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Ceux-ci fuffifent pour montrer que Diogene avoit le caractere tourné à Penjouement, & qu'il y avoit plus de tempérament encore que de philofophie dans cette infenfibilité tranquille & gaie, qu'il a pouffée auffi loin qu'il eft poffible à la nature humaine de la porter. » C'étoit, dit Montaigne dans fon ftyle énergique & original qui plaît aux perfonnes du meilleur goût, lors même qu'il paroît bas & trivial, » une efpece de ladrerie fpirituelle, qui a un air de fanté, que la philofophie ne méprife pas. Il ajoute dans un autre endroit » Ce Cynique qui baguenaudoit à part >> foi & hochoit du nez le grand Alexandre nous eftimant des mouches » ou des veffies pleines de vent, étoit bien juge plus aigre & plus poignant » que Timon, qui fut furnommé le haiffeur des hommes; car ce qu'on » hair, on le prend à cœur celui-ci nous fouhaitoit du mal, étoit paf» fionné du défir de notre ruine, fuyoit notre converfation comme dange» reuse; l'autre nous eftimoit fi peu, que nous ne pouvions ni le trou» bler, ni l'altérer par notre contagion; s'il nous laiffoit de compagnie » c'étoit pour le dédain de notre commerce, & non pour la crainte qu'il » en avoit ; il ne nous tenoit capables ni de lui bien, ni de lui mal » faire. "

Cette philofophie reparut quelques années avant la naiffance de JesusChrift mais dégradée. Il manquoit aux Cyniques de l'école moderne, les ames fortes, & les qualités fingulieres d'Antifthene, de Cratès & de Diogene. Les maximies hardies que ces philofophes avoient avancées, & qui avoient été pour eux la fource de tant d'actions vertueufes; outrées, mal entendues par leurs derniers fucceffeurs, les précipiterent dans la débauche & le mépris. Les noms de Carnéade, de Mufonius, de Demonax, de Démétrius, d'Oenomais, de Crefcence, de Pérégrin, & de Sallufte font toutefois parvenus jufqu'à nous; mais ils n'y font pas tous parvenus fans reproche & fans tache.

Nous ne favons rien de Carnéade le Cynique. Nous ne favons que peu de chose de Mufonius. Julien a loué la patience de ce dernier. Il fut l'ami d'Apollonius de Thyane, & de Démétrius; il ofa affronter le monftre à figure d'homme & à téte couronnée, & lui reprocher fes crimes. Néron le fit jetter dans les fers & conduire aux travaux publics de l'ifthme, où il acheva fa vie à creufer la terre & à faire des ironies. La vie & les actions de Démétrius ne nous font guere mieux connues que celles des deux philofophes précédens; on voit feulement que le fort de Mufonius ne rendit pas Démétrius plus réfervé. Il vécut fous quatre Empereurs, devant lefquels il conferva toute l'aigreur Cynique, & qu'il fit quelquefois pâlir fur le trône. Il affifta aux derniers momens du vertueux Thrafea. It mourut fur la paille, craint des méchans, refpecté des bons, & admiré de Séneque. Oenomaüs fut l'ennemi déclaré des Prêtres & des faux Cyniques. Il fe chargea de la fonction de dévoiler la fauffeté des oracles, & de démafquer l'hypocrifie des prétendus philofophes de fon temps; fonc

tion dangereufe: mais Oenomaüs penfoit apparemment qu'il peut y avoir du mérite, mais qu'il n'y a aucune générofité, à faire le bien fans danger. Demonax vécut fous Hadrien, & put fervir de modele à tous les philofophes; il pratiqua la vertu fans oftentation, & reprit le vice fans aigreur; il fut écouté, refpecté & chéri pendant fa vie, & préconisé par Lucien même, après fa mort. On peut regarder Crefcence comme le contrafte de Demonax, & le pendant de Pérégrin. Je ne fais comment on a placé au rang des philofophes un homme fouillé de crimes & couvert d'opprobres, rampant devant les grands, infolent avec les égaux craignant la douleur jufqu'à la pufillanimité, courant après la richeffe, & n'ayant du véritable Cynique que le manteau, qu'il déshonoroit. Tel fut Crefcence. Pérégrin commença par être adultere, pédérafte & parricide, & finit par devenir Cynique, chrétien, apoftat & fou. La plus louable action de fa vie, c'eft de s'être brûlé tout vif: qu'on juge par-là des autres. Sallufte, le dernier des Cyniques, étudia l'éloquence dans Athenes, & profeffa la philofophie dans Alexandrie. Il s'occupa particuliérement à tourner le vice en ridicule, à décrier les faux Cyniques, & à combattre les hypothefes de la philofophie Platonicienne.

Concluons de cet abrégé hiftorique, qu'aucune fecte de philofophes n'eut, s'il m'eft permis de m'exprimer ainfi, une phyfionomie plus décidée que le Cynifme. On fe faifoit académicien, éclectique, cyrénaïque, pyrrhonien, fceptique; mais il falloit naître Cynique. Les faux Cyniques furent une populace de brigands traveftis en philofophes ; & les Cyniques anciens, de très-honnêtes gens qui ne mériterent qu'un reproche qu'on n'encourt pas communément : c'eft d'avoir été des enthoufiaftes de

vertu.

CYRUS

CYRUS, Roi de Perfe.

An du monde 3405. Avant J. C. 399.

YRUS eft regardé comme le conquérant le plus fage, & un des Prin ces les plus accomplis dont il foit parlé dans l'antiquité. Il étoit fils de Cambyfe, Roi de Perfe, & de Mandane, fille d'Aftiagés Roi des Medes. Ce Prince étoit bien fait de corps, & encore plus eftimable par les qualités de l'efprit il étoit plein de douceur & d'humanité, curieux d'apprendre & fenfible à la gloire. Il fut élevé felon les loix des Perfes, qui alors étoient dures & aufteres. Mais on peut dire qu'il dut ce qu'il eut de plus grand à la maniere dont il fut conduit: il fe vit foumis, comme les autres fujets de fon pere, à l'autorité des maîtres; ce qui d'abord amortit en lui cet orgueif fi naturel aux Princes: il apprit à obéir avant que de commander. Il fut accoutumé à une vie fobre & frugale, & en

durci au travail & à la fatigue. A l'âge de feize ans, il fit un voyage en Médie chez fon grand-pere Aftiagés. Il trouva dans cette cour des mœurs différentes de fon pays, car les Medes vivoient dans une grande molleffe. Cyrus fut y conferver fes mœurs pures: il fe maintint dans les principes qu'il avoit reçus dans fon enfance, fe fit eftimer & aimer par fon naturel affable, officieux & bienfaifant, & s'attira toute la tendreffe de fon grand-pere par les reparties vives & fpirituelles. Il voulut auffi profiter de ce féjour pour se perfectionner dans l'art de monter à cheval, art peu connu des Perfes. Comme il ne refpiroit déjà que la gloire, il fuivit Aftiagés à la guerre qui furvint alors. Evilmerodac, fils de Nabuchodonofor, avoit fait une irruption dans les terres des Medes. Cyrus fit en cette campagne fon apprentiffage des armes, & eut grande part à la victoire que les Medes remporterent. De retour en Perfe, chez fon pere Cambyfe, on remarqua que fon féjour chez les Medes n'avoit point altéré la fimplicité de fes mœurs. Encore tout jeune, on le vit courir dans la carriere des héros & remplir toutes les parties d'un Général confommé. Il marcha au fecours de fon oncle Cyaxare, devenu Roi des Medes par la mort d'Af tiagés. On ne fit point difficulté de lui donner le commandement de l'armée contre les Babyloniens. Il harangua les Officiers; &, par fes raisons preffantes & la chaleur de fon action, il échauffa leur courage. Cambyfe fon pere l'accompagna jufqu'aux frontieres de la Perfe, & lui donna d'excellentes leçons fur la conduite qu'il devoit tenir car il l'exhorta à s'inftruire des moyens néceffaires pour entretenir une armée & pour préparer des vivres, ménager la fanté des foldats, exciter l'émulation, favoir fe faire obéir volontairement: il lui dit que le moyen le plus fûr pour y réuffir, étoit de bien convaincre ceux à qui l'on commande, que l'on fait mieux ce qui peut leur être utile qu'eux-mêmes; que pour cela il falloit s'appliquer à la fcience de fa profeffion, & confulter les plus habiles.

Cependant les ennemis que Cyrus fe préparoit à combattre étoient redoutables par leur nombre. L'armée des Babyloniens montoit à deux cents mille hommes de pied & à foixante mille chevaux. D'un autre côté, les Medes & les Perfes joints ensemble avoient à peine la moitié de ce nombre. Dans le temps que Cyaxare étoit effrayé de cette inégalité, Cyrus imagina un expédient qui lui réuffit. Il fit changer d'armes aux Perfes, &, au lieu qu'ils ne fe fervoient que de l'arc & du javelot, il les arma de relle forte qu'ils puffent combattre de près.

Après avoir établi un ordre merveilleux dans fon armée, il alla en avant, Il furprit le Roi d'Arménie, l'inveftit, & le força à payer le tribut ordinaire. Il l'obligea, par l'évidence de fes raifons, à avouer qu'il étoit dans fon tort; il fe fit admirer de ce Roi par la générofité de fon procédé ; enfin il battit les Chaldéens qui étoient en guerre avec lui.

Cyrus marcha enfuite avec fon oncle Cyaxare contre les Babyloniens, & gagna contr'eux une premiere bataille dans laquelle le Roi Nérigliffor fut

tué. Le jeune Héros, à la tête des Medes, pourfuivit les ennemis, acheva leur défaite, fit un butin immenfe, & eut foin de faire prendre tous les chevaux; car il fongeoit dès-lors à faire un corps de cavalerie, secours dont les Perfes manquoient. Mais comme fon grand but étoit de fe concilier les peuples vaincus, il renvoya les prifonniers libres. Dans la diftribution du butin, il exhorta les Perfes à fe piquer de générofité envers les Medes & les Hircaniens qui les avoient fecourus dans cette guerre. Parmi les prifonniers, il fe trouva une Princeffe d'une rare beauté, nommée Penthée, c'étoit la femme du Roi de la Sufiane. Sur le récit de fa beauté, Cyrus, par un de ces traits de fageffe qui font uniques dans l'hiftoire, refufa de la voir. Arafpe, jeune Seigneur Mede, l'avoit en garde. Cyrus l'exhorta à avoir pour cette Princeffe tous les foins convenables à fon rang, & fur-tout à fe donner de garde du poifon de l'amour, mais fes leçons furent inutiles. Les charmes de Penthée n'avoient fait que trop d'impreffion fur le cœur d'Arafpe. Emporté par fa paffion, il alarmoit déjà la vertu de cette Princeffe. Penthée, pour se mettre à l'abri du danger, donna avis à Cyrus des follicitations du jeune Perfan. Ce Prince envoya un Officier chercher Arafpe, & lui fit des reproches fur fon peu d'obéiffance à ses ordres; mais accompagnés de tant de douceur, qu'il le fit rentrer en lui-même, & le détermina à facrifier fa paffion à fon devoir. Penthée remplie d'admiration pour Cyrus, écrivit l'état des chofes à Abderate fon époux. Celui-ci fe met en marche avec deux mille chevaux, & fe rend à l'armée de Cyrus. Penthée raconte les foins généreux que ce Prince avoit pris d'elle. Abdérate, dans le tranfport de fa reconnoiffance jure fidélité à Cyrus & devient un de fes plus fideles alliés ; tant il est vrai que de tout temps on n'a jamais perdu à être vertueux.

Dans le même temps, deux Seigneurs des plus puiffans, nommés Gobrias & Gadatas, ayant été maltraités par le Roi d'Affyrie, vinrent se jetter dans le parti de Cyrus. L'efpérance du fecours qu'il comptoit trouver dans ces deux Princes, l'engagea à pénétrer dans le pays ennemi; il tournoit déjà fes vues du côté de Babylone. Etant arrivé dans les terres de Gobrias, celui-ci reçut Cyrus dans fon château, & lui préfenta en mêmetemps fa fille, jeune perfonne d'une grande beauté; il le pria de la prendre fous fa protection, & de vouloir bien accepter les préfens qu'elle lui offroit: c'étoit une grande quantité d'or & d'argent. Cyrus, toujours fage, toujours grand, accepte les préfens, en fait un don à la fille de Gobrias en augmentation de fa dot, trouve un prétexte pour ne pas accepter le repas dont Gobrias le prie, & retourne au camp avec lui.

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Mais revenons aux expéditions militaires de ce Prince à l'aide de Gadatas, il se rendit maître du pays des Saques & des Cadufiens, & traita ces peuples avec tant de douceur, qu'ils demeurerent attachés à fon fervice les peuples fe rendoient à lui, & groffiffoient le nombre de fes troupes, & il fe faifoit de jour en jour de nouveaux alliés. S'étant avancé

jufqu'auprès de Babylone, il voulut reconnoître la fituation de cette ville fameufe, enfuite il reprit le chemin de la Médie. Arrivé chez Ciaxare, il lui rendit compte de fa conduite & de fes fuccès le Roi Mede, enchanté du mérite de Cyrus, lui offrit en mariage Mandane, fa fille unique. Ce Prince, après avoir fait un voyage en Perfe, retourna en Médie, époufa la Princeffe; & il en eut un fils, qui fut Cambyfe. Mais la gloire le rappella bientôt au camp; il y exerça fes troupes pour les tenir en haleine car il fe préparoit à livrer une feconde bataille au Roi de Babylone, & il s'appliqua fur-tout à fortifier la cavalerie Perfanne.

Par fes difcours & fes actions il ne ceffoit d'exciter dans le cœur de fes Officiers des fentimens de courage, & le zele pour le maintien de la difcipline, louant hautement les Capitaines qui faifoient leur devoir, & qui prenoient foin des foldats; il connoiffoit tous ceux-ci par leur nom : il ne propofoit pour jeux que des exercices militaires, donnoit des prix confidérables aux victorieux, & n'étoit occupé dans toute fa conduite que du bien du fervice. Cependant le Roi des Indes qui avoit déjà entendu parler de Cyrus, lui fit dire par fes Ambaffadeurs, qu'il vouloit être fon allié, & lui offrit de le fecourir de tout l'argent dont il auroit befoin. Cyrus, après avoir pris toutes les mesures néceffaires pour la bataille, marcha aux ennemis, & les joignit à Tymbrée, ville de Lydie : c'eft la premiere bataille dont nous connoiffions le détail avec quelqu'étendue.

L'armée de Cyrus montoit à cent quatre-vingt-feize mille hommes; favoir, foixante & dix mille Perfans, & cent vingt-fix mille Medes & Arméniens dans tout ce nombre étoient trente-fix mille hommes de cavalerie. Il y avoit encore trois cents charriots de guerre armés de faulx. Sur plufieurs de ces charriots étoient conftruites des tours hautes de vingt pieds, qui contenoient vingt archers.

L'armée de Créfus, Roi de Lydie, étoit fupérieure du double à celle de Cyrus, & montoit à quatre cents vingt mille hommes; fes principales troupes étoient des Babyloniens, des Lydiens & des Egyptiens: ces derniers, qui faifoient un camp de cent vingt mille hommes, avoient des boucliers qui leur couvroient tout le corps. Les armées étoient dans une plaine immenfe. L'armée de Créfus, rangée fur une feule ligne, occupoit près de deux lieues de terrein. Cyrus forma fon ordre de bataille fur celui de l'ennemi, & derriere les files de fon infanterie il mit les tours roulantes dont nous venons de parler. Cependant la bataille fe donne; on combat avec vigueur de part & d'autre les charriots armés de faulx font un carnage effroyable. Cyrus met en fuite l'infanterie & la cavalerie ennemie, & remporte une victoire complette. Dans la chaleur de l'action, le char d'Abderate s'étant renversé, cet époux chéri perdit la vie, & fa fidelle épouse, Penthée, ayant appris fon malheur, ne voulut pas y furvivre, & fe donna la mort.

Les vues de Cyrus ne fe bornoient pas à cette victoire; bientôt il fe mit

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