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dont elles furent sans cesse agitées. Après la guerre du Péloponèse qui donna l'empire de la mer aux Lacédémoniens, ce peuple non moins ennemi de la licence, qu'ami de la liberté, détruisit dans toute la Grèce la démocratie qui, par-tout où elle étoit établie n'enfantoit que divisions au dedans et guerres au dehors. Lycurgue avoit connu tous les inconvéniens du Gouvernement populaire. Quelqu'un lui proposant de l'introduire à Sparte, afin, disoit-il, que le plus petit y eût autant d'autorité que le plus grand. Mais, toi-même, répondit Lycurgue, va l'établir premièrement dans ta maison, et » nous donne l'exemple (*). "

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Il seroit inutile ici de distinguer avec Rousseau le gouvernement et le souverain, et de prétendre que tout citoyen doit partager la souveraineté, et le pouvoir législatif, quoique l'exécution des lois, ou le Gouvernement ne puisse être confié qu'à un petit nombre. Nous examinerons dans la suite ce grand principe de la souveraineté du peuple, en attendent, nous observerons qu'il ne prouve rien en faveur de la liberté politique considérée comme un droit naturel.

(*) Plutarque.

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Un droit qui découle de la nature de l'homme appartient à tous les individus de. l'espèce humaine, et ne peut souffrir aucune exception. Par conséquent, dans les principes de l'Auteur du Contrat social, il ne suffit pas de donner à tous les citoyens une part dans la souveraineté et dans la législation, il faudroit encore que tous les habitans de la Cité fussent citoyens, et que l'on n'y connût point d'Ilotes, comme à Sparte, ni de Prolétaires, et de ceux qu'on nommoit à Rome capite censi, parce qu'on les dénombroit par tétes comme le bétail. Il n'eût pas fallu que, sur cinq classes d'habitans que renfermoient les murs de Genève, deux seulement, ainsi que nous l'apprend Rousseau, eussent composé la République, avant les changemens opérés par l'introduction du système français.

Si, pour justifier cette distinction de citoyens et de sujets admise dans les Gouvernemens les plus populaires, et commandée par la nature des choses, on allégue les conventions primordiales, alors, on abandonne le principe, et l'on reconnoît formellement que la liberté politique n'est point un 'roit inalienable et imprescriptible. Dans la vẻ

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rité, ce qu'on nomme le peuple, c'est-à-dire la masse des nations, par-tout condamnée au travail et à l'ignorance, est essentiellement incapable de prendre part à l'administration politique. Les Publicistes demagogues ne Pignorent pas. Ils n'appellent la populace au Gouvernement, que parce qu'ils se tiennent assurés de la gouverner. C'est un "enfant qu'ils placent sur le trône, dans l'espoir de s'en faire nommer les tuteurs. né proposent la démocratie, que pour se créer une aristocratie exclusive. Si com-me Rousseau lui-même le dit en termes exprès, il est contre l'ordre naturel que le grand nombre gouverne, le droit de faire des lois n'appartient pas à la multitude.

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Aussi voyons-nous que toutes les formes de Gouvernement s'accordent à le lui refuser. Sous la démocratie, ce droit est demeuré à une partie du peuple: sous l'aristocratie, à un sénat, sous la monarchie absolue, à un Roi. Par-tout on a transigé, et sacrifié quelque chose de la liberté politique, pour obtenir la liberté civile qui intéresse tous les hommes, dans tous les instans de la vie. Par tout encore, si les lois sont sages, et l'Etat bien administré, la liberté civile, la tranquillité géné

rale, le bonheur domestique sont plus ou moins assurés, selon que l'exercice de la liberté politique est plus ou moins resserré.

Cependant, on peut dire dans un sens véritable, que la loi est l'expression de la volonté générale, même dans les Gouvernemens où les citoyens ne concourent à sa formation, ni par leur suffrage personnel, ni par des élections périodiques de représentans législateurs. En effet, si l'on se reporte à la naissance de la société, et à l'institution du Gouvernement, on verra que le Prince, le Sénat, ou l'Assemblée qui est investie du pouvoir législatif, ne jouit de ce droit qu'en vertu d'un contrat solennel attesté par l'histoire, ou légitimement présumé, entre ces chefs de la nation, et la nation représentée par les ancêtres de ceux qui vivent aujourd'hui: contrat, dont les droits et les charges ont passé à la génération actuelle, en sorte que, par sa soumission au Gouvernement établi, elle est censée reconnoître sa propre volonté dans la volonté du souverain.

Entre ces principes qui assurent la stabilité des Gouvernemens, et la doctrine du sophiste de Genève qui les tient dans une agitation continuelle, il y a ceci de commun

que les lois se font, non par le peuple luimême, mais par ceux qui le représentent; et la différence qui s'y trouve, c'est que, selon nous, la nation, par un traité irrévocable, s'est donné un représentant inamovible dans la personne du souverain, au lieu que, selon Rousseau, la nation peut, toutes les fois qu'elle s'en avise, se créer de nouveaux représentans. Or, sans examiner encore laquelle de ces deux opinions est plus conforme à la saine politique, et à l'intérêt des peuples, je me contente d'observer qu'elles se réunissent l'une et l'autre pour enlever au peuple toute influence immédiate dans la législation, et ne lui laisser d'autre partage que d'obéir à une volonté étrangère.

Et voilà où se réduit enfin cette liberté politique fondée sur un droit naturel, inaliénable, imprescriptible! le peuple n'en fait usage que pour l'abdiquer.

Dès qu'il est prouvé que l'on peut jouir d'une véritable liberté, sans être membre du Souverain, il importe peu d'examiner, si, pour mériter la dénomination de Citoyen il est nécessaire comme le prétend Rousseau, de concourir activement à la législation de son

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