ration de biens, et, d'autre part, l'art. 2256 ne fait aucune distinction entre la femme séparée de biens et celle qui ne l'est pas. Les demoiselles Sacaley ont combattu ce système de la manière suivante : Laloi suspend le cours de la prescription à l'égard de la femme, pendant le mariage, toutes les fois que l'action de la femme réfléchirait contre le mari. Rien de plus sage qu'une telle disposition; rien de plus facile à saisir que le motif sur lequel elle repose. -On sent d'abord que le législateur a eu en vue la bonne intelligence entre les époux : il a pensé, et c'est avec raison, que le recours en garantie, auquel l'action de la femme exposerait le mari, ne manquerait pas de troubler la paix du ménage. Mais ce motif n'existe plus lorsqu'un jugement a séparé de biens la femme d'avec son mari: alors la femme ne doit plus craindre que l'action qu'elle intente contre un tiers, n'atteigne indirectement son mari, puisqu'ellemême, aux termes de l'art. 1444 du Code civil, est obligée de le poursuivre directement en paiement de sa dot et de ses reprises matrimoniales. Le mariage, sans doute, ne subsiste pas moins après la séparation de biens, car il subsiste même après la séparation de corps. Mais la puissance maritale est singulièrement affaiblie, le mari n'en a même aucune sur les biens de la femme; elle a l'administration de ses immeubles, la disposition de son mobilier et de ses revenus; elle n'a besoin de l'autorisation maritale ou judiciaire, que pour l'aliénation de ses immeubles. Elle peut intenter toutes ses actions avec l'une ou l'autre autorisation. S'agit-il même du recouvrement de sa dot et de ses autres reprises ?elle a, par le jugement qui a prononcé sa séparation, une autorisation générale et absolue de poursuivre ce recouvrement contre son mari directement et sur tous ses biens, et à plus forte raison, indirectement contre les tiers-détenteurs des immeubles qu'il a vendus. Or, dans un tel état de choses, n'est-il pas évident que le bénéfice de l'article 2256 doit cesser, et que la prescription contre la femme doit reprendre son cours? Et lors même d'ailleurs qu'on pourrait soutenir le contraire, en thèse générale, on serait forcé d'admettre une exception à cette règle, lorsqu'il s'agit comme dans l'espèce, d'une action relative à la dot de la femme. « Les » immeubles dotaux, non déclarés aliénables par le contrat de mariage, porte » l'art. 1561, sont imprescriptibles pendant le mariage, à moins que la pres>> 'cription n'ait commencé auparavant. Ils deviennent néanmoins pres»criptibles après la séparation de biens, quelle que soit l'époque à laquelle » la prescription a commencé. »> On voit que la loi ne fait aucune distinction entre les actions qui réfléchissent contre le mari et celles qui ne l'exposent à aucun recours; que, dès qu'il s'agit d'un fonds dotal, ou, ce qui revient au même, d'une action relative à la dot, la séparation de biens lève tous les obstacles qui s'opposaient au cours de la prescription. Ainsi, nul doute que, dans l'espèce, la prescription ne soit acquise, puisque dix ans et plus se sont écoulés depuis la séparation de biens de la dame Monjousieu. Ces moyens de défense des demoiselles Sacaley ont été accueillis succes sivement par jugement du tribunal de première instance de Toulouse, du 31 juil. 1813, et par arrêt de la Cour royale de la même ville, du 28 févr. 1815. La dame Monjoussieu s'est pourvue en cassation pour violation de l'article 2256 du Code civil. La loi, a dit la demanderesse, après avoir établi, en règle générale, que la prescription court contre la femme mariée, admet ensuite plusieurs exceptions qui deviennent à leur tour autant de principes généraux dont on ne peut restreindre l'application. Telles sont les dispositions de l'art. 2256 qui porte que « la prescription est suspendue pendant le mariage, dans le >> cas où le mari, ayant vendu le bien propre de sa femme sans son consen>>tement, est garant de la vente, et dans touts les autres cas où l'action de » la femme réfléchirait contre le mari. » Rien de plus général et de plus formel que cette disposition; dans Tous les cas où l'action de la femme doit réfléchir contre le mari, le cours de la prescription est suspendu. La loi pouvait-elle s'expliquer en termes plus positifs et plus absolus? pouvait-elle rejeter d'une manière plus expresse toute espèce d'exceptions? L'esprit de la loi ne s'oppose pas moins que son texte à la distinction admise par la Cour royale. En principe général, la prescription court également contre la femme séparée et contre celle qui ne l'est pas ; c'est la disposition expresse de l'art. 2254. Ainsi, l'on voit que, dans ce titre, le législateur a formellement prévu la distinction qu'on pouvait faire entre la femme commune en biens et la femme séparée. Donc, dans l'art. 2256, cette distinction a été particulièrement proscrite, lorsque, bien loin de la faire, la loi s'exprime dans des termes qui n'en permettent aucune. Vainement prétend-on argumenter ici des dispositions de l'art. 1444, et soutenir que la femme ne peut craindre d'intenter une action qui rejaillisse contre son mari, parce qu'elle est obligée, aux termes de cet article, d'exercer contre lui des poursuites directes. Le législateur s'est bien vu forcé d'obliger la femme séparée de poursuivre son mari en restitution de sa dot, parce qu'autrement la séparation de biens n'eût été souvent que fictive et l'objet d'un concert frauduleux. Mais si dans cette circonstance, la loi a dû obliger la femme à actionner son mari, une disposition aussi rigoureuse ne peut pas être étendue d'un cas à un autre, et l'on ne peut certainement pas en conclure que la femme n'ait plus aucun ménagement à garder avec lui, et ne doive pas craindre de l'exposer à des recours de la part des tiers. D'un autre côté, ce n'est pas seulement dans la crainte que la séparation de biens soit fictive, que la loi oblige la femme à exercer des poursuites contre son mari, après la séparation de biens prononcée; c'est aussi parce que les biens de celui-ci n'offrent plus alors une garantie suffisante pour la restitution de la dot, et qu'il est de l'intérêt de la femme et de ses enfans que la plus grande partie de cette dot soit rendue par le mari le plus tòt possible; or, ce motif n'existe pas à l'égard des tiers-possesseurs d'un immeuble compris dans l'hypothèque de la femme. Cet immeuble présente, dans tous les temps, à celle-ci la même sûreté, la même garantie, et la femme ne peut conséquemment être obligée de poursuivre le tiers-détenteur plutôt qu'elle n'eût été obligée de le faire auparavant. Enfin, les poursuites de la femme sont bien moins capables que que l'action récursoire des tiers, de troubler la paix domestique; car, aux termes de l'art. 1448, la femme, après la séparation de biens, doit supporter entièrement les frais du ménage, s'il ne reste rien au mari, en sorte qu'il jouit presque comme auparavant des sommes et des biens qu'il rend à sa femme; tandis qu'au contraire, s'il est obligé de payer une somme à des tiers, il en est entièrement dépouillé. Ainsi on ne peut tirer ici aucun argument de l'art. 1444, et l'on est forcé de reconnaître qu'en règle générale, soit que la femme soit séparée de biens, soit qu'elle vive en communauté, le cours de la prescription est suspendu à son égard, si l'action qu'elle intente doit réfléchir contre son mari. Est-il à présent nécessaire de prouver qu'on ne peut décider le contraire dans l'espèce, par cela qu'il s'agit d'une action dotale? D'abord on se demande sur quelle raison pourrait être fondée cette exception, pourquoi le fonds dotal et les actions relatives à la dot pourraient être soumises à la prescription, quand les autres actions de la femme n'y seraient pas assujéties? S'il pouvait exister une différence entre ces actions, ne seraientce pas au contraire celles-ci plutôt que celles-là qu'il faudrait considérer comme prescriptibles, puisque les premières sont beaucoup plus favorables que les secondes, et que la loi les garantit contre la prescription par des dispositions spéciales? Ce n'est qu'un misérable abus des termes de l'art. 1561 qui a servi à colorer cette ridícule exception: parce que cet article dit, en termes généraux, que le fonds dotal devient prescriptible après la séparation de biens, on en a conclu qu'il en devait être ainsi, soit que l'action de la femme atteignît indirectement le mari, soit qu'elle ne l'exposât à aucun recours. Mais peut-on croire que le législateur, en établissant, à l'égard du fonds dotal, une imprescriptibilité spéciale, ait entendu particulièrement le soumettre à la prescription après la séparation de biens? n'est-il pas évident, au contraire, que lorsqu'il a dit que le fonds dotal redevenait sujet à la prescription, il n'a voulu que le faire rentrer dans la classe des autres biens et le rendre prescriptible ou imprescriptible comme eux, suivant les différentes circonstances où la femme peut se trouver et d'après les règles établies au titre de la Prescription? Ainsi quand, dans ce titre, la loi déclare que la prescription ne court pas contre la femme toutes les fois que l'action qu'elle intenterait, réfléchirait contre le mari, cette disposition doit s'appliquer au fonds dotal comme aux autres biens; et la disposition de l'art. 1561 qui rend la dot prescriptible après la séparation judiciaire, se trouve restreinte aux seuls cas où l'action de la femme ne réfléchit pas contre le mari. De même donc que s'il s'agissait d'une action étrangère à la dot, la prescription n'a pas été suspendue à l'égard de la dame Monjousieu, puisqu'il est constant que l'action intentée par cette dame rejaillit contre le sieur Monjousieu, son époux. Les demoiselles Gallias ont défendu l'arrêt de la Cour de Toulouse, par les moyens qu'elles avaient employés pour l'obtenir. LA COUR, ARRET. sur les conclusions de M. Joubert, avocat général, et après un délibéré dans la chambre du conseil ;- ATTENDU, 1.° que la diposition de l'article 2256 du Code civil est générale; que, sans distinguer aucunement si la femme est ou non séparée de bicus, elle établit que la prescription est suspendue pendant le mariage, dans tous les cas où l'action de la femme réfléchirait contre le mari, et qu'en effet, lors même que la femme est séparée de biens, il est dans ses intérêts les plus précieux que, pour conserver ses droits contre des tiers, elle ne soit pas forcée d'exercer des actions qui, devant réfléchir contre son mari, troubleraient toujours l'union conjugale et la paix domestique; 2.o qu'il résulte nécessairement des expressions générales de l'article 2256, que cet article contient une exception, une modification aux dispositions des articles 1561, 2254 et 2255, et qu'ainsi ces derniersarticles ne doivent recevoir leur application que dans les cas assez fréquens où l'action de la femme, pour conserver ses droits contre des tiers, ne réfléchirait pas contre son mari; 3.o que la disposition de l'article 1444 n'est aucunement relative à la prescription; qu'elle n'a pour objet que d'empêcher les séparations frauduleuses et d'assurer les droits de la femme contre son mari; d'où il suit qu'en jugeant, dans l'espèce, que la prescription avait couru contre la demanderesse, pendant son mariage, depuis sa séparation de biens, quoique l'action que la demanderesse aurait dù exercer pour interrompre la prescription, eût nécessairement réfléchi contre son mari, l'arrêt dénoncé a violé la disposition de l'article 2256 du Code civil;-CASSE, etc. Du 24 juin 1817. - Section civile.- M. le comte Desèze, pair de France, premier président. M. le conseiller Chabot de l'Allier, rapporteur.MM. Duprat et Odilon-Barrot, avocals. HYPOTHÈQUE, INSCRIPTION. - DÉSIGNATION DES BIENS.-FERME. TERRES LABOURABLES. Bois. Le mot FERMES, dans une constitution d'hypothèque et dans une inscription, désigne-t-il suffisamment la nature et l'espèce des biens hypothéqués, du moins quant aux maisons, prés, vignes et terres labourables, dont ces biens seraient composés ? Rés. aff. Des bois qui dépendraient de la FERME seraient-ils aussi compris dans l'hypothèque? Cette dernière question n'a pas été résolue par l'arrêt que nous rapportons: nous avons cru cependant devoir la rappeler en raison de l'intérêt qu'elle présente; elle a d'ailleurs été décidée par la Cour royale, dont l'arrêt était dénoncé. Par acte du 19 germinal an 10, la dame Dufour reconnut devoir aux sieurs. Guyot et Priés la somme de 29,430 fr. et les intérêts. Pour sûreté du paiement, la dame Dufour affecla tous ses biens présens et à venir, et spécialement les fermes de la Gadelière, situées à la Gadelière, département d'Eureet-Loir, qui appartenaient en commun à cette dame et aux sieurs Charles et Jacques Dufour, ses fils. Par le même acte, les sieurs Charles et Jacques Dufour se sont rendus cautions de leur mère, et ont consenti, comme elle, une hypothèque sur les fermes de la Gadelière. En vertu de cet acte, les sieurs Guyot et Pries ont pris inscription, le 1er. floréal an 10, contre les sieurs Dufour, sur LES FERMES DE LA GADELIERE, situées dans l'étendue du bureau des hypothèques de Dreux, département d'Eure-et-Loir. Les fermes de la Gadelière ayant été vendues, un ordre a été ouvert pour en distribuer le prix. Le sieur Guesdon, créancier des sieurs Dufour, inscrit postérieurement aux sieurs Guyot et Priés, a demandé la nullité de leur inscription, attendu que, ni dans cette inscription, ni dans la constitution d'hypothèque, il n'était fait mention de la nature et de l'espèce des biens hypothéqués. Le 23 juin 1814, jugement du tribunal de première instance de Dreux, qui déclare l'inscription nulle, sur le fondement « que cette inscription ne fait connaître les biens grevés d'hypothèque que par les mots LES FFRMES DE LA GADELIÈRE, Situées commune de même nom; qu'à la vérité, la situation des biens est suffisamment indiquée, mais qu'il n'en est pas de même de leur espèce; que le mot fermes s'entendant de plusieurs corps de bâtimens servant tant au logement du fermier qu'à l'exploitation des terres et autres héritages qui peuvent en dépendre, il est nécessaire d'entrer dans le détail de ces dépendances et de dire si elles consistent en terres labourables seulement, ou s'il n'y avait pas en outre des prés, des bois et autres espèces de biens; que cette indication des biens est prescrite par la loi, comme partie substantielle de l'inscription; d'où il suit que là où elle manque, l'inscription ne peut obtenir effet.»> Sur l'appel interjeté par Guyot, cessionnaire des droits de Priés, la Cour royale de Paris a fait une distinction entre les bois et les autres biens qui étaient compris dans le bail des fermes de la Gadelière; elle a pensé que les premiers étaient exclus de l'hypothèque, comme n'étant pas suffisamment désignés sous le nom de fermes; et, quant aux autres, elle a déclaré l'inscription valable. Les motifs de son arrêt, rendu le 6 mars 1815, sont ainsi conçus : «Attendu que l'inscription prise par Guyot, conformément à son titre, sur les fermes de la Gadelière, sises commune du même nom, désigne bien, et sans qu'il soit besoin d'autre énonciation, les deux fermes appartenantes à la veuve Dufour et à Charles Dufour, dans la commune de la Gadelière l'une, connue particulièrement sous le nom de ferme du château; l'autre, appelée ferme de la Baratte; que, dans l'usage, on entend par le mot ferme une certaine étendue de terres labourables et de prés et herbages donnés à bail avec les bâtimens servant à leur exploitation et au logement du preneur; qu'ainsi, il n'était point nécessaire que Guyot déclarât, par son inscription, qu'il s'inscrivait sur des terres et prés, cette nature de biens étant indiquée suffisamment par le mot ferme, ainsi que leur individualité, par la dénomination des deux fermes dont ils dépendent; mais que, par la raison contraire, cette désignation ne comprend pas les bois qui ne sont pas ordinainement affermés par le proprétaire, encore que, de fait et par accident, ces objets, en tout ou partie, se trouvassent compris au bail. >> Pourvoi en cassation de la part du sieur Guyot, pour contravention aux art. 4 et 17, S. 5, de la loi du 11 brumaire an 7, dont les dispositions sont reproduites dans les art. 2129 et 2148 du Code civil. |