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de l'empereur lui fit entreprendre la fatale affaire de l'Espagne. Quoique éloigné, j'ai eu sur cette affaire des renseignemens curieux, et que je donnerai avec confiance, parce que je ne puis avoir de doute sur la pureté de la source où j'ai pu les puiser à cette époque.

Pendant que l'on agitait ces grandes affaires, et que Napoléon rêvait une monarchie universelle, je voyais, dans une sphère moins étendue, les inévitables résultats de l'ambition d'un seul homme. On pillait, on volait de toutes parts dans les malheureux pays où s'étendait ma juridiction diplomatique. La rapine était, pour ainsi dire, mise en régie, et exécutée avec tant de fureur et en même temps d'ignorance, que souvent on ne savait pas la valeur des choses que l'on prenait. Ainsi, par exemple, l'empereur fit saisir à Hambourg, à Bremen et à Lubeck, toutes les marchandises anglaises de quelque nature qu'elles fussent, et quelle que fût leur origine. Le prince de Neufchâtel m'écrivit de la part de l'empereur qu'il fallait que j'obtinsse des trois villes Anséatiques dix millions de francs. De son côté, M. Daru, intendant-général de l'armée, et chargé du recouvrement de ces sortes d'avanies, dont Napoléon avait contracté l'usage en Egypte, m'écri

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vait pour me presser d'obtenir une décision prompte et favorable. Les malheureuses villes qu'on m'enjoignait de pressurer de la sorte l'avaient cependant été bien assez. J'avais obtenu, par voie de négociation, plus qu'on ne demandait pour le rachat des marchandises anglaises dont la saisie avait été ordonnée. Avant les lettres du prince de Neufchâtel et de M. Daru, j'avais obtenu de Hambourg seize millions au lieu de dix, et en outre près de trois millions de Bremen et de Lubeck; ainsi, je faisais trouver au gouvernement neuf millions de plus que ceux sur lesquels il comptait, et je m'y étais pris de manière à ce que ces énormes sacrifices ne fussent point onéreux à ceux qui les firent. Je m'étais pressé de stipuler le prix des marchandises anglaises, parce que je savais que le haut prix de ces marchandises sur le continent, non-seulement couvrirait le rachat que l'on exigeait, mais que, de plus, elles procureraient encore un bénéfice convenable. Tel était le singulier effet du système continental, que lorsque l'on confisquait la marchandise, et que l'on vendait ensuite la permission de la revendre librement, le prix de la vente était si élevé que la perte était couverte, et qu'il en résultait même encore de grands avantages.

CHAPITRE XXIII.

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M. de Caulaincourt ambassadeur en Russie. Préjugés dé truits et amitié de l'empereur Alexandre. - Difficulté de la mission de Caulaincourt.- Répugnance de l'Angleterre pour l'intervention de la Russie.-Affaires du Portugal. -Singulier choix pour commander l'armée. - Désir de se débarrasser de Junot. Invasion facile et recommandation du prince régent. Prise d'Heilegoland par les Anglais. Valeur réelle de ce coup de main. M. Hue menacé d'être arrêté par le gouvernement danois. -Le comte de Bentinck. → Les princes et les aides-decamp de l'empereur.- Promulgation du code Napoléon reconnu loi de l'état. - Introduction des lois françaises en Allemagne. Indulgence du jury à Hambourg. Manteau volé, le syndic Doormann et absolution.- Les lois de Beccaria et souvenir d'une révolte en Italie. L'empire romain et l'empire français. - Ignorance de quelques présidens de tribunaux. — Légèreté française et juste mécontentement.

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La paix conclue avec la Russie, il fallut faire choix d'un ambassadeur, non-seulement pour entretenir les nouvelles relations d'amitié entre

Napoléon et Alexandre, mais surtout pour activer l'intervention promise par la Russie auprès de l'Angleterre, pour amener enfin une réconciliation et la paix entre les cabinets de Paris et de Londres. L'empereur confia cette mission à Caulincourt, sur le compte duquel il existait des préjugés, mal fondés, relativement à quelques circonstances qui avaient précédé la mort du duc d'Enghien. Cette opinion, fâcheuse et injuste, avait précédé le nom de Caulincourt à Saint-Pétersbourg, et l'on craignit qu'il n'y fût pas aussi bien accueilli que devait l'être l'ambassadeur de France, et que le méritaient ses qualités personnelles. J'ai su, dans le temps, d'une manière `positive, qu'à la suite d'une courte explication avec Alexandre, ce monarque ne put conserver aucun soupçon défavorable à notre ambassadeur, pour lequel il conçut et conserva beaucoup d'estime et d'amitié.

La mission de Caulincourt n'était pas en tout point facile à remplir, car c'est une des choses remarquables dans la politique du temps dont je parle, que l'invincible répugnance et le refus réitéré de l'Angleterre d'entrer en négociation avec la France par l'intervention de la Russie. J'ai su positivement que l'Angleterre était décidée à ne jamais souffrir l'envahissement du Continent que

Napoléon méditait avec si peu de mystère, que personne n'y pouvait être trompé. Depuis deux ans il avait effectivement marché à grands pas; mais l'Angleterre ne se décourageait point; elle comptait assez sur l'irritation des rois et sur le mécontentement des peuples pour être certaine que, quand elle le voudrait, ses léviers d'or soulèveraient de nouveau le continent, et l'armeraient contre la puissance envahissante de Napoléon. Lui, voyant que toutes ses tentatives étaient sans résultats, que l'Angleterre ne voulait entendre à rien, il arma son imagination de combinaisons nouvelles, et songea à susciter de nouveaux ennemis à l'Angleterre.

On n'a probablement pas oublié qu'en 1801 la France avait contraint le Portugal à faire cause commune avec elle contre l'Angleterre. En 1807 l'empereur refit ce qu'avait fait le premier consul. Par une inexplicable fatalité, Junot reçut le commandement des troupes qui marchèrent contre le Portugal. Je dis contre, parce que c'était la vérité, quoiqu'on se présentât, comme protecteur, pour délivrer le Portugal de l'influence de l'Angleterre. Quoi qu'il en soit, le choix que fit l'empereur étonna tout le monde. Était-ce bien à Junot, composé bizarre d'orgueil et de médiocrité, que

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