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DISPENSES.

LETTRE DE L'ARCHEVÊQUE DE
TOURS, A N. S. P. LE PAPE
PIE VII.

TRÈS-SAINT-PÈRE,

HUMBLEMENT prosterné aux pieds de Votre Sainteté, je me joins à un grand nombre de mes Collègues dans l'Episcopat, qui déjà lui ont exposé l'état désastreux où vont être réduites nos Eglises, si Elle ne daigne pas nous accorder la prorogation des pouvoirs extraor dinaires, dont sa bonté paternelle nous a investis chaque année, depuis l'époque du Concordat.

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Je ne ferois qu'affliger d'une manière trop sensible le cœur de Votre Sainteté, si je mè permettois de lui décrire les vives inquiétudes et la douleur qu'a causées la simple annonce d'un premier refus, à moi et à plusieurs de mes respectables Collègues, qui m'en ont rendu dépositaire. C'est pourquoi je me borne à lui exposer respectueusement les faits suivans, qui sont trop notoires pour être révoqués en doute, et les conséquences évidentes qui résulteroient d'un refus persévérant des pouvoirs demandés.

1o. L'état civil des Fidèles qui peuplent l'immense territoire de l'Empire François, et celui des enfans qui proviennent de leurs mariages, est assuré par les lois actuelles, indépendamment de la réception du Sacrement de Mariage.

2°. L'usage a prévalu, même parmi les personnes les plus pieuses des villes et des campagnes, de ne recourir à leurs Curés pour la publication des bans et la Bénédiction Nuptiale, qu'à peu près au moment où elles s'adressent à la Municipalité pour la publication civile de leurs bans.

3°. Il est moralement impossible de parvenir, même en redoublant de zèle et d'instructions, à détruire cet usage que nous pouvons déjà nommer invétéré, quoiqu'établi depuis un petit nombre d'années, et d'engager la majorité des Fidèles, soit à s'adresser au Saint-Siége, au moins trois mois d'avance, pour obtenir la dispense d'empêchemens que peut-être ils ne connoissent pas encore, soit à retarder, jusqu'à ce que la dispense soit venue de Rome, la déclaration civile de mariages concertés entre les familles, et qu'elles ont souvent un grand intérêt d'accélérer.

4°. La conséquence infaillible du délai des

dispenses, que l'Eglise permet néanmoins d'accorder pour de justes causes, seroit, pour les Fidèles les plus timorés, de les contraindre à séparer, par de longs intervalles, la publi'cation de leur Mariage civil de la célébration du Sacrement établi dans l'Eglise pour le sanctifier.

5°. Lorsque l'exemple d'une séparation si dangereuse aura été donné par ceux qui auroient eu besoin de dispenses, il sera bientôt suivi par un grand nombre de ceux-là mêmes qui seroient libres de tout empêchement Canonique; et tout porte à craindre que les uns et les autres, étant mariés à la Municipalité, sans l'être immédiatement après à l'Eglise, ne finissent par négliger absolument de s'y pré

senter.

6o. Ainsi, non seulement les Pasteurs perdroient l'occasion précieuse qu'ils ont aujourd'hui de rappeler les futurs époux aux principes et aux pratiques de la Religion, lorsqu'ils se présentent avant d'être mariés, mais de plus, et en dernière analyse, le Sacrement de mariage ne tarderoit pas à être abandonné par la très-grande majorité de ceux qui font profession de la Religion Catholique, et seroit

insensiblement effacé de leurs habitudes et de leurs souvenirs.

Or, ce lien visible, et moral en même temps que mystique, qui unit encore les Peuples à l'Eglise, et lui rattache la jeunesse au moment où son effervescence est sur le point de prendre une direction plus sage, étant une fois rompu, on ne prévoit qu'avec frayeur jusqu'où pourront s'étendre les effets de l'insouciance pour le salut, et les ravages de l'incrédulité.

Ultrò concedimus (Episcopis) relaxandi facultatem... modò facilè adiri non possit prima Sedes, disoit un des plus savans prédécesseurs de Votre Sainteté dans la Chaire éminente de Pierre, et des plus zélés pour le maintien de la Discipline ecclésiastique. Il ne s'agissoit alors que d'une simple difficulté locale de recourir à Rome, et dans des circonstances assez rares de leur nature. Ne devons-nous pas croire qu'il eût usé de la même indulgence, si les Fidèles d'un vaste Empire avoient éprouvé un genre de difficulté beaucoup plus grave, parce qu'elle résulte de la Loi Civile ellemême, et de la faculté qu'elle donne aux Peuples d'assurer l'état extérieur des enfans

et des époux, sans cimenter leur union par la réception du Sacrement de mariage?

On objectera sans doute que, dans le cas présent, la difficulté cesse, si l'on suppose les futurs époux animés d'une foi vive et agissante, et par là disposés à différer pendant un long espace de temps leur union, afin d'avoir le temps d'obtenir à Rome la dispense dont ils ont besoin. Mais la prudence, mais la condescendance maternelle de l'Eglise permettent-elles d'exposer ainsi les Fidèles à la tentation d'enfreindre la règle, lorsqu'elle contrarie leurs intérêts temporels les plus chers, lorsque surtout l'Eglise peut obvier à ce terrible inconvénient, sans déroger à sa Discipline essentielle, et en continuant de communiquer aux premiers Pasteurs le pouvoir d'en dispenser pour des causes justes et Cano niques? Ubi multorum strages jacent, disoit un de nos Conciles de Rouen approuvé par le Saint-Siége, subtrahendum est aliquid severi tati, ut addatur charitati.

Très-Saint-Père, il n'est pas un de nous qui ne soit assuré de retrouver dans votre cœur paternel la condescendance et les égards pour l'infirmité des peuples dans la foi, dont vos plus illustres prédécesseurs ont donné à l'Eglise

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