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route pour reconnoître le cap Défiré ou celui de la Victoire. Il faut enfuite baiffer au nord jufqu'à la riviere S. Domingo par les 45 degrés de latitude-fud. Il y a une ifle auprès de cette riviere, nommée l'ifle de Ste. Magdelaine, qui eft auffi bonne, & il y en a quatre autres au large à la vue de celle-ci & du continent.

Tout ce pays eft rempli de hautes montagnes jufqu'à la mer, & il y a là, aux environs, un port où l'on peut amarrer les vaiffeaux à de gros arbres.

Quand on parle des routes à faire en telle occafion que ce foit, il faut. toujours entendre que c'eft felon les airs de vent du monde, variation déduite; & de plus il faut faire attention que plufieurs cartes marquent les longitudes & même les latitudes différemment les unes des autres. Par exemple quelques cartes mettent le petit Archipel dont on a parlé, (qu'on appelle auffi les ifles Pedro Sarmiento, ou du Duc Yorck qui font au nombre de plus de 70) par les 50 degrés latitude fud, c'eft-à-dire leur milieu, & d'autres par les 1 degrés & demi, ainfi que le port S. Domingo par les 43 degrés & demi au-lieu de 45 degrés. Če font des attentions à avoir en toute forte de navigation, & que le bon navigateur fait corriger, n'y ayant guere de cartes exactement juftes, fur-tout d'anciennes.

Depuis Magellan & ceux déjà 'cités, très-peu de voyageurs ont paffé le détroit de fon nom pour aller à la mer du fud; & le dernier connu qui a pris cette route eft M. de Beauchêne de S. Malo, commandant deux frégates de la Rochelle qui partirent à la fin de 1698, & enfilerent le détroit au mois de Juin 1699, qui eft la faifon de l'hyver de ce pays-là. Il mouilla le 24 Juin au cap d'onze mille Vierges, autrement nommé la pointe de la Poffeffion, qui eft à l'entrée du détroit dans la mer du nord; & quoique ce fut la faifon la plus rude, ayant enfilé ce détroit, il mouilla le 3 Juillet au port Famine, qui eft vers la fin de la premiere moitié du détroit du côté des terres de ftribord, & que l'on nomma auffi l'isle Elifabeth, ainfi appellée par le Chevalier Narbourough, Anglois, qui traversa le détroit en 1669 le 2 Octobre. M. Beauchêne trouva que l'air y étoit auffi tempéré qu'en France. Il y eut pourtant quelques bourafques de pluie & de neiges à effuyer, qui venoient de la partie de l'oueft; & l'on reconnut que ce pays eft très-bon, qu'il pourroit produire beaucoup de grains, nourrir beaucoup de bétail, & que les montagnes voifines de l'ifle Elifabeth qui font fur la terre du nord, produifent de l'or & du cuivre. Ce détroit contient trois grandes bayes d'environ 7 lieues de large d'une terre à l'autre, mais dont les entrées n'ont pas plus de demi-lieue. Ces bayes font entourées de fi hautes montagnes, que le foleil n'y pénetre jamais le froid y eft prefqu'infupportable, & malgré cela (ce qui paroît un prodige) on y trouve des cannelliers & des arbres de poivre ou piment, qui tout verds qu'ils font, brûlent au feu comme du bois fec; on y trouve auffi de l'eau excellente & une grande quantité de poiffons,

Ces mêmes circonftances ont été affirmées long-temps auparavant par des navigateurs Efpagnols, que Charles V y envoya. Ils apporterent de ces aromates à Séville, où ils les vendirent alors deux écus la livre.

Spilberg, Hollandois, a trouvé les mêmes chofes & fait mention_entr'autres d'un port fameux, dont le terroir ou voifinage abonde en fruits de diverfes couleurs d'un goût excellent, & en fources d'eau. Il appelle port du Piment cet endroit qui produit jufques fur le rivage des arbres aromatiques, dont l'écorce a le goût plus chaud & plus piquant que le poivre & la canelle des Indes-orientales, chofe d'autant plus remarquable que cette terre eft fituée par les 52 degrés de latitude du côté de la bande du nord.

Le détroit de Magellan depuis fon embouchure du côté de l'est, jusqu'à la fortie du côté de l'oueft, a 100 lieues d'Espagne de longueur. Depuis son embouchure au côté de l'eft jufqu'à fa moitié, il eft large, commode, & on y peut facilement naviguer, l'ancrage y eft bon & la marée n'y eft pas forte; mais l'autre moitié pour aller à la mer du fud, eft plus étroite, plus difficile, il y a bien moins de mouillage, & les rafales y font bien plus violentes. Le flux dans l'une & l'autre entrée porte dans le détroit, ce qui cause un conflit à la rencontre, & le reflux porte dehors. Le vif ou haut de l'eau eft de quatre braffes perpendiculaires; au décroiffant de la lune, le vif de l'eau eft à onze heures; enfin vis-à-vis le détroit ou canal de S. Gerôme qui eft aux trois quarts du détroit de Magellan, en y entrant par la bande de l'eft, il y a une ifle dans laquelle il y a deux bons havres. Il y a des peuples fur la terre de la bande du fud qu'on appelle terre de Feu, mais ils font pauvres.

De tout ceci l'on doit conclure, qu'il eft bien plus aifé de traverser le détroit de Magellan, que bien des gens ne l'imaginent; puifque M. de Beauchêne l'a traverfé heureusement dans la faifon la plus rude, & le Chevalier Narbourough le 2 Octobre, de forte qu'en s'y prenant dans la vraie bonne faifon qui eft Novembre ou Décembre, on n'aura aucun lieu d'en redouter le paffage.

On n'a fait cette description détaillée de cette partie, que pour faire voir qu'on peut dans l'entreprise de la Découverte des terres auftrales, paffer par ce détroit fi l'on veut, au lieu de doubler le cap d'Horn; ce qui abrégeroit le temps du paffage, à moins qu'on ne voulût s'y arrêter à prendre connoiffance des meilleurs endroits, dans la vue de quelque

commerce.

Suppofons donc égalité de temps par un paffage ou par l'autre, pour arriver à la riviere S. Domingo dans la mer du fud: fi l'on veut donc parcourir toutes les relâches qu'on a indiquées depuis le départ de Copenhague & reconnoître ces différens paffages, cinq mois fuffisent à des frégates bonnes & fines voilieres; en voici la preuve.

A route droite & fans vent contraire, il n'y a qu'environ 3100 lieues à faire

faire de Copenhague à S. Domingo : nous donnons 2200 lieues par mois en route aux frégates; elles peuvent donc faire ce chemin en deux mois & demi à leur aife. Les autres deux mois & demi nous les donnons pour toutes les relâches, foit en faifant le tour du cap Horn, foit en paffant par le détroit de Magellan ; & nous comptons que ces deux mois & demi pour les relâches, font plus que fuffifans. Car en fuppofant 8 jours à chaque relâche, l'une dans l'autre; comme il n'y en a que fix, ce ne feroit que 48 jours, ce qui abrégeroit lefdits cinq mois de 27 jours. Ajoutez à cela qu'on peut fe difpenfer de la relâche à Maldonade.

Avant de quitter S. Domingo, nous devons dire un mot des courans généraux qui fe trouvent dans le cours de la navigation pour cette entreprife-ci, depuis les ifles Canaries jufques dans la mer du fud.

A l'oueft des Canaries & des ifles du cap Verd, jufqu'à la ligne, les courans portent dans le fud-oueft & l'oueft. Quoiqu'ils ne foient pas forts, il faut s'en méfier, parce qu'il eft bon pour ce voyage-ci de couper la ligne par les 357 à 358 degrés de longitude du premier méridien de l'ifle

de Fer en allant.

A l'eft des Canaries & des ifles du cap Verd, ils portent dans le fudeft jufqu'à Sierra Lionna, & auffi la côte de Guinée jufqu'à la ligne.

Au-delà de la ligne dans la partie du fud, depuis la ligne jufques au tropique du capricorne, ils portent au nord-oueft, & ils portent auffi de même depuis le cap de Bonne-Efpérance jufques à la ligne.

Mais depuis le cap Fernambouc qui eft par les 8 degrés fud jusques au tropique, ils portent au nord-eft.

Au paffage du cap Horn avant de le doubler & faifant route pour le doubler, ils portent l'eft-fud-eft, jufques à l'eft-nord-eft.

Dans la mer du fud entre le tropique du capricorne & la ligne, depuis les côtes de l'Amérique jufques aux Moluques, ils portent au nord-oueft, & enfin dans la mer du fud entre le tropique du cancer & la ligne, depuis les côtes de l'Amérique jusques aux Philippines, ils portent fud-oueft, & oueft-fud-oueft.

Si après avoir doublé le cap Horn qui eft par les 310 degrés de longitude du premier méridien de l'ifle de Fer, on foutient toujours la latitude de 56 à 57 degrés fud, pouffant droit dans l'oueft, on trouvera par les 300 degrés de longitude du même méridien, ce qui fait par ce paffage cent & quelques lieues, la terre découverte par François Drake, Anglois, marquée indéfinie; & nous croyons que cette terre n'eft point une ifle, mais une pointe de commencement des terres auftrales qui font à l'oueft, du cap Horn, du Chiloë & du Chily. Cela donne toujours une notion à valoir ce qu'elle pourra. Partons maintenant de S. Domingo, après y avoir ravitaillé les frégates, ce qui fera facile; parce que ce pays abonde ainfi que tour le Chily, en toute forte de vivres, & que l'air y eft fi fain que les malades fe rétabliffent très-promptement. Mais avant de partir il feroit important de faire Tome XV.

Kk

fon poffible pour engager deux ou trois habitans naturels de ce pays à s'embarquer de bon gré fur les frégates.

Au fortir de S. Domingo, il faut faire route valante l'oueft-fud-oueft, jufques à ce qu'on ait trouvé terre-ferme.

L'ayant trouvée, il faut la fuivre & la côtoyer à certaine distance, de maniere qu'on puiffe fe rapprocher à fa vue, quand on l'aura perdue, à quoi la plus petite des trois frégates fera fort utile, parce que tirant moins d'eau que les autres, elle pourra fans crainte approcher ces terres inconnues. Il feroit même à fouhaiter qu'avant de partir de Copenhague, on eût pu embarquer dans le ventre de la grande frégate un petit bâteau en pagalle d'environ 20 tonneaux ou même feulement de 12 à 15, qu'on monteroit facilement dans ces mers pacifiques, pour le faire fervir le long de cette navigation des terres auftrales à s'informer dans les bayes, anfes profondes & différens finus que la diverfe configuration defdites terres peut former, afin que s'il s'y trouvoit quelques bancs ou rochers ou bas fonds, il courût moins de rifques à tout vifiter; ce que ne pourroit faire la plus petite des frégates qui cependant le fuivroit d'auffi près qu'il feroit prudent de le faire.

On pourroit trouver à S. Domingo, ou même au premier endroit des terres auftrales où l'on abordera, le moyen de conftruire un bateau. Dans cette vue, il faudra mettre dans chacune des trois frégates le double de bons charpentiers qu'on auroit mis fans cela, avec les clous, férailles, & outils néceffaires pour ce fujet; ce qui fera d'autant mieux que tout ce qui eft fer ouvragé ou non, eft une excellente marchandise, fur-tout à préfent dans toutes les mers du fud.

La néceffité de parcourir & de vifiter, autant qu'il fera poffible, les différentes finuofités de ces terres inconnues, (pourvu qu'elles ne menent pas à des latitudes trop hautes) tombe fur ce que l'on y peut trouver des objets de commerce & des peuples traitables. Puifque par les 52 degrés dans le détroit de Magellan l'un & l'autre s'y trouvent, n'eft-on pas fondé à préfumer qu'il s'en trouvera de même & peut-être encore mieux à ces terres par les 45 à 46 degrés, & encore plus dans de plus baffles latitudes? Car à mesure qu'on s'éloigne dans l'oueft des terres de l'Amérique, les terres auftrales s'avancent vers le tropique du capricorne. Ainsi il est prudent de faire tout d'un coup route pour le point défiré qui gît entre les 35 degrés & le tropique du capricorne, de s'inftruire de tout ce qui peut être utile chemin faifant; de cette forte rien n'aura échappé à la recherche. Il y a plufieurs navigateurs entre lefquels font Giros & Dequir, qui prétendent que ce point défiré, qui produit l'or & l'argent & les épiceries fines, baiffe par certaines pointes jufqu'entre le capricorne & la ligne. C'est ce qui nous a été confirmé par un François réfugié, navigateur trèsancien pour les Hollandois à Batavia. Mais fuppofons le fait douteux: tout cependant en fait préfumer la réalité.

On fera donc cette manœuvre jufqu'à ce qu'on ait baiffé de latitude jufques par les 30 & 35 degrés fud & même jufques par les 15 fi la terre y force.

Ce cours de navigation dans l'oueft, rabattant toujours vers le capricorne à mesure qu'on y fera contraint par les terres, comprendra bien en droite route & fans compter les détours des anfes & enfoncemens qu'on jugera à propos de vifiter, autour de 14 à 1500 lieues, pour lesquelles on emploie trois mois, y compris le temps néceffaire pour parcourir les finuofités & les reconnoître.

Il faudra parmi toutes celles qu'on aura parcourues depuis le départ de S. Domingo, jufques au dernier période de la route de l'oueft, en remarquer exactement deux par leur vraie latitude bien obfervée & leur longitude, pour fervir de principales relâches, tant au retour par le cap Horn, & auffi d'hyvernage fi befoin eft, que pour les mêmes raifons dans un fecond voyage & fuivans, & faire enforte que l'une de ces relâches foit la plus proche que faire fe pourra des côtes de l'Amérique, & l'autre à la plus égale distance de celle-là & du point défiré qu'il fera poffible.

Ce que nous avons dit fur l'attention à reconnoître les finuofités de la terre ferme australe, nous le disons auffi pour les ifles de quelque confidération, qui pourroient fe rencontrer dans la route; car une bonne isle eft une reffource affurée où l'on peut s'établir & relâcher, quand par hafard on ne trouve pas fureté de le faire à la grande terre, à caufe de la férocité des peuples.

Cette navigation établie de la forte, nous regardons comme immanquable la Découverte de cette côte qui produit l'or, l'argent & les épi→ ceries fines en auffi grande quantité qu'on l'affure, & nous ne faurions regarder comme un problême l'existence des terres fermes auftrales. Cette partie du monde eft peut-être même plus grande qu'aucune des quatre autres; car à bien réfléchir, la nouvelle Hollande, la terre des Papons ou nouvelle Guinée, la Carpentarie, les terres de Diemen, le pays de Concorde, celui de Béach, la nouvelle Zélande, les terres de Dequir & de Giros, & autres adjacentes aux mers de Lanchidol, ainfi que leur fuite allant dans l'eft, jufques à celle de François Drake, & delà pouffant toujours dans l'eft, & tournant le pôle antarctique jufques à la nouvelle Hollande, comprennent une étendue immenfe qui n'eft remplie d'autre chofe que des eaux de la mer, ce qui fait vraisemblablement une continuité de terres fans interruption, tout autre que des points qui avancent plus ou moins vers le capricorne.

que

Si l'on eft affez heureux pour trouver ces riches côtes qui font l'ob jet de cette entreprife, il faudra y paffer l'hyver, s'y cantonner & y

commercer.

Quoiqu'on puiffe préfumer que ces peuples ne font pas plus férocess que ceux de l'Amérique Méridionale, il eft cependant bon d'ufer de cer

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