la Constitution, l'opinion publique opposoit une résistance calme que les coups de l'autorité ne pouvoient atteindre, et qui tôt ou tard renversoit les ministres et leurs dangereuses innovations. , Telle étoit en France la force du carac tère national, de l'opinion, et du sentiment de l'honneur, qu'elle eût suffi pour nous préserver du despotisme de fait, quand nous n'aurions pas eu une Constitution qui le pros, crivoit de droit. Revenons aux principes fondamentaux de l'ordre social. Quelle que soit la forme du Gouvernement, il faut reconnoître un Souverain, en qui résident la puissance législative, et la force publique. Ces deux pouvoirs ne peuvent être divisés. La loi doit être armée, parce qu'elle est toujours en guerre avec les méchans. Dans les Gouvernemens mixtes, dans les Républiques même, comme dans les monarchies absolues, la souveraineté est une et indivisible. Dans celle-ci, c'est la volonté d'un seul, dans les autres, c'est la volonté de plusieurs mais par-tout, c'est une volonté unique qui fait la loi, une force unique qui la protège. Toute société qui ne se réduit pas à l'unité, est une société anarchique. : Si, dans quelques Gouvernemens, com me dans celui de l'Angleterre, le pouvoir légis latif et le pouvoir exécutif paroissent séparés, il est aisé de voir qu'il existe un point de réunion. Dans la Constitution britannique, le pouvoir exécutif, ou le Roi, fait partie essentielle du pouvoir législatif, par le droit qu'il a de consentir, ou de ne pas consentir aux projets de lois proposés par le Parlement, La maxime, qu'il y a despotisme toutes les fois que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ne sont pas séparés, est donc encore une erréur Révolutionnaire. Ce Manichéisme politique qui introduit dans l'Etat deux principes rivaux, détruit la souveraineté en la partageant. La souveraineté est indivisible. Mais le Souverain ne pouvant tout faire par lui-même, est obligé de créer des ministres, des magistrats, des commandans qui en son nom, et son par autorité, exercent dans l'Etat les pouvoirs d'administration, de jugement et de contrainte. Ces pouvoirs se divisent, à mesure qu'ils s'éloignent de leur source; et par des gradations sagement ménagées, ils unissent entre elles, et avec le Souverain toutes les parties du corps politique. Comme leur action sur le peuple est immédiate et continuelle, ce sont lesplus puissans instrumens * du bonheur, ou du malheur public. Le meilleur de tous les Gouvernemens seroit, sans contredit, celui où ces pouvoirs dérivés seroient tellement fixés et circonscrits par la loi, qu'ils ne pussent jamais se permettre un acte arbitraire. Chacun de ces pouvoirs doit reconnoître un pouvoir supérieur qui puisse reviser, casser, ou réformer ses actes; et lorsque tous les degrés de jurisdiction sont épuisés, il reste le recours au Souverain que sa grandeur défend du désir de nuire, et que son propre intérêt avertit d'être juste, parce que toute son autorité repose sur la justice. * En effet, un Gouvernement n'est solide et durable, qu'autant qu'il porte sur des bases morales, La force toute seule ne suf fit pas pour contenir les peuples. Car la force du maître n'est que celle de ses sujets, et il n'y a que l'opinion qui puisse en assurer l'emploi et la direction. Or, cette opinion qui met la force publique sous la main du Gouvernement, ne peut naître que des principes de la justice et de la religion. De la justice qui, par la prescription, consacre le titre des Souverains, comme elle légitime les droits des particuliers: de la religion qui, dans la personne du Souverain nous montre le ministre et le lieutenant de la Divinité. Ces philosophes qui bannissent de la politique, ce qu'ils appellent insolemment les préjugés populaires, ne ne voient pas qu'ils anéantissent l'autorité, pour réduire tout à la force; et que, dans leur système, la science du Gouvernement n'est que l'art de s'assurer des hommes, en les tenant à la chaîne. Ils ne voient pas que ce sont ces préjugés qui temperent dans le Souverain l'exercice du pouvoir, qui apprennent au peuple à porter volontairement un joug que la nécessité lui impose, qui conservent dans la société civile tout ce que l'intérêt de la tranquillité publique peut laisser de liberté aux individus. L'homme seroit un animal indisciplinable, s'il n'étoit façonné à l'obéis sance par ces idées religieuses et morales qui, pour me servir d'une image aussi juste, qu'elle paroîtra triviale, sont les huiles qui assouplissent les ressorts de la machine poli tique et empêchent que les rouages ne s'arrêtent, ou ne se brisent en éclats. Je termine ici les réflexions générales sur la société civile et sur les Gouvernemens. J'aurai plus d'une occasion de les rappeler |