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l'action populaire a eu un développement immense. Dans ces démocraties ou ces oligarchies jalouses, soupçonneuses, tout citoyen pouvait intenter une action, non seulement pour les affaires publiques, mais pour toute affaire privée qui intéressait plus ou moins directement l'Etat. Il n'y a guère que la poursuite des meurtres qui ait été laissée aux parents et aux représentants des victimes, et encore certaines procédures spéciales, par exemple l'apagogè, permettaient l'intervention des étrangers. A Athènes, Solon avait établi la règle, adoptée vraisemblablement par la plupart des autres villes, que tout citoyen pouvait se porter défenseur de l'opprimé : ἐξεῖναι τῷ βουλομένῳ τιμωρεῖν ὑπὲρ τῶν ἀδικουμένων'. La dénonciation, surtout en matière politique, satisfaisait si bien les haines et les passions, ouvrait si largement aux sycophantes l'accès des honneurs et des fonctions publiques qu'en général il ne fut pas nécessaire de la favoriser par l'appât de primes pécuniaires. Aussi le système des primes a-t-il été moins étendu qu'on ne le croirait de prime abord2.

I.

ATHÈNES.

1o On y trouve des primes dans les cas suivants :

1o La par contre l'étranger qui épouse une citoyenne et l'étrangère qui épouse un citoyen ou contre le citoyen qui marie frauduleusement à un citoyen une étrangère en la faisant passer pour citoyenne comporte, dans le premier cas, la confiscation des biens et la vente comme esclave, dans le

1. Aristot., Ath. pol., 9, 1.

2. Ce sujet a déjà été traité par Ziebarth, Popularklägen mit Delatoren præmien nach griechischem Recht (Hermes, 1897, pp. 609628); mais quelques textes nouveaux nous permettent de le compléter.

second cas, la confiscation et l'atimie: le dénonciateur a le tiers des biens confisqués1.

2o La pust, simple dénonciation, où le dénonciateur n'est pas accusateur, est surtout employée par les personnes qui ne sont pas autorisées à déposer une plainte publique, étrangers, esclaves, quelquefois par les complices d'un crime qui s'assurent auparavant l'impunité par l'žèsta3. Elle est portée soit devant le Sénat, soit devant le peuple, quelquefois devant l'Aréopage. Elle provoque souvent ou suit la nomination d'enquêteurs spéciaux, de zi. Elle a lieu surtout pour les crimes de haute trahison, d'impiété7, mais aussi pour la détention illégale, le détournement de biens, de sommes appartenant à l'Etat. Elle vaut généralement, sans doute légalement, comme prime à l'esclave son affranchissement. Il peut y avoir en outre des primes pécuniaires. Dans l'affaire des Hermocopides où la plupart des dénonciations vinrent d'esclaves et de métèques, on avait promis des primes de 1,000, 6,000, 10,000 drachmes 19; le dénonciateur de Phidias obtient l'atélie ".

1. Dem., 59, 16, 52.

2. V. Meier-Lipsius, Der attische Process, pp. 138, 140, 330-332, 355. Il y a une dízy pyvosios à Erythrée (Newton, Greek Inscr., 3, 418), et la oss en matière politique dans le traité entre Smyrne et Magnésie (Michel, Recueil, 19).

3. Lysias, 13, 18, 21, 30, 55.

4. Affaire d'Harpale (Dinarch., in Dem., 4-5).

5. Dem., 24, 11.

6. Dinarch., in Dem., 9.

7. Affaire des Hermocopides.

8. Plut., Per., 31 (accusation de détournement de fonds publics intentée à Phidias par Ménon, sans doute métèque); Lys., 29, 6.

9. Lys., 7, 16; 5, 15.

10. Andoc., 1, 11-15, 16-17, 27-28; Thucyd., 6, 28, 1. Le nom de la prime est μήνυτρα.

11. Plut., Per., 31. Un discours d'Antiphon (5, 34) fait croire que de simples particuliers pouvaient aussi plus ou moins légalement récompenser par des primes pécuniaires ou par l'affranchissement des dénonciateurs, libres ou esclaves, dont le témoignage leur était favorable dans un procès criminel. Une fausse dénonciation entraînait la peine de mort, au moins avant l'archontat d'Euclide (Andoc., 1, 20).

3o La pag1 désigne toute dénonciation en général, mais en particulier une dénonciation portée d'après les règles de la pan, c'est-à-dire par écrit, et avec emploi des espèces d'huissiers dits zoos, et remise soit aux magistrats compétents, soit aux prytanes du Sénat 3. Elle vise généralement l'intérêt public et, dans un cas, l'intérêt privé. Elle est surtout employée pour la protection des intérêts fiscaux contre ceux qui détiennent illégalement un bien de l'Etat, contre ceux qui empiètent sur les terrains miniers réservés à l'Etat ou qui en dégradent les pilliers dans leurs propres lots. miniers et compromettent l'exploitation; peut-être contre ceux qui ont détérioré des bâtiments et des objets publics; mais surtout contre ceux qui ont violé des règlements. douaniers, commerciaux ou relatifs aux impôts. C'est cette dernière classe de délits que la phasis a le plus fréquemment poursuivie. Elle frappe l'importation de denrées, d'objets provenant de pays ennemis, ou inversement l'exportation dans un pays ennemi d'armes ou de matériel naval7; les fraudes en matière de douanes

1. V. Meier-Lipsius, l. c., pp. 61, 76, 99, 226, 240, 294-302; Pollux, 847-48; Eustath., ad Odyss., 4, 254; Harpocr., s. h. v., lex Canlabr., 667, 7; Etym. magn., 788, 50; lex seg., 313, 20; 315, 16; Phot. Suid., s. h. v.; Lysias, Fragm., 203 (éd. Didot).

2. Xenoph., Cyrop., 1, 2, 14. Le mot dropaivav à le même sens général, par exemple dans la formule du serment des sénateurs qui s'engagent à dénoncer toute cause d'indignité des nouveaux sénateurs (Lys., 31, 2). A Opus, un délit comporte une pastę devant le Sénat (Inser. gr. sept., 3, 267).

3. Dem., 58, 5; Aristoph., Eq., 300. Cf. Dem., 25, 87: 39, 14; Andoc., 1, 88.

4. Isocr., 6, 3; 18, 5-6; Harpocr., l. c.; Gregor., Corinth., Rhet.-gr., VII, 2, 1119 (éd. Walz); peut-être le fragment a C. ins. att., 2, 14.

5. Lex. seg., l. c.; Schol., Dem. (éd. Didot), p. 736; Harpocr., l. c.; Vit. Dec. orat., Lyc., 34; Hyper. in Eur., 45. V. Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, art. Metalla, pp. 1869-1870.

6. Isocr., 17, 42; Boeckh, Seeurkunden, p. 230; Aristoph., Acharn., 819, 908; au vers 512, il faut sans doute lire vas, qui fait allusion à une phasis. Dans ce cas, il y a confiscation de tous les objets; le dénonciateur peut les saisir provisoirement.

7. Aristoph., Eq., 278; Ran., 362; cf. Dem., 19, 286.

et d'impôts'; la violation des règlements sur l'importation et l'exportation de certains produits 2; sur le commerce du blé 3. Enfin, elle frappe également ceux qui arrachent sur leurs terrains plus d'oliviers que la loi ne le permet annuellement, et les sycophantes eux-mêmes, probablement pour fausse dénonciation dans des affaires de douanes, d'impôts, de commerce et de mines". Le seul délit privé poursuivi par la phasis est la mauvaise gestion de la fortune du pupille par le tuteur (φάσις μισθώσεως οἴκου).

La phasis est portée, pour les procès de tutelle, devant l'archonte; pour les procès de mines, d'impôts et contre les sycophantes, devant les archontes thesmothètes ; pour les procès commerciaux et douaniers, devant les chefs de l'emporium ; pour la détention illégale de biens publics, au moins pendant quelque temps après 303, devant les commissaires extraordinaires dits cúvètxo: 1°. Le Sénat peut recevoir aussi la dénonciation ", mais c'est par exception qu'une fois il la juge lui-même sous le régime des Dix, après les

10

1. Aristoph., Eq., 300. C'est probablement la dénonciation de ce délit qui a amené le mot sycophante; voir tous les textes sur l'origine de ce mot dans le Thesaurus d'Etienne Dindorff.

2. C. ins. att., 1, 31. Dans le règlement d'Hadrien sur la fourniture de l'huile à la ville, la dénonciation des contrevenants, soit indigènes soit étrangers, s'appelle pivots, mais c'est en réalité une phasis (ibid., 3, 38, 1. 39).

3. Dem., 35, 51; 56, 6; 58, 12. Voir l'article Emporikos nomos (Dictionnaire des Antiquités).

4. Le délinquant paie pour chaque pied d'olivier 100 drachmes à l'Etat et autant au dénonciateur (Dem., 43, 71).

5. Pollux, 8, 48; lex. seg., 310, 14; Aristot., Ath. pol., 59, 3.

6. Harpocr., l. c.; Dem., 38, 23; Lysias, Frag., 203. Voir l'article Epitropos, p. 731 (Dictionnaire des Antiquités).

7. Pollux, 8, 47; Is., 6, 32; 9, 34; Dem., 30, 6.

8. Dem., 37, 34; Isocr., 15, 237, 314. Voir sur les autres formes de poursuites contre les sycophantes, Meier-Lipsius, l. c., p. 413, et Aristot., . c., 43, 5.

9. Dem., 35, 51; cf. 58, 8 où l'objet de la phasis n'est pas indiqué. 10. Harpocr., Suid. Phot., s. h. v.; Lysias, Frag., 67; 16, 7; 17, 10; 19, 32. Voir Schoell, Quaestiones fisc. jur. att., p. 4; Meier-Lipsius, p. 124.

11. Aristoph., Eq., 300.

Trente. Sauf dans le cas de la destruction des oliviers 2, la phasis comporte une peine appréciable, presque toujours pécuniaire 3. Le dénonciateur qui n'obtient pas la cinquième. partie des suffrages est frappé de l'amende de 1,000 drachmes et de l'atimie partielle'; le montant de la condamnation est partagé entre le dénonciateur et le Trésor, sauf pour les procès de tutelle où il paraît revenir entièrement au pupille. On trouve également la prime de la moitié dans la phasis qu'aux termes de l'accord de 3777 les alliés peuvent intenter devant le synédrion d'Athènes contre tout Athénien qui acquerrait une propriété foncière par achat ou hypothèque sur le territoire fédéral.

4° L' Añоyрap est une plainte publique qui a pour but de revendiquer soit un bien de l'Etat illégalement détenu par un particulier, soit un bien qui revient également à l'Etat comme dette échue ou comme tombant sous le coup d'une confiscation. Elle peut donc être remplacée, le cas échéant, par la γραφή κλοπῶς δημοσίων χρημάτων qui a des conséquences. plus graves 10. Elle est intentée soit par des commissaires

1. Isocr., 18, 5-6.

2. V. note 4 à la page précédente.

3. Cependant la violation des lois commerciales peut entrainer l'atimie et même la mort (Dem., 34, 37; Lyc., 1, 27).

4. Dem., 58, 6; lex. cantabr., 677, 10. Il paie peut-être aussi dans tous les cas les prytanies; c'est attesté pour le cas des oliviers (Dem., 43, 71). L'abandon de l'accusation comporte aussi l'amende des 4,000 drachmes (Dem., 58, 6, 13).

5. Dem., 58, 13; C. ins. att., 2, 203 b, 1. 5-7; 3, 38. Il y a peut-être une phasis avec une prime des trois quarts dans le fragment d'inscription sur la clérouquie d'Hestiaea (C. ins. att., 1, 28, 1. 12); mais la restitution est très hypothétique.

6. On le conclut de Pollux, l. c.

7. C. ins. att., 2, 17, 1. 41.

8. Meier-Lipsius, l. c., pp. 302-312.

9. Lys., 9 et 19; 13, 65; 18, 26; 21, 16; 17, 6; 24, 166; 39, 22; 59, 7; Hyper., pro Eur., 43; C. ins. att., 2, 476, 1. 13; 809; Lex. seg., 198, 31.

10. C'est ce que paraît dire Lysias (29, 8). A mon avis, il y a aussi une apographe dans le discours où Lysias défend un client accusé devant l'Areopage d'avoir arraché des oliviers sacrés (7,2: àпsypáрnv...). Dans la loi de Samos (Hermes, 1904, pp. 604-610, 1. 70), les Exetastai font également l'avaypap, des biens d'un débiteur public.

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