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détails aussi importants que curieux. Je remarquai particulièrement deux instructions secrètes, dont la publication couvrirait leurs auteurs, même aujourd'hui, d'un opprobre éternel. Les lettres comme il faut étaient tout aussi révoltantes. La plupart dictées par la haine en délire auraient pu légitimer les rigueurs de la justice, mais je les regardais comme l'œuvre pitoyable de cerveaux malades, et je me contentais, avant de les rendre au courrier, d'y ajouter un Vu, qui, semblable à la tête de Méduse, aura sans doute pétrifié plus d'un noble lecteur.

Les conjurations ténébreuses des ennemis de Napoléon n'étaient point le seul objet sur lequel se reportaient mes yeux indiscrets. Quelquefois je me trouvais initié, sans le vouloir, à de plus doux mystères, et ma plume par mégarde traçait le fatal Vu au bas de ces épîtres, qui ne doivent charmer les regards que du mortel heureux auquel l'amour les destine.

Ce fut par les journaux, et la correspondance particulière, que nous apprimes que des Vendéens étaient soi-disant partis de Paris dans l'intention d'assassiner l'Empereur. Un journal, qu'il serait superflu de nommer, annonçait même que ces Messieurs s'étaient déguisés en soldats et en femmes, et que bien sûrement le Corse ne leur échapperait point.

Si Napoléon ne parut point s'inquiéter de ces complots criminels, ils nous inquiétèrent pour lui. Auparavant, lorsque des voyageurs demandaient à lui donner des nouvelles, je m'esquivais pour jouir de quelques moments de liberté; dès lors je ne le quittai plus, et la main sur mon épée, je ne perdais point de vue, un

scul instant, les yeux, l'attitude et les gestes des personnes qu'il admettait en sa présence.

Le comte Bertrand, le général Drouot et les autres officiers de sa maison redoublèrent également de soin et de surveillance. Mais il semblait que l'Empereur prit à tâche de défier les coups de ses meurtriers. Le jour même, il passa sur la place publique la revue du 14 de ligne et se confondit ensuite avec le peuple et les soldats. En vain nous cherchâmes à l'entourer, on nous bousculait avec tant de persévérance et d'impétuosité qu'il ne nous était point possible de rester un moment de suite auprès de sa personne. La manière dont nous étions coudoyés l'amusait infiniment; il se moquait de nos efforts, et pour nous braver s'enfonçait plus avant encore au milieu de la foule qui nous tenait assiégés.

Notre défiance pensa devenir fatale à deux émissaires ennemis.

L'un d'eux, officier d'étal-major vint nous offrir ses services; on le questionna: il ne sut à peu près que répondre. Son embarras excitait déjà de violents soupçons lorsque par malheur, on s'aperçut qu'il avait un pantalon vert. Il n'en fallut point davantage pour persuader à tout le monde que c'était un garde d'Artois déguisé; on lui fit subir un nouvel interrogatoire, il répondit encore avec plus de gaucherie, et atteint et convaincu d'être éminemment suspect, et d'avoir de plus un pantalon vert, il allait être jeté par la fenêtre lorsque, heureusement, le comte Bertrand vint à passer et ordonna qu'on ne le fit passer que par la porte.

Cet officier de nouvelle fabrique, n'était point venu

pour tuer Napoléon; il avait été envoyé pour explorer seulement ce qui se passait à son quartier général.

Le même jour fut témoin d'une autre scène : un chef d'escadron de hussards, décoré d'un coup de sabre sur la figure, vint également se réunir à nous; on le reçut à merveille, on l'invita même à déjeuner à la table dcs grands officiers de la maison. Le vin est l'écueil du mensonge, et le nouveau venu, oubliant son rôle, s'expliqua si clairement qu'il fut facile de le reconnaître pour un faux frère. Il annonça que le Roi avait pour lui la garde nationale de Paris et toute la garde impériale; que chaque soldat resté fidèle obtenait cinq cents francs de dotation, chaque officier mille. francs, et un grade de plus, etc., etc.; que Napoléon avait été mis hors la loi, et que s'il était pris... à ces mots le colonel ***, assis à côté de lui, lui saula au collet; tout le monde à la fois voulait l'assommer; moi seul, je ne voulus point: l'Empereur, dis-je, Messieurs, n'entend point qu'on répande de sang: vous avez juré de ne point faire de quartier aux assassins, mais cet homme n'en est point un; c'est sans doute un espion. Nous ne les craignons point; qu'il aille dire à ceux qui l'envoient ce qu'il a vu; buvons tous à la santé de notre Empereur, Vive l'Empereur! Il fut conspué et chassé, et nous ne le revimes plus.

Un autre déserteur de l'armée royale se présenta pour révéler, disait-il, à l'Empereur, un secret important. L'Empereur, qui ne connait point d'autre secret que la force, ne voulut point perdre son temps à l'écouter; il me le renvoya. C'était un officier de husMÉMOIRES. - I

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sards, ami et complice de Maubreuil; il ne me jugea point digne de ses confidences, et je le conduisis au grand maréchal. Il lui déclara, en substance, qu'il avait été chargé, ainsi que Maubreuil, par le gouvernement provisoire et par de très grands personnages, d'assassiner l'Empereur lors de son départ pour l'île d'Elbe ; qu'il avait eu horreur d'un crime aussi épouvantable, et n'avait point voulu l'accomplir; et qu'après avoir sauvé une première fois la vie de Napoléon, il venait se ranger près de sa personne pour lui faire en cas de besoin un rempart de son corps. Il remit au grand maréchal un mémoire de Maubreuil, et différentes pièces dont l'Empereur me chargea de lui rendre. comple. Je les examinai avec le plus grand soin: elles prouvaient incontestablement que des rendez-vous mystérieux avaient été donnés à Maubreuil, au nom du gouvernement provisoire, mais elles ne contenaient aucun indice qui pût faire pénétrer le but et l'objet de ces ténébreuses conférences; le nom des illustres personnages qu'on a voulu associer depuis à cette odieuse trame ne s'y trouvait même point prononcé. Cet officier ne retira aucun fruit de ses révélations vraies ou supposées et disparut.

Cependant l'Empereur, à force d'être entretenu de complots ourdis contre sa vie, finit par en éprouver une impression pénible. « Je ne puis concevoir, me dit-il, comment des hommes exposés à tomber entre mes mains peuvent provoquer sans cesse mon assassinal, et mettre ma tête à prix. Si j'eusse voulu me défaire d'eux par de semblables moyens, il y aurait longtemps qu'ils seraient en poussière. J'aurais trouvé

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