Page images
PDF
EPUB

.

physionomie. Une stupeur, pour ainsi dire électrique, avait fait évanouir tous ces rêves d'indépendance et frappé tous les esprits. Le gibier, après une battue, ne se sauve pas avec plus de rapidité que ne le faisaient tous les princes d'Allemagne qui avaient pris parti contre Napoléon. Ils affluèrent à Altona après la bataille d'Iéna avec autant de précipitation que les émigrés euxmêmes; c'était comme une émigration générale pour gagner un coin de terre qui offrait encore quelques chances de sécurité. Les châteaux des duchés de Weimar, de Gotha, de Brunswick et de l'électorat du Hanovre furent en un instant déserts ou habités par les troupes françaises. Je vis arriver presque simultanément le prince héréditaire de Weimar, la duchesse de Holstein, le prince Belmonte-Pignatelli et une foule d'autres personnages distingués par leur rang et par leur fortune, Parmi les Français qui suivirent ce mouvement de retraite spontané et général, se trouva M. de Précy. Depuis quatre ans il était retiré à Wolfenbutel, où il vivait fort tranquille; il désirait beaucoup rentrer en France, et vint me prier de tâcher de lui obtenir cette grâce; d'après les renseignemens que je donnai sur lui, je fus assez heureux pour la lui obtenir immédiatement.

Outre les personnes recommandables qui se réfugièrent à Altona, il y vint aussi quelques intrigailleurs au nombre desquels était Fauche-Borel. Je me rappelle qu'il me fut fait un rapport sur une vive altercation que Fauche eut l'audace d'avoir avec le comte de Gimel, parce qu'il ne put tirer de celui-ci de l'argent pour ses intrigues. M. de Gimel n'avait de fonds que pour payer les pensions; il avait d'ailleurs trop de tact pour croire à l'utilité des grossiers pamphlets de Fauche-Borel, de sorte qu'il l'éconduisit avec un refus; Fauche se permit de faire l'insolent, ce qui mit M. de Gimel dans la nécessité de le chasser de chez lui assez durement et comme il le méritait. Ce fait, que je sus d'abord par un rapport, m'a été depuis confirmé par une personne témoin de cette scène. Fauche-Borel ne fit que passer à Hambourg, et s'embarqua pour Londres sur le même bâtiment qui ramenait le lord Morpeth en Angle

terre.

La présence du comte de Gimel à Altona fut une des choses qui donna le plus d'occupation à la police de Paris pendant plusieurs années. On en concevait en vérité des inquiétudes bien gratuites. La police en fut bientôt délivrée. Après un court voyage qu'il venait de faire en Angleterre,

il mourut au commencement de 1807. M. de Gimel ne mérita les persécutions de la police, dont il fut si long-temps et si souvent l'objet, que pour avoir rempli avec une extrême probité, et beaucoup de bienveillance, une charge d'humanité que ses anciens maîtres avaient confiée à son honneur, et qu'ils n'auraient pu mieux placer.

CHAPITRE XIV.

[ocr errors]

Haine et danger de l'arbitraire. Utilité de la justice. M. Graëppel, pillage et indemnité. Craintes de la ville de Hambourg.-Les Français à Bergdorff.-Ordres favorables de Bernadotte. Lettre de Bernadotte. Incroyables extorsions en Prusse. -Les faux endosseurs. Souvenirs de Clarke à Berlin. Exactions des Hollandais. Le roi de Hollande et le siége de Hameln.-Soins. de Napoléon pour les blessés. - Mission de Duroc. — -Besoin mutuel de la paix. Demandes exagérées. — Duroc à Osterode, et refus du roi de Prusse. Triste situation de la Prusse. - Négociation dont je suis chargé à Hambourg. Accord des ministres et colère du roi de Suède. M. Netzel et M. de Wetterstedt.

[ocr errors]

Il faut souvent très-peu de chose pour se placer bien ou mal dans l'opinion d'une ville où l'on est appelé à résider comme ministre étranger, surtout lorsque le gouvernement que l'on a l'honneur de représenter est armé d'une sorte d'omni+ potence, comme l'était le gouvernement impérial,

après la défaite de l'armée prussienne. Dans une pareille situation, le moindre acte arbitraire est d'autant plus odieux, qu'il semble résulter d'un abus de la force, et il m'est permis de dire que jamais je n'ai eu recours à ces moyens que condamne la morale, et que proscrit également une bonne et sage politique. Lorsqu'au contraire on cherche à adoucir, à réparer des injustices ou des violences, les habitans du pays où l'on est accrédité regardent presque comme une haute faveur, la réparation d'un dommage, alors même que le ministre n'a agi que selon les lois d'une justice rigoureuse. J'eus plusieurs fois la preuve de ce que je dis, pendant mon séjour à Hambourg, et notamment dans une circonstance qui me revient à l'esprit. Un parti français ayant été un moment repoussé par les Prussiens, jusques sous les murs de Hambourg, vint bivouaquer près d'une maison appartenant à M. Graëppel, l'un des membres les plus recommandables du sénat. Les troupes françaises, malgré la discipline et l'ordre qui leur était enjoint d'observer, causèrent à M. Graëppel quelques dommages. Aussitôt que j'en fus informé, sans attendre ses réclamations, je m'empressai de lui faire offrir la réparation du tort qu'il avait éprouvé. Cette démarche si simple en elle

« PreviousContinue »