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est point qui aient été environnées d'autant de prestiges. Tout y parut tenir du merveilleux, et je pensai souvent à la joie secrète que Bonaparte devait éprouver, d'être enfin sur le point d'entreprendre une grande guerre en Allemagne, désir qu'il m'avait si souvent manifesté. Il se rendit d'abord à Strasbourg, où l'accompagna Joséphine, et c'est alors que je reçus le conte de Giulio que j'ai rapporté à la fin de mon dernier volume.

Tous les rapports que je recevais étaient d'accord avec les correspondances particulières, pour peindre l'incroyable enthousiasme qui enflamma l'armée, quand elle apprit qu'elle allait marcher sur l'Allemagne. Pour la première fois, Napoléon eut recours à des moyens de transports accélérés; vingt mille voitures transportèrent son armée comme par enchantement, des rives de l'Océan, sur les bords du Rhin. Toutes les jeunes ambitions étaient comme électrisées, à l'idée d'une campagne prochaine; tous rêvaient la gloire, un prompt avancement, l'espoir de se signaler sous

les

yeux d'un chef idole de son armée, et qui savait si bien entraîner les hommes dans la sphère de son incroyable activité. Aussi, pendant son court séjour à Strasbourg, l'empereur put-il avec quelque raison prophétiser le succès qui l'at

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tendait sous les murs de Vienne. J'ai su par Rapp, qui l'accompagnait, qu'il dit devant un grand nombre de personnes, en quittant Strasbourg : « On dirait que j'ai fait le plan de campagne de «Mack. Les fourches caudines sont à Ulm. »> L'expérience a prouvé que Napoléon ne s'était pas trompe, et je dois à cette occasion relever un bruit calomnieusement répandu à cette époque, et méchamment répété depuis. On a dit que Mack avait été d'intelligence avec Bonaparte, qu'il avait acheté de ce général l'ouverture des portes d'Ulm; j'ai acquis la preuve positive, que cette assertion était d'une insigne fausseté; je sais bien que ce qui a pu lui donner quelque poids, a été l'intercession de Napoléon, après la campagne, pour que Mack ne fût pas mis en jugement; en

cela, il n'obéit qu'à un mouvement d'humanité.

En entrant en campagne, Napoléon alla se jeter à la tête des Bavarois, avec lesquels il battit l'armée ennemie, avant que ses propres troupes fussent arrivées. Dès qu'elles furent réunies, afin d'exciter encore plus, s'il était possible, le zèle et le dévoûment de cette admirable armée, il

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Napoléon se servait très-souvent de cette expression quand il voyait une armée ennemie concentrée sur un point, et qu'il en prévoyait la défaite.

fit mettre à l'ordre du jour la proclamation sui

vante:

<< Soldats,

<< La guerre de la troisième coalition est com« mencée. L'armée autrichienne a passé l'Inn, << violé les traités, attaqué et chassé de sa capitale << notre allié. Vous-mêmes, vous avez dû accou« rir à marches forcées, à la défense de nos fron« tières. Mais déjà, vous avez passé le Rhin: nous

ne nous arrêterons plus, que nous n'ayons as«suré l'indépendance du corps germanique, se«< couru nos alliés, et confondu l'orgueil de nos injustes agresseurs. Nous ne ferons plus de paix sans garantie: notre générosité ne trompera plus « notre politique.

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« Soldats, votre empereur est au milieu de « vous. Vous n'êtes que l'avant-garde du grand peuple; s'il est nécessaire, il se lèvera tout entier à << ma voix pour confondre et dissoudre cette nou« velle ligue qu'ont tissue la haine et l'or de l'Angleterre.

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<< Mais, soldats, nous aurons des marches for«< cées à faire, des fatigues et des privations de toute

«

espèce à endurer: quelques obstacles qu'on nous « oppose, nous les vaincrons, et nous ne pren

drons de repos que nous n'ayons planté nos aigles sur le territoire de nos ennemis. ».

On voit que partout, dans les notes confidentielles de ses agens diplomatiques, dans ses discours dans ses proclamations, Napoléon se présentait toujours comme étant attaqué, et peut-être y mettait-il tant d'affectation que cela aurait suffi pour faire connaître la vérité à ceux qui ont pu apprendre à lire sa pensée autrement qu'il ne l'exprimait par ses paroles.

A l'époque de l'entrée en campagne de Napoléon, se rapporte un fait dont j'eus plus tard connaissance et d'où date la fortune d'un homme d'un grand mérite. L'empereur était encore à Strasbourg lorsqu'il demanda au général Marescot, commandant en chef l'arme du génie, si dans ce corps fertile en jeunes talens, il y en avait un que l'on pût charger d'une mission délicate; il fallait un jeune homme brave, prudent, instruit, pour pousser une reconnaissance aussi loin qu'il le pourrait. L'officier que choisit le général Marescot était un simple capitaine du génie, nommé Bernard, ancien élève de l'école polytechnique. Ce jeune homme partit pour sa mission sans que personne eût fait grande attention à lui. Il s'avança presque jusqu'à Vienne, et revint au

y

quartier-général de l'empereur lors de la capitulation d'Ulm. Bonaparte voulut l'interroger lui-même et fut fort satisfait de ses réponses. Non content de répondre verbalement aux questions de Napoléon, le capitaine Bernard avait rédigé un rapport sur ce qu'il avait observé, sur les routes à suivre; il disait entre autres choses qu'il aurait un grand avantage à faire avec l'armée une pointe sur Vienne en négligeant les places fortes; que maître de la capitale de l'Autriche, l'empereur dicterait des lois à toute la monarchie autrichienne. « J'étais auprès de l'empereur, me dit Rapp, quand il entretint le jeune officier du génie; quand il eut lu son rapport, figure-toi qu'il se mit dans une colère épouvantable: « Com«ment! s'écria-t-il, vous êtes bien hardi! bien << osé! Un petit officier qui se permet de me << tracer des plans de campagne! Allez attendre <mes ordres. >>

Dans ce qu'on vient de lire et dans ce que j'ai encore à ajouter sur la carrière du capitaine Bernard, on reconnaît Napoléon tout entier. Rapp me dit que quand le jeune officier fut sorti, l'empereur changea tout à fait de ton. « Voilà, dit-il, « un jeune homme de mérite; il a bien vu; je ne << veux pas l'exposer à un coup de fusil; j'en au

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