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le plus chaudement, et par histoire il entend, non pas une sèche énumération de faits et de dates, mais l'histoire considérée comme science morale. « La seule connaissance des faits mérite à peine le nom de science; la véritable sagesse consiste à remonter des effets aux causes. Comprendre l'histoire, c'est comprendre l'homme qui en est le sujet. Etudier l'histoire, c'est peser les motifs, les opinions, les passions de l'humanité, afin d'éviter vous-même les erreurs déjà commises et de profiter des exemples de sagesse. L'étude de l'histoire ainsi comprise peut être commencée à n'importe quel âge on ne peut traiter trop tôt les enfants comme des hommes1. » Il conseille de consulter les sources. << Les abréviateurs, les compilateurs, les commentateurs et les critiques ne sont bons, en général, qu'à remplir l'esprit d'anecdotes inutiles ou à donner aux recherches une mauvaise direction. » Remarquons, en passant, que Goldsmith affiche assez souvent le mépris des vulgarisateurs. Cette attitude peut paraître étrange; lui-même n'a pas été autre chose. Si ses histoires de Grèce, de Rome, d'Angleterre ont longtemps gardé une popularité à certains égards méritée, ce n'est ni par le souci méticuleux de l'exactitude, ni par l'originalité des recherches qu'elles brillaient. Mais, comme le dit Macaulay, généralement assez sévère pour lui, « ses compilations ne ressemblent en rien aux compilations ordinaires des faiseurs de livres. Il possédait peut-être plus qu'aucun autre écrivain l'art de choisir et de condenser. A ce point de vue, son Histoire romaine, son Histoire d'Angleterre, et surtout les résumés qu'il fit lui-même de ces histoires, méritent qu'on les lise avec soin. En général, rien n'est moins attrayant qu'un Abrégé; mais les abrégés de Goldsmith sont toujours amusants, même lorqu'ils sont le plus concis, et pour des enfants intelligents ce n'est pas une tâche de les lire, mais un vrai plaisir2. »

<< Ce n'est pas l'histoire des rois, mais celle des hommes.

1. T. V, p. 256.

2. Essais littéraires, trad. G. Guizot, p. 291.

à laquelle il faut s'attacher », poursuit notre auteur'. Quelques années auparavant, Voltaire, dont l'influence sur Goldsmith est assez souvent visible2, s'était exprimé d'une façon analogue au début de son Siècle de Louis XIV.

L'idée qu'il se fait de l'histoire est très haute. « Qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée. Je ne voudrais pas que l'histoire consistât seulement en d'arides spéculations sur les faits, exposées avec placidité, poursuivies sans intérêt ni passion. Je ne voudrais pas que votre raison se fatiguât sans trève à des recherches critiques. Tout ce que je demande, c'est que l'historien exerce autant le jugement que l'imagination du lecteur. C'est autant son devoir de faire acte de philosophe ou d'homme politique dans ses récits que de rassembler des matériaux pour la narration. S'il n'a une certaine intelligence philosophique, ses exposés mêmes seront forcément souvent faux, fabuleux, contradictoires; s'il n'a point de sagacité politique, ses caractères seront mal dessinés; le vice et la vertu seront distribués sans discernement et sans vérité3». Il propose comme modèles dans l'antiquité, Xénophon, Tite-Live, Salluste et Tacite'. Il avait composé un abrégé des Vies de Plutarque et, dans une courte préface, avait fait ressortir l'intérêt des biographies historiques, la meilleure introduction peut-être à l'étude de l'histoire pour l'enfance et la jeunesse jusqu'à douze ou treize ans. On sait l'admiration que le dix-huitième siècle professait pour Plutarque, et Goldsmith paraît l'avoir partagée. Mais ce n'est pas sur la seule antiquité qu'il appelle l'attention des maîtres et des élèves. Dans une lettre consacrée à l'étude de l'histoire d'Angleterre, il veut que ceux-ci s'intéressent tout spécialement à la période la plus récente de cette histoire, à celle de la naissance des libertés an

1. Works, t. V, p. 257.

2. Goldsmith a composé une Etude sur Voltaire, vers 1759. Il avait, dès 1757, publié un compte rendu de l'Essai sur les mœurs et des Siècles de Louis XIV et de Louis XV,

3. T. V, p. 258.

4. P. 259.

glaises. Tout homme demeurant dans ce royaume a sa part des libertés dont il jouit, de même que la généralité du peuple est en dernier ressort investie du pouvoir législatif. Aussi est-ce le devoir de tout homme de connaître cette constitution que par droit de naissance il est appelé à administrer; un freeholder dans un état libre doit certainement se rendre compte du pacte en vertu duquel il est investi d'une tenure si précieuse1. » L'histoire, entre autres usages, doit donc servir à l'éducation civique des adoles

cents.

L'étude des langues appelle quelques réflexions. Goldsmith ne croit pas qu'elle puisse être rendue attrayante, et il exagère même la sévérité de cet enseignement. « Quelques peines qu'un maître prenne pour rendre l'étude des langues agréable à son élève, il peut compter qu'elle sera d'abord extrêmement désagréable. Aussi les rudiments d'un langage doivent-ils être donnés comme une tàche, non comme un amusement. » Et il ajoute que la crainte seule peut triompher de la paresse naturelle d'un enfant.

Sur les méthodes à employer, peu de choses à signaler. Notre auteur critique l'usage des traductions fort à la mode alors en Angleterre. « Ce n'est qu'en exerçant l'esprit qu'on apprend une langue; mais une traduction littérale sur la page en face n'exerce nullement la mémoire. L'enfant ne se donnera pas la fatigue de se rien rappeler s'il lui suffit d'un coup d'oeil pour lever tous ses doutes. Au contraire, s'il doit chercher tous ses mots dans un dictionnaire, il tâchera de s'en souvenir pour s'épargner la peine de les chercher à l'avenir3. » J'ajouterai que, même sans faire ce petit calcul, l'écolier pendant le temps qu'il compulse son lexique avant d'arriver au sens d'un vocable inconnu ou douteux, est forcé de le garder dans sa mémoire; cela contribue à l'y graver, et c'est

1. T. V, p. 263.

2.T. II, p. 409. Il y a dans ce passage quelques phrases où il excuse ou même recommande un usage discret des verges et que j'aurais dû citer au chapitre Ier de ce mémoire.

3. T. II, p. 408.

une erreur, tout au moins une grosse exagération de croire, comme on le dit souvent, que le temps employé à chercher dans un dictionnaire soit complètement perdu. Je n'insiste pas sur la dépense d'intelligence nécessaire pour choisir entre les diverses significations indiquées. Le dictionnaire est la bête noire de nombre de pédagogues contemporains. Il a été à peu près banni des classes de langues vivantes. Un jour sans doute, grâce à l'éternel retour des choses d'ici-bas, quelque haute autorité universitaire en redécouvrira les bienfaits et en présentera l'emploi constant comme une innovation ingénieuse autant que hardie. Les thuriféraires applaudiront et les résignés se tairont, et il n'y aura rien de changé que les programmes et les méthodes. Ces sortes de changements sont si fréquents chez nous qu'on s'étonnerait de ne pas les voir se renouveler au bout de périodes de plus en plus courtes.

Dans la dernière partie du dix-neuvième siècle, les recueils de morceaux choisis ont été, eux aussi, fort critiqués1. II est vrai qu'ils ont été aussi vigoureusement défendus2. Goldsmith ne doutait guère de leur utilité; on en doutait peu de son temps; de plus, il en tirait quelque profit. Plusieurs de ses biographes racontent à ce sujet l'anecdote suivante Un éditeur, Griffin, lui avait commandé un choix de poésies classiques anglaises pour l'usage des écoles, choix qu'il devait faire précéder d'une de ces préfaces qu'il savait si bien faire. En marquant les morceaux pour l'imprimeur, Goldsmith nota un conte graveleux de Prior qui, inséré en conséquence dans le livre, le rendit invendable. - Goldsmith était fort étourdi, tous s'accordent à le reconnaître; mais ici l'étourderie eût passé toute mesure. Les

1. Voyez, par exemple, la circulaire de Jules Simon, alors ministre de l'instruction publique, du 27 septembre 1872 (Bull. administr., 1872, p. 581).

2. Voyez E. Hallberg, Bulletin de l'Académie des Sciences de Toulouse, 1897-98, pp. 59 et s.; P. Stapfer, Des réputations littéraires, t. I, p 114, etc.; A. Vessiot, La question du latin de M. Frary et les professions libérales, pp. 41-43, etc.

biographes en question ont confondu deux recueils différents, tous deux composés par le pauvre manœuvre de lettres l'un, destiné, en effet, aux pensions de demoiselles, et qui ne contient aucune pièce de Prior; l'autre, composé, nous dit l'auteur,« pour ceux qui n'ont pas de loisir, de discernement ou de fortune pour faire eux-mêmes leur choix », contient plusieurs pièces licencieuses. J'avoue volontiers d'ailleurs que là même elles ne sont pas à leur place.

Ces compilations ne coûtaient pas grand travail à Goldsmith qui se contentait d'écrire quelques lignes d'introduction et de marquer au crayon les passages à imprimer. Les éditeurs lui payaient cette besogne assez généreusement. Ce n'était que justice, observait notre auteur, car, disait-il, << par un choix judicieux un homme montre son goût et souvent il lui a fallu vingt ans pour former ce goût. »

Si les morceaux choisis lui paraissent éminemment propres à l'éducation de la jeunesse, en revanche il est sévère pour la méthode catéchistique, pour les manuels par demandes et par réponses, dont le principal défaut, d'après lui, est de charger la mémoire sans exercer le jugement'. Il ne faut certainement pas abuser de cette méthode. Je n'oserais pourtant la condamner d'une façon absolue; avec des maîtres intelligents, elle peut donner quelques bons résultats, et tel est sans doute l'avis d'un de nos anciens ministres de l'instruction publique, ancien inspecteur d'académie, qui n'a pas hésité jadis à donner son nom à une collection de petits catéchismes scolaires pour les candidats. au certificat d'études primaires.

Disons pour terminer que l'auteur du Ministre de Wakefield considérait la lecture des romans comme tout à fait dommageable pour la jeunesse. « Par-dessus tout, écrivaitil en 1759 à son frère, le Révérend Henry Goldsmith, que votre fils ne touche jamais à un roman quel qu'il soit. Ces sortes d'ouvrages représentent la beauté sous des couleurs

1. T. V, p. 254.

2. « Let him never touch a romance or a novel... >>

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