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L'inégalité des fortunes et des conditions. fournit à la société des hommes préparés par leurs besoins, par leur éducation, par leurs sentimens à remplir tous les emplois, à se charger de tous les travaux que demande le service public. Tandis que le citoyen né dans l'aisance, ou avec des qualités qui suppléent la fortune, se dispose par de longues études aux fonctions honorables mais pénibles de l'administration religieuse, civile ou militaire, un petit nombre est appelé par le goût naturel et par le talent à la culture des sciences et des beaux arts, et la foule des hommes nés sans patrimoine trouve un moyen de subsister dans des travaux faciles, mais obscurs et souvent périlleux, auxquels personne ne se livreroit, s'il n'y étoit condamné par la nécessité. Cette inégalité, sans laquelle la société ne pourroit se maintenir, n'est pas une institution sociale: elle prend sa source dans la nature; ou, pour parler un langage plus religieux et plus philosophique, dans l'ordre établi par la Provi

dence divine. Elle est née avec la liberté : elle est l'inévitable effet de la force et de la foiblesse, de la vertu et du vice, de l'intelligence et de la stupidité, du travail et de la paresse.

La soumission égale de tous à des lois générales et communes à tous, constitue l'égalité civile. L'indépendance de toute volonté particulière constitue la liberté civile. La liberté civile et l'égalité civile sont inséparables. Par la première, le citoyen n'obéit qu'à la loi: par la seconde, la loi étend son empire sur tous les citoyens. C'est en ce sens qu'il est vrai de dire, » que la loi doit être la » même pour tous, soit qu'elle protège, soit » qu'elle punisse, et que tous les citoyens » sont égaux à ses yeux. «

Mais, s'en suit-il de là que „ tous les ci» toyens soient également admissibles à tou>> tes dignités, places et emplois publics, » selon leur capacité, et sans autre dis»tinction que celle de leurs vertus et de leurs >> talens? «

Rien de plus spécieux que cette maxime de la déclaration des droits. Mais autant elle paroit propre à servir de règle dans l'administration d'une république idéale, autant elle est fausse et dangereuse, lorsqu'on l'applique aux Gouvernemens et aux hommes tels qu'ils sont.

D'abord, à la prendre dans le sens exclusif qu'elle présente, elle est fausse, ou

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du moins incomplétement. vraie, si l'on peut s'exprimer ainsi. La saine raison, et

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le bien général d'un Etat veulent que les charges et emplois ne soient confiés qu'à ceux qui, tout-à-la-fois, les méritent, et y conviennent le mieux. Mais ce mérite, cette convenance ne se composent pas séulement des vertus et des talens. On doit y faire entrer d'autres considérations prises de l'âge, des services rendus à la patrie, de la naissance même. C'est Pascal, je crois, qui a dit qu'un grand nom étoit trente ans de gagnés pour la vertu, par la considération dont il l'investit, et par l'empire qu'il lui donne. On sait bien que la 'noblesse n'est qu'un préjugé; mais c'est un de ces préjugés qui ont leur racine dans la nature de l'homme, puisqu'on le trouve établi, sous une forme, ou sous une autre chez tous les peuples civilisés. C'est un préjugé utile, parce qu'il offre à l'Etat unmoyen d'acheter les plus grands services, avec la moindre dépense possible.

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Un autre défaut essentiel de cette maxime, c'est qu'elle est énoncée d'une manière trop vague, et propre à induire en er reur la multitude ignorante qui prend trop

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facilement l'esprit pour le talent, et aux yeux de qui un civisme exalté, ou dissimulé tient souvent lieu de vertu, Sous un Gouvernement populaire, dans le système de l'égalité, ce seroit à la populace qu'il, appartiendroit de juger des vertus et des talens. Mais il ne faut avoir aucune connoissance des hommes, il faut ignorer tout ce qui s'est passé depuis sept ans dans les assemblées primaires et électorales de France, pour ne pas voir que tous les choix seroient décidés par la terreur. Ne reconnoître d'autres principes dans la distribution des emplois publics, que cette préférence présomptivement fondée sur les talens et sur les vertus, c'est ressembler à ces sauvages dont parle Montagne, qui, admis à l'audience de Charles IX à peine adolescent, ne pouvoient concevoir pourquoi l'on n'avoit pas mis la couronne sur la tête de l'un de ces beaux et vigoureux Suisses qui composoient sa garde.

Sans doute, il seroit à désirer que les emplois publics ne fusssent jamais confiés qu'aux hommes les plus éclairés et les plus vertueux. C'est le but auquel doivent tendre tous les gouvernemens. Mais, comme

les lumières et la probité ne se montrent pas par des caractères auxquels on ne puisse se méprendre, la paix et la stabilité de l'ordre social demande que, dans les nominations aux places, on défère à certains avantages extérieurs qui, sans être de sûrs garans du talent et de la vertu, en sont du moins les indices ordinaires.

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La justice ne défend pas, et la politique exige que, dans les Etats monarchiques, la noblesse soit un titre de préférence pour certains emplois, lorsqu'elle se trouve jointe au talent et à la vertu. Tout ce qu'on peut, ce qu'on doit exiger de ce Gouverne ment, c'est que le défaut de naissance ne soit pas un titre d'exclusion; que l'homme obscur qui s'est anobli lui-même, Fabert, un Jean Bart, un Chevert, un Amyot, un d'Ossat, un Massillon partagent avec la noblesse le droit de servir et d'illustrer leur pays. Or, dit un ancien Ecrivain, cité par le Président Hénaut, » la » Constitution du royaume de France est si >> excellente, qu'elle n'a jamais exclu, et » n'excluera jamais les citoyens nés dans les » plus bas étages des dignités les plus rele»vées. «

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